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mardi 21 juin 2016

La prostituée qui aimait Jésus



( Luc 7,36-8,3)


Scène ambiguë et provocatrice, mais d’une tendresse extrême, que cette femme de la rue qui rentre furtivement dans la maison de Simon le pharisien, pour se blottir contre les pieds de Jésus! Elle avait été fascinée par cet homme et il fallait absolument qu’elle trouve l’occasion de lui exprimer la force débordante des sentiments qu’elle éprouvait pour lui, en défiant toutes les règles de bienséance et ne craignant pas de s’exposer aux commentaires grivois et salaces des invités.

Regardons-la, d’un peu plus près cette femme, qui a fait de la prostitution son métier. Elle ne vit que pour offrir un semblant de plaisir et de réconfort à tous ces hommes en mal d’amour et en manque de tendresse. Qu’il y a-t-il de mal à cela? D’autant plus que cela lui permet de gagner sa vie et de nourrir les enfants qu’elle a eu d’un mari qui n‘a peut-être pas vécu assez longtemps pour prendre soin de sa famille. Et pourtant cette société, composée d’hommes qui secrètement ont besoin d’elle, ouvertement la déteste, la dénigre et la diabolise. Ces hommes, qui si facilement et si volontiers ont recours à la bonne qualité de ses services, sont les mêmes qui inventent et mettent en place les interdits, les tabous, les normes, les règles morales et religieuses qui la disqualifient et la condamnent.

Le drame de cette femme, et de toutes les femmes comme elle, ne consiste pas dans le fait qu’elle fasse commerce de son corps et qu’elle vende du plaisir, mais qu’à cause de ce comportement qui lui permet de survivre matériellement, elle soit obligée de mourir intérieurement en tant qu’être humain et de n’être et de ne compter finalement pour personne: une femme sans nom, sans dignité, sans respect, sans honneur, sans valeur, tel un mouchoir, sorti de nulle part, que l’on utilise pour se vider le nez et qu’ensuite on jette dédaigneusement à la poubelle.

Cette prostituée, dans les faits, ne fait rien de mal et surtout ne fait de mal à personne. Au contraire, c’est elle la victime du mal que la société des bien-pensants, des bourgeois rangés, des purs, des justes, des conformes, des religieux pieux et pratiquants déverse sur elle sous forme de mépris et de jugements haineux : attitude qui pèse très lourd sur l’idée négative, destructrice et souvent suicidaire que cette femme se fait d’elle-même.

Elle est sans doute une femme exceptionnelle, avec un grand cœur, une sensibilité hors pair, une formidable capacité de dévouement, d’abnégation, de don de soi, et un énorme courage. Oui, il faut posséder beaucoup de courage et beaucoup d’amour pour faire le travail qu’elle fait !

Le rêve de cette femme et de toutes les femmes comme elle ? Non pas seulement d'être tolérée. Mais être acceptée, comprise, reconnue, valorisée, intégrée, traitée avec égards, respect, gentillesse, indulgence, délicatesse et amour … car c’est de ces attitudes qu’elle vit et c’est cela qu’elle voudrait recevoir en retour.

Je pense que la femme de l’évangile de Luc qui s’est faufilée dans la salle du repas où se trouve Jésus, est là parce qu’elle a découvert que Jésus est l’homme en qui son rêve de prostituée s’est pleinement réalisé. C’est pour cela, je pense, qu’elle veut le couvrir de baisers et du parfum débordant de sa reconnaissance, de son admiration et de sa tendresse.

C’est la première fois qu’elle l’approche physiquement de si près. Mais c’est depuis longtemps que cet homme habitait ses pensées et qu’il était proche de son cœur. En le côtoyant, cachée dans la foule de ses disciples, elle buvait ses paroles, comme on boit un élixir de vie. En regardant son comportement, son style de vie, elle avait été totalement conquise par la personnalité du Maître et par la nouveauté absolument libératrice et vivifiante de son message. Cet homme qui avait été capable de raconter la parabole du fils scélérat et du père prodigue et celle du bon samaritain, qui pouvait dire de lui même et annoncer : « Moi, je ne juge personne. Je ne suis venu ni pour juger ni pour condamner. Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés ! Ne condamnez pas et vous ne serez pas condamnés ! Pardonnez et vous serez pardonnés ! Soyez miséricordieux et on vous fera miséricorde … ! Cet homme, c’était vraiment son homme !

