Rechercher dans ce blog

lundi 15 août 2022

 

ALLUMEZ DU FEU, GRAND DIEU !  

(20 dimanche ord. C, Lc 12,49-53)


Ces propos que l’évangile de Luc dans ces versets d’évangile attribue ici à Jésus m’ont toujours frappé par leur réalisme et leur vérité. On dirait qu’ici Jésus ne se fait aucune  illusion sur le sort que  les hommes réserveront probablement à son message. Il sait qu’il aura beaucoup de difficultés à se frayer un chemin dans les mentalités, les cultures  et les comportements établis des humains et que peu de gens auront le courage et la hardiesse de purifier leur frustre et rudimentaire humanité au feu qu’il est venu allumer. 

Jésus  a conscience que sa critique du système culturel, social  et religieux où il vit, que la charge  révolutionnaire des valeurs  qu’il  propose, seront fatales autant pour lui, que pour ceux et celles qui auront le courage de suivre sa « Voie ». Il a en effet le clair pressentiment que ceux-ci seront incompris, refusés, combattus, discriminés et persécutés; qu’ils deviendront soit une pierre d’achoppement, soit une cause de division au sein d’une société qu’ils voudraient pourtant améliorer. 

De fait, avec le recul du temps, il faut reconnaître que les craintes de Jésus  étaient plus que justifiées. En effet, non seulement  le monde juif-gréco-romain  de son temps auquel il s’adressait avec l’espoir de le transformer en une société plus fraternelle, plus juste et plus humaine a fini par l’éliminer, mais même le monde et la culture occidentales postérieurs, nés de la religion chrétienne-constantinienne, qui a remplacé la Voie du Nazaréen, ont en grande partie ignoré son message, quand ils ne l’ont pas tout  simplement manipulé, édulcoré, oublié et  transformé pour l’adapter aux exigences du pouvoir et  à leurs politiques de prestige  et de domination.

De sorte qu’il est  plus conforme à la vérité de dire que  le monde occidental, que l’on se gargarise à qualifier de « chrétien » ou, tout au moins, de « culture chrétienne», en réalité et  sauf  quelques rares exceptions (les saints), il n’a jamais pris vraiment  au sérieux  la « bonne nouvelle »  ou  l’évangile de Jésus  avec ses  exigences et il a été tout sauf chrétien, étant donné qu’au cours de toute son histoire jusqu’à nos jour, il s’est construit et développé sur des valeurs,  des principes, des logiques  et  des routes qui se sont déployés exactement dans le sens inverse de la Voie tracée par Jésus de Nazareth : c'est-à-dire, en empruntant le chemin du pouvoir qui domine,   exploite et  asservit, plutôt que la Voie de l’amour désintéressé et fraternel qui prend soin et se fait  service.

Très révélateur, à ce propos, est le fait qu’aujourd’hui encore, même dans les cercles intellectuels chrétiens les plus ouverts et les plus  sympathiques au phénomène « Jésus de Nazareth », on persiste à qualifier son message de « rêve » ou d’« utopie », révélant ainsi, indirectement, que même les chrétiens les plus avertis le considèrent comme pratiquement irréalisable dans le monde des hommes.

Il serait trop long d’entrer ici dans une description exhaustive de nos infidélités au message de Jésus en tant que religion (Église) et en tant que société de culture  chrétienne. Je me limiterai à souligner ici quelques contradictions évidentes entre cette culture et  la prédication de Jésus.  

Dans les évangiles, la valeur d’une personne est donnée par son accueil et son  ouverture au prochain qui n’est plus tout simplement « l’autre »,  mais le « frère » avec lequel je crée des relations fraternelles de soin, de partage, d’affection  et de communion. Le monde et la société  moderne se sont  construit au contraire  sur l’individualisme le plus exacerbé, c’est-à-dire sur la fermeture de l’individu sur lui-même, devenu sa propre  île, un nœud d’égoïsme, le seul point de référence de ses projets et de ses activités. 

