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vendredi 25 avril 2014

RÉFLEXIONS SUR LE SENS DE LA MORT DE JÉSUS EN CROIX



L’interprétation théologique de la mort de Jésus en croix comme sacrifice expiatoire pour nos péchés, nous fait oublier les véritables raisons historiques qui ont conduit Jésus devant  les tribunaux religieux et politiques et finalement à son exécution sur la croix. Jésus n’a pas été la personne douce, timide, gentille tendre, calme, aimante, paisible de l’imagination et de la piété populaire. Il fut un prophète à la parole forte,  parfois violente et dure. Il fut un contestateur, un lutteur, un défenseur des faibles et des petits. Il s’est levé contre le pouvoir injuste, l’hypocrisie, l’inégalité des classes, l’avidité, l’idolâtrie de l’argent, l’injustice, l’exploitation des minorités et des pauvres. Il a lutté conte le mal et la souffrance sous toutes ses formes. Il s’en est pris aux autorités religieuses et civiles de son temps parce qu’elles représentaient des structures et des lois  oppressives, inhumaines. Il a cherche par tous les moyens à conscientiser les responsables qu’il était possible d’être des personnes différentes, de penser et d’agir autrement. Qu’il était possible d’envisager un autre style de vie, une autre société, un autre monde, une autre humanité. Qu’en opposition au royaume de César il était possible de construire un «Royaume de Dieu».

C’est la construction de ce Royaume de Dieu sur terre qui a été l’utopie de Jésus et pour laquelle il a sacrifié sa vie. Jésus était un homme épris de Dieu. Il  était convaincu que Dieu lui avait donné mission de poser les fondations d’un monde nouveau, non plus basé sur la recherche du prestige, de la gloire, du pouvoir, mais fondé sur la volonté et le désir de ceux qui commandent de se mettre au service des autres, en se faisant conduire non pas par les pulsions instinctives de l’égoïsme et de l’intérêt personnel,  mais par les dynamiques, bien plus humaines, du don de soi, de la disponibilité et de l’amour. Jésus se considérait l’instrument de cette intervention de Dieu dans le monde en vu de réaliser l’instauration du  «Royaume de Dieu». Instauration qui devait commencer évidemment par une conversion et un changement à l’intérieur de l’homme.

Jésus est mort  a cause de son implication à la réalisation de ce projet qu’il croyait être la seule façon de sauver le monde de sa ruine. Son action lui attira l’opposition et la haine des représentants des pouvoirs établis hostiles aux idées innovatrices de ce «visionnaire». Il aurait bien voulu avoir la joie et la satisfaction de pouvoir assister, de son vivant, à la germination des graines qu’il avait semées et à l’apparition des signes  laissant deviner l’éclosion des forces bénéfiques de l’amour capables de transformer le monde et d’y réaliser le rêve du Royaume de Dieu. Malheureusement ce ne fut pas le cas. Jésus est mort comme un criminel, condamné par les hommes et abandonné par Dieu. Il est mort en criant sa déception et son désespoir à Celui qu’il avait pourtant toujours considéré comme son père.

Jésus sur la croix est devenu le symbole et de tous ceux et celles qui, au cours de l’histoire de l’humanité, ont donné et donnent leurs énergies et leurs vies pour une bonne cause. Il est la figure de tous ceux et celles qui se sont battus et se battent  pour changer les mentalités, pour transformer la société, pour construire un monde plus pacifique, plus juste, plus fraternel, plus humain, plus égalitaire. Jésus sur croix est le prototype de  tous ceux et celles qui souffrent à cause de l’égoïsme, de la méchanceté  et de  la stupidité humaine. Il représente les forces du bon sens, de la sagesse, du respect, de la sollicitude et de la tendresse qui animent tant d’êtres humains et qui sont heureusement là pour contraster les forces aveugles, insensées et perverses du pouvoir, de l’avidité, de l’argent et du profit élevés à valeurs absolues et qui risquent, si elles ne sont  pas endiguées, de conduire l’humanité et la planète à  leur perte.

Les dernières paroles de Jésus sur la croix furent, malgré tout, des paroles de confiance et d’abandon dans la force de l’amour, personnifiée par son Père: «Père, entre tes mains je remets mon esprit». Ces paroles ont été sans doute proférées pour nous faire comprendre que même l’apparente faillite d’une existence n’est jamais un échec total, lorsqu’elle a été vécue pour implanter, dans une terre  déchirée par les attaques de la folie humaine, les semences divines de la sagesse et de l’amour.


MB







LA SYMBOLIQUE DU PAIN DANS L’ÉVANGILE



 Le jeudi avant Pâques, les chrétiens commémorent le dernier repas que Jésus a pris avec ses disciples avant sa mort. «Commémorer» est toujours se souvenir de quelque chose qui nous a touché profondément, et qui continue de nous émouvoir lorsque nous y pensons: naissance, mariage, décès d’une personne aimée, fin d’une guerre... En ce jeudi les chrétiens se souviennent avec émotion de Jésus qui, avant de mourir, s’est identifié symboliquement à du pain, pour signifier à ses disciples son désir de continuer, même après sa mort, à les nourrir de son esprit.

Au cours de la dernière cène, ce qui est digne de commémoration ce n’est pas tellement l’action matérielle de Jésus qui distribue du pain et du vin, mais le sens qu’il a attaché à ce geste, car ce sens nous concerne au plus haut point. Jésus a vu dans le pain et le vin l’image de lui-même: «Comme ce pain est là pour être brisé, donné, distribué, partagé et mangé, de la même façon moi, pour mes disciples, je me brise et je suis là pour être donné distribué, partagé et mangé». Par ce geste Jésus veut manifester son désir d’être pain et nourriture pour ceux et celles qui croient en lui. Il veut qu’ils soient pour toujours remplis de lui. Il désire qu’ils assimilent, qu’ils incorporent à leur existence son projet, son enseignement, les valeurs qu’il propose afin que toute la communauté de ses disciples devienne un seul esprit, un seul être, un seul corps, un seul pain grâce à  lui. Pour mieux exprimer ce désir de communion et d’unité avec ses disciples, l’évangéliste Jean, au chapitre quinze de son évangile, mettra sur la bouche de Jésus l’image de la vigne et du sarment: «Demeurez en moi, comme moi je demeure en vous. De même que le sarment, s’il ne reste pas attaché à la vigne, ne peut de lui-même porter de fruit, de même vous non plus, si vous ne demeurez pas en moi. Je suis la vigne, vous êtes les sarments…».

Et lorsque la communauté de disciples de Jésus se réunit comme communauté croyante (comme elle le fait tous les dimanches) et qu’elle veut manifester, par une gestuelle symbolique, qu’elle est une assemblée qui se nourrit de la parole et de l’esprit de son Maitre, c’est encore en recourant au signe du pain posé sur la table du repas quotidien, qu’elle trouve la meilleure façon d’exprimer cela. Le pain que la communauté des disciples de Jésus dépose sur la table de l’autel lorsqu’elle se réunit est donc là pour signifier que pour elle Jésus est encore et toujours la meilleure nourriture qui donne force et énergie à son existence; que Jésus continue d’être pour elle ce «pain de vie» qu’il faut manger pour rester en bonne santé et se garder en vie. Le pain de leurs «Eucharisties» est vraiment pour les chrétiens  le «sacrement», c'est-à-dire le signe visible et tangible de ce Jésus qu’ils doivent assimiler, faire passer dans leur vie, pour qu’elle soit transformée et changée.