 Pour cette femme, Jésus était l’homme de ses rêves, l’homme qui incarnait et qui annonçait le monde dont elle avait toujours rêvé et dans lequel elle aurait voulu vivre. Elle sentait que son chez soi intérieur était désormais chez lui. Elle vibrait dans une consonance totale aux harmoniques de son esprit. Elle savait qu’elle se serait définitivement retrouvée elle-même, si elle réussissait à se retrouver toute entière exposée au regard de celui que était désormais devenue son vrai et unique  «seigneur».

Et la voilà à ses pieds, qu’elle couvre de larmes et de baisers ! Elle est là à ses pieds, car elle sait qu’elle peut poser les gestes du charme et de la séduction et qu’elle sera quand même totalement acceptée, comprise et aimée. C'était ce rêve d'une bonté infinie qui lui avait donné le courage de se présenter à lui sous les yeux scandalisés des scribes et des pharisiens.

J’aime à penser que l’attitude de Jésus a réussi à changer le regard qu’elle posait sur elle-même et à changer définitivement la façon de percevoir son existence. J’aime à penser qu’après la rencontre avec le Maître, cette femme s’est sentie revivre, car finalement acceptée et libérée de tout remord et de toute culpabilité. J’aime à penser qu’au contact du Seigneur, cette femme a compris que le mal et la faute dont on l’incriminait et qui la culpabilisaient, n’existaient pas vraiment ni dans son cœur, ni dans la réalité des faits, ni dans la tête de Dieu, mais uniquement dans sa tête et dans l’esprit de ces gens qui la jugeaient et la condamnaient.

J’aime à penser qu’au contact de Jésus, elle a compris que ce qui envenimait et accablait sa vie, ce n’était pas tant sa prétendue immoralité, ni ses prétendus péchés, mais plutôt le filet immense de préjugés, de malveillances, de mépris et d’hostilité que les gens biens, encouragés par la religion, avaient tissé autour d’elle, pour l’emprisonner à tout jamais dans sa déchéance.

Finalement, j’aime à penser qu’au contact de Jésus et de son Dieu, cette prostituée a compris qu’elle pouvait retrouver son innocence, sa beauté, sa dignité, sa liberté et sa féminité ; car toutes ses fautes, exposées à l’amour de Dieu, tel qu’il s’était manifesté dans la vie de homme qu’elle couvrait maintenant de ses baisers, disparaissaient, comme disparaît l’obscurité de la nuit lorsque le soleil du matin apparaît.


 BM

dimanche 12 juin 2016

Réflexions pour la fête du «Corps du Seigneur »



(Première lettre de St-Paul Apôtre au Corinthiens, 11, 23-26)

En ce dimanche consacré à la fête de la présence du Seigneur sous le symbole du pain donné et partagé, la liturgie, dans la deuxième lecture de la messe, propose à notre réflexion le plus ancien récit de l’«institution de l’eucharistie». Ce récit nous le devons à la plume de Paul qui, en l’année 53, de la ville d’Ephese (dans l’actuelle Turquie), écrivait une longue lettre à la communauté chrétienne de Corinthe (en Grèce) qu’il avait fondée et dirigée pendant dix-huit mois de 50-52. Corinthe comptait alors plus d’un demi million d’habitants, dont les deux tiers étaient des esclaves. La ville devait sa prospérité économique à sa situation géographique et à ses deux ports, l’un sur la mer Égée et l’autre sur l’Adriatique. La communauté chrétienne de Corinthe était très éclectique, composée de gens venant d’horizons culturels et ethniques très variés et appartenant à des classes sociales très différentes. Il y avait donc dans cette communauté une majorité de chrétiens très pauvres et une minorité de gens plus aisés, constituée de marchands, d’entrepreneurs, d’armateurs, de fréteurs et des propriétaires agricoles. C’était par conséquent une communauté disparate très difficile à gérer, à éduquer et à amalgamer et Paul eut en effet beaucoup de problèmes avec elle. Il dut intervenir à plusieurs reprises pour les régler.