Ainsi, renfermé dans la prison dorée de sa solitude, l’individualiste ne trouve d’autre moyen de donner sens, importance et valeur à son existence que par l’indépendance des autres, que par la supériorité sur les autres et donc que par le recours au pouvoir obtenu par la quantité d’argent qu’il réussit à accumuler. De sorte que, pour ce type de personne, non seulement l’argent devient le but ultime de son existence, la valeur absolue, le bien suprême, sa meilleure possibilité de valorisation personnelle, de réussite et de bonheur, mais il se transforme aussi en  l’unique religion qu’il pratique et en  le seul dieu  qu’il est disposé à adorer.  Il en suit alors que, pour ce genre d’individu, l’autre n’est plus le « frère » et le « prochain » de l’évangile, mais le concurrent, le rival, le compétiteur, l’obstacle, l’adversaire, l’ennemi qu’il doit dépasser, combattre, vaincre et, éventuellement, éliminer pour atteindre sa supériorité et pour que reste intacte et affermie la puissance de son pouvoir et la source de ses revenus.

Et chose incroyable, voilà que l’individualiste-capitaliste devient inexorablement  l’esclave de son argent ; un argent qu’il ne possède plus  vraiment,  mais par lequel il est possédé  et pour lequel il  est prêt à tout sacrifier : ses  sentiments, sa sensibilité,  son bon sens, la sagesse du cœur, les  relations affectives et amicales, le bien-être des personnes, de la Nature, de la Planète et même son instinct naturel de conservation de sa propre vie physique. En effet, l’homme d’affaire  moderne, a plus à  cœur  son «capital » que les équilibres écologiques de la Terre, que la qualité du climat, de l’air, des sols, des mers, des forêts, etc., qui lui sont pourtant indispensables pour se garder en vie.

Aujourd’hui l’empire du capitalisme néolibéral a réussi à transformer le  monde, non pas en une société humaine responsable et civilisée, mais en  une économie globale de marché où règne la loi de la jongle, c’est-à-dire,  la loi du plus rapace et du plus fort, où tout peut être vendu, acheté, exploité, détruit et saccagé afin d’être transformé en marchandise monnayable, sans aucun égard aux exigences de justice sociale et de bonheur véritable des personnes. 

  Le pouvoir de l’argent est ainsi devenu l’unique système opératif qui fait fonctionner notre société moderne. Si cela est un fait incontestable,  nous ne pouvons pas nier que nous sommes alors en train de mettre au point une forme de société qui fonctionne sur des logiques suicidaires qui ne peuvent que produire injustices, confrontations, divisions, pauvreté, souffrances, destruction et mort. De sorte que, finalement, l’énorme pouvoir de l’argent accumulé n’aura servi qu’à miner tout espoir raisonnable, je ne dirais pas d’un futur meilleur, mais d’un futur tout simplement possible pour notre humanité. 

C’est donc dire le degré d’égotisme, d’aveuglement, de délire et  de stupidité dans lequel l’être humain peut tomber lorsqu’il se laisse emporter par l’angoisse de pouvoir et l’obsession de l’argent et de ses logiques égoïstes et nécrophiles qui  le privent de cette sensibilité profonde et de cette intelligence du cœur qui font la qualité humaine d’une personne.

   Qu’est-ce qui empêche alors de conclure que les « riches »  qui ne se nourrissent  que de pouvoir et de l’illusion de supériorité donnée  par l’argent qu’ils possèdent, sont finalement les individus les plus « misérables » et les plus à plaindre et à craindre sur  terre? 

Nous  nous trouvons alors ici sur la même longueur d’onde que Jésus de Nazareth lorsque, à propos de ceux qui, déjà en son temps,  ne vivaient que pour acquérir pouvoir et accumuler des richesses, il s’exclamait stupéfait : « Cela leur sert à quoi à ces gens que de vouloir conquérir et  posséder le monde entier, s’ils doivent y perdre leur âme ! » (Mt 16,26; Mc 8,36; Luc 12,20). 

Nous comprenons alors que ce type de monde et de société bâtis  sur le culte de l’argent, sur la compétition sauvage, sur  l’hostilité réciproque  et sur la guerre pour plus de pouvoir, se situent au antipodes du monde humain et de la société fraternelle souhaités par Jésus de Nazareth où les relations  humaines inspirées uniquement par l’amour gratuit et désintéressé se révèlent comme les seules capables de produire et de cultiver les fruits d’une paix et d’une prospérité véritables, d’une plénitude de vie et d’un  bonheur durable. 


Mori Bruno  -   Montréal   10 août 2022


M