Or ce Jésus que le disciple doit «manger»  et faire entrer dans sa vie, a été quelqu'un qui a vécu pour les autres et qui s’est mis aux services des autres, spécialement des plus pauvres, des plus démunies, des plus abandonnés et délaissés par la société. Il a été quelqu’un qui a aidé les gens à sortir de leurs peurs, de leurs égoïsmes, de leurs  avidités, de leurs repliements et enfermements. Il a soulagé  les souffrances du corps mais surtout celles de l’âme et de l’esprit. Il aidé les gens à se mettre débout,  à rependre confiance et à se réconcilier avec Dieu, la vie et les autres. Il a accueilli et aimé tous sans distinctions et sans faire de différences. Il a vraiment été un bon pain donné, distribué, partagé et mangé par tous et pour le bonheur de tous. Tous ont profité de la bonne saveur de sa présence. Tous ceux et celles qui se sont «nourris» de lui, sont repartis dans la vie avec un nouveau souffle et des nouvelles énergies. Jésus a vraiment été au service de tous. C’est pour cela que l’évangéliste Jean, lorsqu’il a relaté les événements de la dernière cène, au lieu de nous transmettre, comme les trois autres évangélistes, le récit de Jésus qui se présente comme pain donné, a préféré y insérer à la place le récit du lavement des pieds. Par cette narration il a voulu mettre en évidence l’attitude du service qui a caractérisé toute la vie du Seigneur, afin que les disciples s’en inspirent et la reproduisent dans leur existence.

C’est finalement toujours le même thème du don de Jésus aux autres dont il est question dans ce texte de la dernière cène, mais présenté tantôt comme le pain qui se donne et se partage et tantôt comme le serviteur qui se dépense et se sacrifie pour le bien-être des autres. Le récit de Jésus qui se met à genou et qui assume la position de l’esclave qui lave les pieds des convives est donc là pour faire comprendre aux chrétiens que seulement le don de soi et le service des autres sont les attitudes qui doivent désormais les distinguer. Seulement si le chrétien est capable de don et de service, il pourra dire qu'il se nourrit de Jésus et qu'il communie à son esprit. Sans cette attitude rendue réelle et opérative dans la vie du disciple, ses eucharisties du dimanche et ses communions ne sont que des gestes faux et vides de sens.

Ce que nous faisons ce soir, n’est pas différent de ce qui c’est passé à la dernière cène. Nous posons exactement les mêmes gestes symboliques que Jésus a posés et qui transmettent le même message que le Maitre transmettait à ses disciples. C’est à nous maintenant d’en comprendre le message, d’en cueillir le sens et de le faire passer dans notre vie. Nous sommes ici pour cela: nous nourrir de lui, afin de devenir comme lui serviteurs de nos frères.




BM  

mardi 8 avril 2014

POINT DE VUE CHRÉTIEN MODERNE SUR L’EUTHANASIE

L’EUTHANASIE - POUR UN DÉBAT PLUS SEREIN


PRÉLIMINAIRES
A l‘occasion du projet de Loi 52 sur l’Euthanasie que le Gouvernement du Québec s’apprête à discuter, l’archevêque de Montréal, Christian Lépine, a cru bon de divulguer en janvier 2014 une lettre pour aider les québécois à réfléchir sur les enjeux éthiques et religieux reliés à cette question.
Dans mon cas, la lettre de l’archevêque a atteint son but, car elle m’a obligé à réfléchir sur la question de l’euthanasie. Elle m’a surtout poussé à aller examiner de plus près la valeur des arguments sur lesquels l’archevêque s’appuie pour défendre le point de vue catholique sur cette question. J’avoue que j’ai été entraîné à cela plus par une réaction de malaise face aux propos de l’archevêque, que par l’envie d’intervenir dans un débat complexe et délicat. Si je me suis attelé à la tâche d’écrire sur ce sujet, c’est surtout parce que je ne veux pas que l’on pense que l’archevêque de Montréal est représentatif de tous les catholiques de son diocèse  et que tous rentrent de plein pied dans les contenus et la forme qu’il adopte pour présenter et exprimer ses idées.
L’archevêque a évidemment le droit d’avoir  et de défendre ses propres opinions sur la question de l’euthanasie. Il faut cependant qu’il sache que ce n’est pas l’importance de sa fonction, ni la portée de son autorité religieuse, ni le prestige de l’Institution qu’il représente qui confèrent nécessairement  poids et valeur à ses affirmations.
L’euthanasie (que le projet de Loi 52 qualifie comme «aide médicale à mourir») est normalement définie comme une intervention qui provoque volontairement la mort pour alléger la souffrance du malade.  
Étymologiquement le mot «euthanasie» vient du grec et signifie «bien mourir», c’est-à dire une mort qui se passe dans les meilleures conditions possibles autant physiques que psychiques, ce qui est précisément le but des soins palliatifs.
Aujourd’hui le langage courant distingue entre une «euthanasie passive« et une «euthanasie active». L’euthanasie passive est la forme la mieux acceptée d'assistance à la fin de vie. Elle consiste à arrêter les traitements (médicaments, alimentation ou hydratation artificielle), sur la demande du patient ou, à défaut, de sa famille. L'administration de substances destinées à diminuer les douleurs du patient ou à abaisser son niveau de conscience, mais qui peuvent avoir pour conséquence d'accélérer sa mort, entre également dans ce cadre.
L’euthanasie active ou directe sert à qualifier l’action médicale par laquelle un tiers (le personnel soignant) intervient directement et activement pour abréger ou mettre fin à la vie d’un malade en phase terminale qui l’a demandé ou le demande explicitement, car souffrant d’une douleur subjectivement insupportable.

C’est cette dernière forme d’euthanasie dont il est question dans cet article que  le projet de loi 52 du Gouvernent du Québec appelle  «aide médicale à mourir» .
Au Canada, alors que la loi criminalisant l’avortement a été abolie en 1988, celle qui criminalise l’euthanasie est toujours en vigueur. L’euthanasie est donc illégale. Il est évident que le gouvernement du Québec, légiférant sur cette délicate question, empiète sur la compétence du gouvernement fédéral en matière de droit criminel.

Fondamentalement la question posée par toute la problématique concernant l’euthanasie est la suivante: l’être humain a-t-il le droit de mettre fin à sa propre vie? L’humanisme moderne (qui s’émancipe des impératifs de la religion) reconnait de plus en plus le plein droit de l’homme sur sa mort, pourvu que les conditions légales soient respectées. L’Église, par contre, ne reconnait pas ce droit  et condamne le suicide et par conséquent l’euthanasie comme un glissement criminel vers une «culture de la mort» (pape Jean Paul II). L’Église refuse qu’on limite la valeur de la vie de quelqu’un à sa possibilité de vivre sans souffrance. Elle assimile l’euthanasie active à un meurtre ou à un suicide, dépendamment des personnes qui l’exécutent. C’est donc à cette forme d’euthanasie que s’oppose l’archevêque de Montréal, par un devoir de fidélité à la position traditionnelle de l’Église.

La question que je me pose ici  est la suivant: la religion chrétienne en général et l’Église catholique en particulier ont-elles l’autorité nécessaire pour se poser comme des instances éthiques susceptibles d’être écoutées? D’où leur vient l’autorité qu’elles pensent détenir?  Les sources ou les fondements «transcendants»  de leur autorité  sont-ils encore fiables, valables, et susceptibles d’être pris en considération dans le monde technique, scientifique, laïque et  multiculturel d’aujourd’hui? Si l’Église tient  à dire son mot  sur  l’euthanasie, son point de vue peut-il encore être présenté comme normatif? C’est cela que je voudrais  vérifier  dans la suite de cet article.