Lorsqu’il était à Ephese, il apprit qu’à Corinthe les «eucharisties», c’est-à-dire les réunions-repas que les chrétiens organisaient une fois par semaine pour fêter la résurrection de Jésus et pour faire mémoire de sa présence vivante, ne se déroulaient pas correctement. Ces réunions, au lieu d’être des assemblées visant à exprimer, entretenir et alimenter l’unité, la charité, la fraternité, l’égalité, la solidarité entre les membres, dans et selon l’esprit du Seigneur, étaient devenues des occasions de bisbilles, de litiges, de divisions et d’inégalité. Les riches formaient bande à part, et ne voulaient pas se mélanger et partager avec les plus pauvres; de sorte que dans ces repas, les riches s’empiffraient et se saoulaient et les pauvres étaient délaissés et ne mangeaient même pas à leur faim.

Pour Paul cela constituait une insulte à la mémoire de Seigneur et un contre-témoignage scandaleux qui le fit réagir avec indignation. « Quant vous vous réunissez de la sorte, ce n’est pas au nom du Seigneur que vous vous réunissez ; ce n’est pas le repas du Seigneur que vous prenez ... - leur écrivait-il - … N’avez-vous pas vos maisons pour manger et boire…, mais si vous voulez manger et boire sans égards pour les autres, vous faites un affront à ceux qui n’ont rien.…Vous n’agissez pas selon l’esprit du Seigneur. En tant que chrétiens et disciples du Seigneur, vous n’avez pas le droit de manger et boire tous seuls, sans partager avec ceux qui ont moins que vous …. Vous n’avez plus le droit de vous désolidariser des autres, surtout s’ils sont pauvres et dans le besoin... Le repas que vous prenez ensemble au nom du Seigneur n’est-il pas l’expression et le signe de la communion à son corps, ce corps que vous devriez former avec tous vos frères humains, à la suite et à l’exemple de Jésus qui n’a vécu que pour les autres, qui s’est continuellement donné et dépensé pour les autres et qui a voulu être pour tous comme un bon pain dont tous pouvaient se nourrir … ?

C’est pour nous faire comprendre cela - poursuit Paul- que Jésus, avant de mourir, a pris le pain qui était sur la table du dernier repas et, après l’avoir rompu, l’a donné à ses amis, en disant : «Souvenez-vous toujours que ce pain c’est moi, c est mon corps … Ce pain est la figure et l’image de ce que j’ai été toute ma vie pour ceux et celles qui m’ont connu et côtoyé. Comme ce pain, je me suis cassé, je me suis rompu pour me donner aux autres, pour nourrir les autres, pour aider, soutenir, guérir, remettre debout, faire vivre … Je me suis fait manger!… Faites de même!… Lorsque vous penserez à moi, souvenez-vous  ce que j’ai été pour vous! … Devenez vous aussi du bon pain! … N’hésitez pas à vous faire manger à votre tour!… Souvenez-vous que pour vous faire manger, il sera nécessaire que vous vous cassiez à votre tour, que vous brisiez la croûte épaisse et dure de vos fermetures, de vous repliements, de vous égoïsmes, afin que le meilleur qui est en vous puisse se répandre et se communiquer…. et bâtir un monde meilleur, une société plus humaine fondée sur la solidarité, la communion, le partage… fondée sur la nouvelle alliance de l’amour de Dieu et l’amour du prochain».

Paul cherche donc à faire comprendre aux chrétiens de Corinthe que leurs séances eucharistiques constituent des gestes vides de sens et, pire encore, mettent au grand jour des attitudes et de comportements hypocrites et indignes de personnes qui se proclament disciples de Jésus de Nazareth. Et Paul de continuer: «Que chacun s’analyse avant de manger de ce pain et de boire cette coupe, pour voir quel est le dégré de sa charité et de sa communion avec son prochain; pour voir si sa vie n’est pas en contradictions avec le geste qu’il accomplit et pour ne pas courir le risque de manger, au lieu de l’Esprit du Seigneur, sa propre honte et sa propre condamnation».

Du contexte historique qui a poussé Paul a nous transmettre pour la première fois ce récit du don que Jésus fait de son corps, on peut en déduire que pour Paul le but principale du geste chrétien du repas «eucharistique » en mémoire de Jésus, est celui d’exprimer la fraternité, l’unité, l’harmonie, la communion, la charité et la solidarité qui existent déjà au sein de la communauté chrétienne et d’encourager celle-ci à vivre toujours en conformité avec les contenus du geste symbolique du pain partagé lors des réunions eucharistiques.