LE POINT DE VUE TRADITIONEL CATHOLIQUE SUR L’EUTHANASIE

Dans la première partie de cet article je me propose d’analyser brièvement les fondements doctrinaux de la position de l’Église sur l’euthanasie. Dans une deuxième partie, je présenterai l’approche moderne de cette question; approche qui a sans doute inspiré et facilité  la légalisation de l’euthanasie dans certains Pays de l’Occident.

Analyse des principes idéologiques de base qui soutiennent la condamnation catholique de l’euthanasie

1. Le commandement biblique:« Tu ne tueras pas». Ce «commandement» qui fait partie des «dix paroles» ou «décalogue» que l’on trouve dans livre de l’Exode (20, 2–17), et dans le Deutéronome (5,6–21) est considéré par l’Église comme promulgué directement par Dieu. En tant que «parole de Dieu», elle lui a conféré un caractère absolument obligatoire, même si dans la Bible il n’était qu’une directive pratique visant à rendre possible la vie en société. Dans le Deutéronome, ce commandement est immédiatement suivi de toutes sortes de tueries et d’exécutions punitives ordonnées par Dieu lui-même. Ce qui pousserait à croire que ce cinquième commandement n’est pas, après tout, si obligatoire que ça. En effet, une analyse plus approfondie de celui-ci porte à conclure que ce qu’il défend en réalité c’est plutôt le meurtre haineux, méchant et gratuit, perpétré par un juif contre un autre juif, soit pour assouvir sa haine, soit pour se procurer des avantages personnels. Ce qu’il défend serait donc l’assassinat prémédité par méchanceté. La traduction allemande de la bible traduit le « Tu ne tueras point» par un « Tu n’assassineras point ». Tuer alors pour de «bonnes raisons» serait tout à fait permis. Nous trouvons la confirmation de cela dans le fait que, d’une part la Bible est pleine de tueries commandées par Dieu lui-même contre les ennemis de son peuple et, d’autre part l’Église, le long de son histoire, ne s’est jamais gênée de prêcher et d’encourager les guerres saintes et d’exécuter les hérétiques et les ennemis de la foi.
Si le commandement «divin» semble donc ne défendre que le crime haineux et si, de toute évidence, on peut tuer pour de «bonnes raisons», pourquoi serait-il défendu de tuer par compassion, par pitié, par bonté, par humanité, parce que celui qui agonise sans espoir de guérison demande à être libéré de ses souffrances? Pourquoi serait-ce un crime, un «péché» tuer par amour? N’est-ce pas ce que nous faisons couramment avec nos petits animaux de compagnie lorsqu’ils tombent malades sans espoir de guérison ? Pour leur éviter une longue et inutile souffrance, ne les conduisons-nous pas alors, le cœur déchiré et les larmes aux yeux, chez le vétérinaire pour qu’il les endorme définitivement? Est-ce là une action blâmable? Qui pourra affirmer que celui qui a débranché l’appareil respiratoire de Georges Welby est un assassin ? Il est donc évident que l’on peut difficilement s’appuyer sur cette «parole» biblique pour justifier une opposition absolue à l’euthanasie.

2. L’axiome : «La vie est un don de Dieu et Lui seul a le droit de l’enlever». Un axiome est une proposition qui est reconnue comme vraie sans besoin de démonstration. Il y a d’innombrables axiomes (ou postulats) qui circulent dans la doctrine catholique et qui sont devenus des articles de foi. Dans l’Église les axiomes sont généralement des affirmations qui proviennent de personnages importants, d’auteurs ou de théologiens renommés. Ces affirmations à force d’être répétées, finissent par s’imposer comme des vérités incontestées. Et cela pour la simple raison que n’étant pas vérifiables, elles ne sont donc pas contestables. Voilà quelques exemples de ces axiomes: le péché originel; l’enfer, le purgatoire; l’incarnation de Dieu; la Bible comme Parole de Dieu; la valeur rédemptrice de la mort de Jésus; la Messe actualisation du sacrifice de la croix; la présence réelle du corps de Jésus dans l’hostie consacrée; le «caractère» sacré et indélébile de l’ordination sacerdotale dans celui qui la reçoit; l’efficacité automatique des sacrements, le baptême qui efface le péché originel; l’infaillibilité papale etc., etc., etc.
Les axiomes ont donc l’avantage d’éviter à ceux qui les proclament la fatigue et l’effort d’en prouver la vérité. L’axiome que la vie est un don de Dieu est le leitmotiv répété par tous les mouvements catholiques qui militent contre l’avortement et l’euthanasie. Voyons donc s’il est pleinement justifié.
C’est un fait que l’origine de la vie sur notre planète est un mystère que l’état actuel de la recherche scientifique n’a pas encore été capable d’expliquer entièrement. Et c’est un fait aussi que, par un réflexe très archaïque, les humains sont portés à recourir à Dieu pour trouver l’explication de ce qu’ils ne réussissent pas à expliquer ou à comprendre. C’est ce que font habituellement et très volontiers les religions, qui ont tout intérêt à faire intervenir Dieu le plus souvent possible dans la vie des humains. Le mystère des origines de la vie sur terre fournit à la religion une excellente occasion de l’attribuer à une intervention explicite de la divinité et d’enseigner a priori à ses fidèles que Dieu est l’auteur de la vie.

Si la première partie de cet axiome est discutable, la deuxième (Dieu seul a le droit de faire mourir) l’est encore davantage. Et cela pour trois raisons fondamentales:
Première raison: La métaphysique nous dit que si Dieu est Dieu, il est par définition immuable. Pour adopter la façon anthropomorphique de parler de Dieu propre à l’Église, on pourrait dire que c’est contre la nature de Dieu de changer d’avis en cours de route. En admettant comme possible le fait que Dieu puisse «donner» quelque chose en dehors de lui-même, il est certain qu’il ne peut pas donner une chose le matin et la reprendre le soir; donner d’une main pour reprendre de l’autre. Dieu ne peut pas donner provisoirement. Si Dieu donne quelque chose de ce qu’il est, il donne pour toujours; cela reste pour l’éternité. Les dons qui viennent de lui devraient être éternels.
La notion de don et l’action de donner sont des concepts qui font partie de la façon humaine de s’exprimer, mais ils n’ont pas le même sens lorsqu’on cherche à les appliquer à Dieu. Seulement pour les humains, individus distincts, limités et circonscrits par l’espace et le temps cela a du sens de parler d'une activité qui fasse passer quelque chose d’un individu à un autre. En effet, un humain n’étant pas tout et donc ne possédant pas tout, il peut toujours donner quelque chose à un autre individu qui en manque. Par contre, Dieu est l’Être infini, la Source de l’être et l’Intériorité de tout ce qui existe. Il n’existe donc rien en dehors de lui. Il ne peut donc rien donner qui soit différent de lui-même. Rien ne peut passer, pour ainsi dire, de l’intérieur à l’extérieur de Dieu, car rien n’existe en dehors de Dieu qui puisse être «donné» à une autre entité existante en dehors de Dieu. Dieu ne donne pas, il englobe, il inclut, il fait surgir de l’intérieur de lui-même; il se répand, il se manifeste, il partage ce qu’il est... On ne peut donc utiliser le mot «donner» lorsqu’on parle de la Réalité Ultime que dans un sens imagé et symbolique, faute d’une meilleure expression pour indiquer la communication amoureuse et gratuite que Dieu fait de lui-même dans l’univers.

Deuxième raison: Admettons la vérité de l’axiome ci-dessus et retenons comme vraie l’affirmation que la vie est un don de Dieu. Cette affirmation est lourde de conséquences qui ne vont pas tout à fait dans le sens des conclusions que l’Église voudrait en tirer. En effet, si Dieu m’a donné la vie, je peux en conclure que maintenant elle m’appartient. S’il me l’a donnée, c’est parce qu’il me fait confiance, car il sait que j’en ferai un bon usage. Il sait que je ferai tout pour qu’elle soit un reflet de sa perfection, de son amour et de sa beauté. Ma vie est donc à moi. J’en dispose comme je veux. Cette vie je la chéris parce qu’elle me vient d’une mère qui a eu juste le temps de me la donner et parce qu’elle est maintenant le seul souvenir qui me reste d’elle. Cette vie je l’aime, je la soigne, je la savoure, je la développe, je l’enrichis, je la partage, je la donne. À cause de sa qualité, cette vie donne valeur et dignité à mon existence. Elle me permet d’être humain. C’est pour cela qu’elle m’a été donnée. Et parce qu’elle est à moi, je pense avoir aussi le droit d’en disposer à ma guise le jour ou elle m’empêchera d’être et d’agir en humain. Lorsque ma vie aura fait son temps; lorsque le temps, qui rend toutes choses périssables, aura aussi consumé l’énergie qui l’allumait, en ce temps là, par respect pour ce don reçu de Dieu, par respect pour les personnes qui m’aiment et auxquelles je voudrais épargner le désagréable et douloureux spectacle de mon délabrement physique et mental, en ce temps je voudrais pouvoir décider quand la remettre entre ses mains, avant qu’elle ne soit trop ruinée et qu’elle ne soit plus présentable.
S’il est vrai que Dieu m’a donné la vie, il est peut-être vrai aussi qu’il a fait cela pour que moi-aussi je me situe dans la dynamique de son geste et que je la redonne à mon tour. Il m’a peut-être donné la vie pour que je la partage, pour qu’elle serve à insuffler plus de bonheur dans la vie des autres; pour qu’elle contribue à mieux les faire grandir, à mieux les faire épanouir. En en mot, cette vie je l’ai pour que je la donne. Je peux donc décider de la donner, si c’est par amour. C‘est à cela que suis appelé. Je peux décider de renoncer à vivre et demander à mourir, si cela sert à sauvegarder la valeur, la dignité, la bonté de mon existence et de celle des autres. Jésus l’a fait, Maximilien Kolbe l’a fait, une infinité de héros l’ont fait, qui ont volontairement accepté de mourir pour le bien des autres. Qui pourrait incriminer ces gens? Qui pourrait affirmer qu’ils sont suicidaires, donc transgresseurs et pécheurs parce qu’ils se sont attribués le pouvoir de renoncer à vivre, pouvoir qui appartient seulement à Dieu? Un malade en phase terminale qui demande l’euthanasie pour éviter à ses proches la douleur d’assister impuissants à sa souffrance et à son long et inévitable délabrement ; ou qui demande qu’on l’aide à mourir pour épargner aux siens de consistantes et inutiles dépenses d’argent dont ils ont peut-être besoin pour vivre; ou simplement pour déposer sa vie avec élégance et dignité, à cause de l’amour et du respect qu’il ressent pour sa vie et celle des ses proches …., un tel malade ne pose-t-il pas là un geste qui est beau, qui est grand, qui est magnifiquement humain? Qui pourrait dire que sa décision est mauvaise et éthiquement condamnable? Comme il y des cas où tuer un autre n’est pas un homicide, il y a des cas où se tuer soi-même ou demander de l’aide pour sortir de la vie, n’est pas un suicide. Il est donc évident que la condamnation catégorique et inconditionnelle du suicide (et par conséquent de l’euthanasie) est une position éthique insoutenable. Une telle condamnation ne trouve même pas d’appui dans la Bible, qui n’exprime aucune critique pour le suicide du roi Saul ou de Samson. Cela prive alors de sa valeur l’axiome qui affirme qu’à Dieu seul revient la décision ultime de mettre un terme à notre existence, sur lequel l’interdiction catholique du suicide est basée.

Troisième raison. Croire que «Dieu donne la vie et que lui seul est celui qui l’enlève» comme affirme l’axiome mentionné plus haut, c’est mettre en jeu la bonne renommée de Dieu; c’est transformer Dieu en un monstre sans cœur ou, tout au moins, l’impliquer dans toutes sorte d’affreuses situations. Est-ce Dieu qui enlève la vie lorsque des criminels, des violeurs, des psychopathes, des terroristes, des tortionnaires, des soldats… tuent, assassinent, font la guerre, font tout sauter en l’air ? Peut-on dire de ceux et celles qui sont morts victimes de la méchanceté, de la cupidité, de l’intolérance, de la violence, que leur mort est le résultat d’une décision aimante de Dieu, ou d’un plan qu’il avait prévu à l’avance? Peut-on, sans blasphémer, affirmer que Dieu a voulu que ces gens terminent ainsi leur existence; et que c’est de cette façon que Dieu, dans son infinie sagesse et bonté, a décidé de reprendre la vie qu’il leur avait donnée? A-t-on le droit d’impliquer Dieu dans de semblables méfaits, dans l’horreur de meurtres infâmes, sans le transformer en un être détestable et en un affreux complice de la haine et du mal? Peut-on dire aussi que tous ces malheureux qui meurent suite à des catastrophes naturelles; que tous ces innocents qui, à cause de l’injustice de nos sociétés, périssent par centaines de milliers partout dans le monde victimes de la pauvreté, de la faim, du manque de soins…, peut-on dire que tous ces gens meurent de cette manière parce que Dieu, dans son amour et sa bonté, a voulu utiliser ces moyens pour mettre un terme à leur vie ? Il est beaucoup plus simple et logique de dire que Dieu n’a rien à faire dans la mort de l’être humain; et que bien souvent ce sont des hommes qui décident quand d’autres hommes vont mourir
Ces considérations montrent au moins que cet axiome est loin d’être une vérité évidente  et qu’il existe de bonnes raisons pour le disqualifier.