Ce pain que la communauté chrétienne offre et qu’elle mange au cours du repas eucharistique, n’exprime et n’actualise la présence de Seigneur parmi ses disciples que parce cette présence est déjà réelle et agissante parmi eux, grâce et en vertu de son esprit de fraternité et d’amour qui les anime.

La présence du Seigneur parmi les siens au cours d’une réunion eucharistique n’est pas causée, comme on pense souvent, par les pouvoirs magiques du prêtre qui, là-haut sur l’autel, transforme miraculeusement un morceau de pain dans le corps et le sang du Christ. La présence du Seigneur est plutôt causée, d’une façon beaucoup plus normale et naturelle, par son esprit d’amour qui anime de l’intérieur la communauté de ses disciples réunie autour d’une table pour faire mémoire de lui. C’est la communauté chrétienne qui fait en sorte, qu’à travers elle et l’amour qu’elle dégage, Jésus soit véritablement et efficacement présent comme force et énergie amoureuse qui transforme, améliore, relève, guérit et sauve la société des humains qui s’ouvrent à elle.

 Il faut que les disciples mangent donc de lui, se nourrissent de son esprit, pour que sa présence puisse se produire et s’activer. Il n'y a donc pas de présence du Seigneur possible dans une assemblée dominicale qui serait composée de délinquants et de criminels qui se nourrissent à l’égoïsme, à l’oppression, à la haine et à la violence, même si, sur l’autel, il y un pape ou un évêque qui prononce sur le pain et le vin les paroles de la consécration.

Le Seigneur n’est présent dans nos eucharisties dominicales que parce qu’il est déjà présent dans le cœur, l’esprit, les attitudes, les habitudes de ceux et celles qui sont là rassemblés et qui par leur foi sont capables de voir dans le pain déposé sur la table de l’autel autant le signe de la vie de Jésus donnée et mangée, que le signe de leur propre existence vécue à l’ombre et dans les pas de celle de leur Maître.

Ce Jésus qui, à travers nous, se fait présent dans nos eucharisties et que, dans la foi, nous reconnaissons sous le signe du pain, est là uniquement pour nous aider à faire communion et à construire de la communion entre nous. Nos eucharisties célébrées à l’enseigne du repas fraternel et du pain donné et partagé, ont comme but de manifester notre amour fraternel et de nous aider à créer de la communion. Et si dans nos vies, nous ne vivons pas en communion avec les autres et dans la communion des autres, nous «messes» se transforment en des rites ridicules et vides de sens et nos «communions sacramentelles» en gestes stupides, faux et hypocrites.

Pourquoi alors nos assemblées eucharistiques? Premièrement pour faire mémoire de Jésus, comme il l’a lui-même souhaité; pour nous souvenir toujours de ce chef-d’œuvre d’amour et d’humanité que fut le Maître de Nazareth qui se fit manger comme du bon pain jusqu'à la dernière miette.

Deuxièmement, parce que nous, ses disciples, continuellement tentés par nos mauvais esprits (égoïsme, cupidité, fermeture sur nous-mêmes, angoisse de supériorité et de pouvoir, arrogance,…) nous avons besoin de nous confronter à un esprit qui soit particulièrement bon, saint et inspirant, à l’Esprit de Jésus qui est à l’oeuvre dans la communauté de ses disciples …

Nous avons besoin de nous confronter à la grandeur humaine de cet homme complètement décentré de lui-même et totalement centré sur Dieu et son prochain, qui n’a existé que pour les autres, que pour se mettre au service des autres.

Nous avons vraiment besoin de tremper et de noyer nos super-ego égoïstes et dominateurs, avec ses laideurs, ses turpitudes, ses bassesses et ses mesquineries, dans les eaux limpides de cet amour qui s’est manifesté en Jésus, dans l’espoir qu’en nous aussi surgisse finalement le désir d’aller abreuver notre vie à la véritable source de sa réussite et de son accomplissement.


( BM – 29 mai 2016 / /Fete-Dieu 2016)