3. L’axiome: La souffrance est bonne car elle sert à notre sanctification et à notre salut - « Jésus a sauvé le monde par sa souffrance» Dans la pensée de l’Église, ce troisième postulat est la suite logique du précédent. La vie est un don de Dieu, mais c’est un don amer qui doit être consommé dans une «vallée de larmes». De Dieu vient la vie et la souffrance qui l’accompagne. Pour l’Église catholique ce don de la souffrance qui assaisonne la vie du chrétien est tellement important qu’elle lui a conféré une «valeur salvifique» pour l’humanité. Dans la spiritualité chrétienne la valeur salvifique de la souffrance a été déclinée dans tous les cas, chantée sur tous les tons possibles et imaginables et présentée avec des variations qui déconcertent la sensibilité moderne. Voici quelques unes des ces principales variations: souffrance comme vengeance de Dieu; souffrance comme punition de Dieu à cause de la transgression; souffrance comme initiative pédagogique de Dieu en vue de la correction; souffrance envoyée par Dieu en vue de la conversion du pécheur; souffrance entretenue et souvent procurée en vue de l’expiation du mal commis; souffrance comme action aimante de Dieu en vue du salut du monde et acceptée pour participer à l’activité rédemptrice du Christ en croix. Ce thème de la souffrance rédemptrice du Christ à laquelle tout bon chrétien doit apporter sa contribution, revient comme un refrain dans grand nombre de documents anciens et récents de la littérature chrétienne.
Dans cette vision, la souffrance est autant l’instrument de la justice que de l’amour de Dieu; autant l’instrument de sa colère que de sa bienveillance et de sa grâce. Il faut donc accepter la souffrance, sinon avec joie, tout au moins avec foi; en croyant qu’à travers elle Dieu réalise son projet. Projet incompréhensible, certes, à notre pauvre entendement, mais toujours orienté vers notre plus grand bien. Il n’est pas trop conseillé de se l’infliger volontairement, même si une foule de héros de l’ascèse chrétienne ont essayé de conquérir par ce moyen les cimes de la sainteté. Cependant, lorsqu’elle arrive, il faut l’accueillir comme un «don de Dieu», l’accepter sans récriminations, ne pas trop chercher à la soulager, ni à l’abréger, ni à la supprimer, car elle plait à Dieu qui l’a même infligée à son Fils. C’est avec elle que Dieu éprouve notre foi et notre fidélité. C’est avec elle que nous construisons notre sainteté et que nous méritons notre salut éternel.
Pour la pensée catholique la souffrance est donc toujours salutaire; toujours méritée à cause de notre méchanceté foncière. Elle sert toujours une bonne cause: à prouver notre fidélité; à exercer notre endurance dans l’épreuve; à exprimer notre confiance en Dieu. Elle sert à nous convertir, à nous purifier du mal, à nous sentir plus proches du Christ qui, par ses souffrances a sauvé le monde. En souffrant avec Lui, nous apportons notre contribution à l’œuvre du salut et à la rédemption du monde. Dieu aime la souffrance de l’homme. Il aime faire souffrir les humains non seulement au cours de leur vie sur terre, mais aussi après leur mort. C’est dans ce but que pour les morts il a mis en place le «purgatoire». Il veut que les humains puissent continuer à souffrir même dans l’au-delà. Quand l’homme souffre, Dieu s’attendrit, il oublie ses péchés et lui ouvre les portes de son paradis.
Nous trouvons un exemple particulièrement significatif de l’apologie catholique de la souffrance dans la lettre apostolique «Salvifique Doloris» (1984) du pape Jean Paul II, que je conseille de lire pour comprendre à quelles extravagances et à quelles fabulations peut conduire l’adhésion acritique à la lettre de certains postulat théologiques. Je ne citerai ici que quelques perles de ce document papal. Le pape affirme que dans la vie d’un chrétien la souffrance n’arrive pas comme une mauvaise nouvelle, mais toujours comme une «Bonne Nouvelle». Le pontife insiste longuement sur «l’évangile de la souffrance» que Jésus aurait annoncé pour aider les humains à vivre plus heureux. La souffrance serait une « source de bienfaits»: «La souffrance, imprégnée de l'esprit de sacrifice du Christ, est précisément, d'une manière irremplaçable, la médiation et la source des bienfaits indispensables au salut du monde. Cette souffrance, plus que tout autre chose, ouvre le chemin à la grâce qui transforme les âmes. C'est elle, plus que tout autre chose, qui rend présentes dans l'histoire de l'humanité les forces de la Rédemption(27)». Dans ce même texte le pape a introduit un paragraphe qu’il n’aurait sans doute jamais composé, s’il avait pu connaitre à l’avance la dégradation et la décadence de ses derniers mois d’existence. Il écrit: «Lorsque le corps est profondément atteint par la maladie, réduit à l'incapacité, lorsque la personne humaine se trouve presque dans l'impossibilité de vivre et d'agir, la maturité intérieure et la grandeur spirituelle deviennent d'autant plus évidentes, et elles constituent une leçon émouvante pour les personnes qui jouissent d'une santé normale (26)». Écrire cela c’est, de toute évidence, n’avoir aucune idée du délabrement physique de la personne et des ravages opérés sur les facultés spirituelles d’un individu par le stade avancé d’une maladie mortelle. N’en déplaise au pape, il n’y a habituellement aucune maturité intérieure ni aucune grandeur spirituelle qui se dévoile au chevet d’une personne qui souffre à en mourir; mais seulement l’étalement angoissant de son extrême misère et de son immense fragilité.
La condamnation ecclésiastique de l’euthanasie trouve dans cette doctrine catholique sur la souffrance son fondement idéologique et sa justification.

 4. La mort est un mal – La mort est un bien. A ce point de mon exposé, je voudrais attirer l’attention sur certaines ambigüités de la pensée catholique à propos de la mort qui peuvent aider à mieux cerner attitude de l’Église  face au suicide et l’euthanasie. La doctrine théologique de l’Église qualifie la mort comme un mal. D’après la théologie catholique la mort n’a été ni inventée ni voulue par Dieu. Aux débuts, Dieu  avait créé l’homme immortel. La mort, ainsi que la souffrance, est la conséquence de la faute et du péché de l’homme. Elle est simultanément punition de Dieu et œuvre du démon. Jésus l’a assumée comme une malédiction qui pesait sur l’humanité afin de la détruire et de faire triompher la vie.
Parce que la mort est un mal et une œuvre du démon, l’Église en a peur. Elle considère la mort comme un moment spirituellement dangereux pour le chrétien en fin de vie et une occasion d’attaques particulièrement virulentes de la part du démon. Par des exorcismes, des invocations, des incantations et des rites propitiatoires l’Église se croit en devoir d’aider le mourant à neutraliser les assauts du diable. C’est probablement pour cette raison qu’elle cherche à retarder le plus possible le moment de cet affrontement, dans l’espoir que la purification du malade, opérée par la souffrance, le rende plus apte à combattre l’ennemi. La mort serait alors déclenchée par une décision de Dieu lorsqu’il juge le malade spirituellement équipé pour entrer en «agonie» (=lutte) et vaincre l’Adversaire.
Mais dans la tradition spirituelle chrétienne, la mort est aussi considérée comme un bien. Elle constitue pour le malade le moment de la libération de la souffrance et de son entrée dans la lumière, le repos et la paix de Dieu. Pour les anciens chrétiens la mort était le moment de leur deuxième naissance, de leur entrée définitive dans la vie et le monde de Dieu. Pour les mystiques chrétiens la mort était le moment le plus sublime dans la vie du croyant, car elle réalisait finalement la rencontre et l’union éternelle de deux amours qui, dans le temps, s’étaient longtemps et vainement cherchés. Tout au long des siècles les bons chrétiens, comme François d’Assise, ont apprivoisé la mort, en la considérant une bonne compagne, une sœur et une amie.
Si la foi chrétienne enseigne que la mort est la seule façon que nous avons de «voir Dieu» et de nous réaliser pleinement en tant que ses enfants, alors pourquoi celui qui, par l’euthanasie, hâterait volontairement l’accomplissement de ce merveilleux événement serait-il à condamner? Qui nous assure que cet événement lumineux sera de meilleure qualité parce que le malade s’est laissé macérer et décomposer jusqu’au bout dans un puits de souffrances? Qui nous assure que Dieu aimera davantage celui qui aura attendu avec crainte et résignation que la mort vienne enfin le sortir de sa misère? Qui nous dit que Dieu aimera moins celui qui se sera lancé volontairement vers lui, en ouvrent lui-même la porte afin de courir plus vite à sa rencontre? Si la mort est un «gain», comme l'affirmait saint Paul (Phil.1,21), pourquoi faudrait-il blâmer celui qui cherche à l’acquérir sans délais inutiles? Que de martyrs, de saints et de mystiques, dans l’histoire de la sainteté chrétienne, se sont volontairement faits mourir; ont délibérément écourté la durée de leur existence par des privations, des mortifications, des macérations et des pénitences de toutes sortes, afin de «gagner» le plus vite possible le bonheur éternel! Ne peut-on pas considérer cela comme une forme lente de suicide? Pourtant l’Église n’a que de l’admiration pour ces champions de la mort à petit feux et les propose comme des exemples à imiter.

5. «Glissements» et abus. Une autre raison de l’opposition de l’Église à la pratique de l’euthanasie est la peur des «glissements» éthiques et des abus qui peuvent se produire dans une société qui valorise exagérément la santé, la forme physique, la rentabilité, l’argent et le profit. Elle se pose des questions comme les suivantes: nos institutions de soins devenant des lieux où l'on peut provoquer la mort, ne courent-elles pas le risque de devenir des lieux ambigus, voire inquiétants ? Qu'en sera-t-il des dilemmes éthiques? De la relation entre collègues? Qu'en sera-t-il de la relation de confiance entre le médecin et le patient? Elle craint que la méchanceté humaine puisse produire des individus comme Hitler ou Staline, ainsi que des institutions (hospitalière ou autres) sans scrupules, manœuvrées par l’avidité et les intérêts économiques, capables  d’encourager  et de pratiquer l’élimination volontaire d’individus devenus un poids pour la société et un gaspillage inutile des ressources : les personnes atteintes de maladies dégénératives, les personnes handicapées, les personnes vivant avec un trouble de santé mentale, etc.
Ces craintes, si elles sont légitimes, sont aujourd’hui, à mon avis, injustifiées. Nos sociétés modernes ont grandement évoluées dans la garantie du respect de la personne. Elles sont régies par des lois et des Chartes basées sur les droits inaliénables et la valeur absolue de la personne. Ces lois dictent et encadrent de près le comportement responsable des employés des institutions publiques en général et des instituions hospitalière en particulier. Il est certain qu’aucune loi n’est à l’épreuve de l’astuce et de la perversité humaine et qu’il y aura toujours de possibles transgresseurs. Mais parce qu’il y a des automobilistes qui ne respectent pas les «stop», faudrait-il qu’il n’y ait pas de loi que les obliges à s’arrêter? Cela étant dit, il n’en demeure pas moins vrai qu’il est important d’encadrer la pratique de l’euthanasie par des lois, des règlements et une surveillance stricte afin que soit évitée toute occasion de possibles dérapages et c’est au législateur de veiller à ce que la loi soit tissée avec une précision telle qu’il devienne très difficile de se faufiler impunément entre ses mailles.
L’argument du «glissement» éthique souvent évoqué par les autorités religieuses pour s’opposer à l’euthanasie, ne peut que faire sourire lorsqu’on regarde le nombre d’êtres humains exécutés, au cours de l’histoire de l‘Occident chrétien, pour des raisons religieuses, ou tués dans des guerres de religion, ou persécutés pour leurs convictions. On se demande pourquoi, tout à coup, les représentants de cette même Église s’attendrissent sur le sort final des quelques malades qui demandent à mourir parce la maladie et la souffrance ont enlevé sens et valeur à leur existence.

Il y a un autre paradoxe dans le comportement de l’Église que je voudrais également souligner. On sait que l’Église catholique n’a jamais condamné officiellement ni la guerre ni la peine de mort. Elle a même appliqué et pratiqué cette dernière pendant des siècles. Aujourd’hui encore elle admet que des fonctionnaires de l’État puissent tuer délibérément un détenu qui est en parfaite santé physique et qui ne demande qu’à vivre. Par contre, elle s’oppose de toutes ses forces à ce que des médecins puissent intervenir pour mettre fin à la vie d’un malade en phase terminale qui ne demande qu’à mourir. Et cela même si leur geste est motivé  par un réel sentiment de compassion et d’humanité.
On doit admettre que le message que l’Église lance au monde avec cette incohérence est loin d’être évangélique. Ce message revient à ceci: tu peux tuer quelqu’un, si c’est par vengeance pénale, par punition étatique, par peur, par opposition  idéologique, pour défendre tes dogmes, pour assurer ton pouvoir, pour privilégier tes convictions… mais tu ne peux pas mettre fin à la vie de quelqu’un si c’est pour le seconder; pour son plus grand bien; par bienveillance, par bonté, par compassion …
Je suis parfois tenté de penser que, si l’Église tient tellement aujourd’hui à se présenter au monde comme une championne d’humanité, c'est pour faire oublier combien  dans le passé elle a été championne d’inhumanité.
  
LE POINT DE VUE MODERNE SUR L’EUTHANASIE

Je veux  d’emblée  mettre au clair un point: dans l’Église catholique pas tous les chrétiens se rangent derrière les positions du magistère officiel sur la question de l’euthanasie. Il existe un vaste secteur de croyants «modernes» qui ont abandonné les figures et les schémas intellectuels traditionnels à travers lesquels s’exprimaient et se transmettaient les contenus de la foi chrétienne. De sorte que l’on peut affirmer que beaucoup de chrétiens aujourd’hui perçoivent, comprennent et professent différemment les «vérités» que la religion propose à leur adhésion. Cela explique pourquoi la mentalité et la sensibilité avec lesquelles ces chrétiens approchent l’euthanasie est sensiblement différente de l’approche ancienne et traditionnelle de leur Église
La problématique concernant l’euthanasie est un fait récent qui ne s’est jamais présenté dans le passé quand l’espérance de vie était plus courte et la médecine plus primitive. On a commencé à en parler seulement à partir de le seconde moitié du siècle passé. Des cas fameux de malades (Georges Welby, Eluana Englaro, Chantal Sébire ) qui se sont battus, eux ou leur famille, pour que l’on mette fin à leur existence, ont beaucoup contribué à sensibiliser la société à la question de l’euthanasie. Cette question est donc reliée au vieillissement général de la population, phénomène typique des temps modernes, rendu possible grâce aux énormes progrès de la médecine. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, les dispositifs de la technique moderne sont capables de prolonger les fonctions physiologiques du corps humain au-delà des fonctions cérébrales qui régissent les activités proprement «spirituelles» de la personne, telles que la conscience, l’intelligence et la volonté, qui constituent les valeurs essentielles de la vie d’un être humain. Pour la première fois la technique moderne a la capacité de maintenir opératives les fonctions biologiques d’un corps humain que la maladie a cependant dépossédé depuis longtemps de son esprit.
Je voudrais présenter ici brièvement cette nouvelle façon chrétienne de croire, qui permettra de mieux comprendre la nouvelle position croyante face aux questionnements éthiques reliés à la cessation volontaire d’une vie humaine.

Le chrétien «moderne» n’est plus capable d’adhérer à la conception anthropomorphique et mythologique de Dieu propre aux contenus doctrinaux et dogmatiques de l’Église. Aujourd’hui, grâce au progrès des sciences et des connaissances, on n’a plus besoin de recourir, comme dans le passé, à l’«hypothèse-Dieu» pour expliquer le monde, la nature et les phénomènes naturels. Le monde moderne a pris conscience de l’autonomie du cosmos et de l’être humain. Il a donc définitivement abandonné la croyance en un monde surnaturel qui existerait réellement «au-dessus» et «au-delà» de notre monde humain. La modernité a pris conscience du caractère illusoire et fantastique du monde de l’au-delà conçu comme le «lieu» de résidence d’une divinité toute-puissante qui nous dominerait, de laquelle nous serions dépendants et qui interviendrait dans les affaires des humains. Cette conception anthropomorphique de Dieu est le produit d’une culture primitive dans laquelle le mythe, l’ignorance, la peur et le besoin de sécurité ont joué un rôle prépondérant. Cette image de Dieu a constitué une étape provisoire dans l’histoire de l’humanité et est maintenant totalement dépassée par les rythmes de l’évolution humaine.

Les croyants modernes sont davantage portés à penser que «Ce» que nous appelons «Dieu» n’a pas d’existence en dehors de ce qui existe. Et puisque, de toute évidence, cet Univers, visible et invisible est toute la réalité qui existe, ils en concluent que c’est dans cet Univers que Dieu est et que c’est dans cet Univers et non pas en dehors de lui qu’il faut le chercher. Mieux encore, ils soupçonnent que «Dieu» est ce qui existe et que donc l’Univers est, peut-être, la forme que Dieu prend pour exister; et que Dieu devient «reconnaissable» et «dicible » lorsque dans le cosmos apparait une structure intelligente capable de le penser et de le dire.

Les chrétiens modernes préfèrent donner à Dieu des noms qui sont plus conformes à leur perception de la réalité et qui expriment, sans doute mieux, leur nouvelle façon de ressentir et de comprendre sa nature, son action et sa présence dans le monde. Ils l’appellent de différents noms: «Mystère Originel, «Fondement de l’être», «Source de l’être», «Profondeur de la réalité», «Réalité Spirituelle Originelle», «Prodige Originel». Ils préfèrent cependant le penser comme «Amour ou Énergie spirituelle d’Amour» qui serait au fond de toute réaction, de tout mouvement, de toute transformation, dans toute l’évolution de la réalité, jusqu’à produire l’homme dans lequel l’Énergie Spirituelle d’Amour se manifeste et se concrétise d’une manière particulièrement accomplie et consciente. La présence de l’Amour dans l’homme est alors vue et comprise comme la plus stupéfiante incarnation du Mystère Originel dans notre monde. Dieu est ainsi conçu comme une Réalité qui n’est pas «en-dehors», ni «au-delà» ni «au-dessus» du monde, mais qui est à l’intérieur ou plutôt qui est l’intérieur de l’Univers existant. Le cosmos est compris comme la manifestation ou l’expression ou l’incarnation même du Mystère Originel.

L’Esprit Originel d’Amour (Dieu) qui se manifeste dans l’Univers et à travers l’Univers, trouve dans l’être humain son expression et son incarnation la plus parfaite. Dans cette vision, l’homme apparait alors comme le lieu conscient et actif de l’amour dans le monde. Rendre présent et opérant l’Amour est la raison de la présence de l’Humain dans le cosmos. On peut donc dire que l’homme est ce qu’il est, donc humain, parce qu’il a été «produit» pour aimer. L’Amour est sa seule raison d’être et la seule raison de son être. Être présence d’Amour dans le monde, exprimer l’Amour, donner de l’Amour, répandre l’Amour, tel est le but de son existence. Il n’est humain qu’à cause de cela et pour cela. Il n’a la vie que pour aimer. Il vit véritablement aussi longtemps qu’il est capable d’aimer. La vie qu’il possède peut être considérée comme valable, digne d’être protégé et gardée tant et aussi longtemps qu’elle reste «humaine», c’est-à-dire apte à aimer. Cela signifie que lorsque l’homme n’est plus capable d’aimer, il n’est plus capable de vivre. Cela signifie que la fin de l’amour constitue aussi la fin de sa vie. Or aimer c’est entrer en relation. Aimer c’est la capacité de vivre une relation consciente et affective avec d’autres personnes. Lorsque la maladie a détérioré les conditions physiques au point d’induire un état quasi permanent d’inconscience ou un coma irréversible qui rend définitivement impossible toute relation d’amour, dans ces cas, le croyant moderne ne ressent aucun scrupule, ni religieux ni éthique, a demander pour soi la possibilité de mettre fin à une existence qui pour lui n’a plus aucune vie. Dans ce cas, l’euthanasie ne fait que mettre fin aux fonctions physiologiques d’un corps qui déjà n’a plus ni aucune vie ni aucune possibilité de vie. Parfois la décision de l’euthanasie, si elle vient de la volonté du malade, peut être inspirée par le désir de mourir vivant, plutôt que de sortit déjà mort de l’existence.

Dans cette nouvelle vision, la vie de l’homme est en fonction de l’amour qu’il doit donner. Lorsque la vie n’est plus capable de dégager de l’amour et n’est plus apte à faire le bonheur des autres, mais se transforme en un obstacle à leur bien et à leur bonheur, le malade moderne en phase terminale pense, qu’en ce cas, sa conscience l’autorise à en disposer. Lui, non pas les autres. Il pense en plus que, si le fait de mourir épargne veilles, soucis, inquiétudes, anxiétés, souffrances, angoisses à ses proches, ainsi qu’utilisation coûteuse prolongée d’équipements sophistiqués et de compétences médicales qui pourraient être plus utilement employées pour d’autres, alors, en ce cas, demander explicitement à mourir peut constituer le dernier geste d’amour qui, semblable à l’explosion finale d’un orchestre, conclut avec éclat et panache la symphonie de son existence. Il fait à ce moment ce que le poète latin Horace décrivait avec l’expression du «conviva satur» ou du « convive rassasié» qui se lève satisfait et reconnaissant de la table du banquet pour que d’autres puissent s’y asseoir. Pour le malade de la modernité, demander qu’on l’aide à mourir plus vite peut constituer la façon la plus chrétienne, la plus humaine et aussi la plus galante de sortir de la vie. Ce chrétien pense qu’antéposer le bien-être des autres à son propre instinct naturel de conservation, est encore la façon la plus vertueuse et la plus humaine de mourir.

La façon moderne de concevoir Dieu influence donc nécessairement l’attitude que le croyant assume devant sa mort. Puisque la dépendance à Dieu n’est plus comprise comme la soumission d’une sujet à un souverain absolu ou d’un esclave à un maitre tout-puissant qui a droit de vie et de mort sur ses dépendants, celui-ci sent qu’il a son mot à dire autant sur la qualité de sa vie que sur la qualité de sa mort.

En plus, étant donné que le chrétien moderne ne croit plus à un Dieu qui interviendrait de l’extérieur pour lui imposer sa volonté ou lui dicter les normes du bien et du mal, il retrouve son autonomie dans le monde. Il n’est plus handicapé par la peur d’une condamnation divine ou d’un châtiment éternel. Il se sent donc libre dans ses décisions et responsable de ses actions. Il cherche et trouve en lui les valeurs et les principes qui guident et orientent son comportement. Il sait qu’il ne doit pas rendre compte de ses actions à aucun juge divin assis là-haut dans le ciel, mais seulement à sa conscience et à la société de ses frères humains. Il n’est donc plus conditionné dans ses choix par des lois, des commandements, des règles, des normes, des codes éthiques, des interdictions que la religion lui a présentés comme venant de Dieu et comme constituant une obligation absolue. Il sait que la seule obligation qu’il a en tant qu’humain est celle d’aimer et que l’amour est la seule norme qui doit guider son comportement, s’il veut rester humain. Il ne se sent lié ni aux commandements bibliques ni aux postulats ou axiomes doctrinaux sur lesquels la tradition religieuse s’appuie pour s’opposer à l’euthanasie. Commandements et postulats qu’il relativise et desquels il n’hésite pas à s’écarter, s’il le juge nécessaire pour son bien et le bien de ceux qui l’entourent.

Le chrétien moderne ne croit plus à la valeur chrétienne d’une «souffrance rédemptrice». De sorte que le malade terminal, lorsque l’évolution de la maladie lui cause une souffrance insupportable, irréversible, dégradante, avilissante, destructrice de son cœur et de son esprit, à cause du respect qu’il a pour lui et pour les autres, se croit en droit de demander qu’on l’aide à mourir. Et il ne devrait y avoir aucune loi qui l’empêche de le faire. Une telle loi serait injuste, car elle irait finalement contre le bien de la personne, c’est-à-dire contre le bien que ce malade, en toute lucidité, juge être en ce moment le sien. Et qui pourrait avoir la prétention de contredire la décision du malade qui demande à mourir, en lui objectant qu’il connait mieux que lui où se trouve son bien véritable?
Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, le malade est conscient des droits inaliénables qu’il possède en tant que personne. Il sait qu’il est le sujet du droit et non pas un objet des lois. Il connait sa valeur, sa dignité et sa liberté. Et cette liberté il veut l’exercer, surtout au moment où il faut qu’il gère la conclusion de son existence. Il veut donc avoir le droit de choisir la qualité de sa mort comme il eu le droit de choisir la qualité de sa vie. Il veut qu’on lui reconnaisse également le droit de choisir entre une qualité de vie et une quantité de jours à vivre dans la souffrance et la déchéance. Il veut avoir son mot à dire pour déterminer quand et comment il va mourir. Il veut que sa fin soit le point d’orgue qui conclut une symphonie et non l’affreux spectacle d’un délabrement et d’une décomposition qui afflige et dégoûte ceux qui sont obligés d’y assister. Il ne considère pas son geste et sa décision de se faire mourir comme un crime ou un suicide, mais comme un geste de respect envers sa dignité, comme un acte d’amour envers ses proches et, s‘il est croyant, comme l’expression d’une espérance qu’il cherche à approcher, la manifestation d’un désir qui le pousse à se fondre, sans trop de délais, avec la Source Originelle de son être.

POINT DE VUE PERSONNEL ET CONCLUSION

            Comme nous l'avons vu les fondements doctrinaux et les axiomes sur lesquels se base l'Église catholique pour condamner l'euthanasie sont pour la plupart discutables, voire réfutables, si on les analyse de manière plus approfondie et apparaissent dépassés au regard du chrétien moderne.
Il n'en reste pas moins que l’Église a fondamentalement raison de proclamer et de défendre de toutes ses forces le caractère intouchable, inviolable, inaliénable et «sacré» de la vie humaine.
L’Église a raison de considérer la vie comme étant le bien le plus précieux de l’homme et de le comparer, d’une façon imagée, à un «don» venant de Dieu. Par cette image elle veut signifier et faire comprendre que personne sur cette terre n’a le doit d’y toucher.
L’Église a raison d’affirmer que tous les humains son égaux devant Dieu et qu’ils ont donc tous la même valeur et la même dignité. Par conséquent, elle a raison de dire que personne ne peut «jouer à être Dieu»; que personne ne peut se croire au-dessus des autres et supérieur aux autres au point de s’arroger le droit et le pouvoir de décider d’enlever la vie à une personne innocente et malade, même si elle est en fin de vie.
L’Église a raison de qualifier une telle attitude de «criminelle» et de la condamner inconditionnellement.

L’Église a donc de bonnes et sérieuses raisons de s’opposer à l’euthanasie. Son attitude manifeste le souci réel qui l’anime d’être et de se présenter à la face du monde comme une Institution qui défend la cause de l’homme et qui prend fortement parti pour la vie de l’homme. Et cela est tout à son honneur.
La posture de l’Église face à la vie humaine devrait inspirer et orienter l’esprit et les contenus des législations civiles et les politiques des gouvernements modernes.

Il faut aussi qu’il soit clair que, théoriquement, dans une société idéale, la question de l’euthanasie ne devrait même pas se poser. Si le but de l’action politique est celui de créer et d’assurer les conditions optimales du bien-être des citoyens, l’État se doit de mettre en place toutes les structures nécessaires pour que le citoyen malade en phase terminale n’ait jamais à subir des conditions d‘hospitalisation tellement mauvaises et inadéquates que la seule issue qui lui reste pour abréger son état de souffrance et d’abandon soit celle de demander l’euthanasie ou, comme on dit au Québec, de «l’aide à mourir. Dans un monde idéal donc, il ne devrait pas exister de société dont les responsables politiques soient obligés de légiférer pour permettre que l’on aide un malade à mourir parce que les conditions de son existence sont devenues tellement invivables qu’il préfère mourir plutôt que de continuer à vivre.

Le système politique qui gouverne un Pays subit un revers et une défaite chaque fois que des citoyens atteints d’une maladie grave, évolutive ou terminale demandent qu’on les aide à mourir parce qu’ils ne trouvent pas dans l’institution hospitalière la qualité de soins qui améliore la qualité de leur vie, qui respecte leur dignité et qui rende leur souffrance tolérable.

Il faut donc qu’il soit clair  que l’expression  «aide médicale à mourir», dont il est question dans le projet de Loi 52 du Gouvernement du Québec,  n’est pas un synonyme déguisé  ni  de «soins médicaux», ni de «soins palliatifs»,  mais plutôt la  reconnaissance de la faillite des uns et des autres dont aucune société ne devrait être fière.
S’il y a donc une action à entreprendre contre le recours à l’euthanasie, c’est n’est pas tellement celle de partir en croisade contre «une culture de la mort»; ou de s’attrouper pour crier publiquement de respecter la vie; ou de fulminer contre les gouvernants laïcs, impies et libertins qui approuvent des lois qui permettent le mal et le «péché». S’il y a une action à entreprendre c'est plutôt celle de conscientiser les responsables politiques des priorités à respecter dans les programmes sociaux. En ce sens, il y a peut-être à se mobiliser pour leur faire savoir que l’on considère éthiquement irresponsable, injuste, inhumaine et aberrante une politique qui dépense plus d’argent dans les armements et la guerre que dans les soins de santé. S’il y a une action à entreprendre au niveau politique, c'est celle de voter pour des candidats qui ont une valeur humaine incontestable, du souffle intérieur, de grandes visions et de grands projets ; c'est celle de s’assurer que ces candidats soient des personnes compétentes, honnêtes, responsables, animées par un vrai désir de s’engager au service de leur Pays dans le but d’améliorer les conditions de vie de tous les citoyens. S’il y un action à entreprendre c'est celle de faire pression sur les instances décisionnelles pour que l’État investisse davantage dans la création d’infrastructures de santé modernes et efficaces; et, pour la question qui nous intéresse ici, dans la mise en place d’unités de soins palliatifs suffisantes et de qualité, c'est-à-dire bien équipées, bien administrées et desservies par un personnel professionnel, spécialisé et dévoué. Ces investissements dans le secteur des soins palliatifs sont rendus d'autant plus nécessaires que le vieillissement de la population dans nos pays occidentaux ne fait que croître. Si on considère que dans certaines régions du Québec, jusqu'à 80% de la population ne peut avoir accès aux soins palliatifs, on voit aisément où le gouvernement de cette Province devrait mettre ses priorités, avant même de penser à faire une  législation pour rendre acceptable ou possible l’euthanasie.

Dans une société bien organisée le malade en fin de vie est pris ou devrait normalement être pris en charge par les centres de soins palliatif qui l’assistent et l’accompagnent tendrement jusqu’au moment de sa mort. Le but des soins palliatifs est précisément de faire pour le malade « tout ce qui reste à faire, quand il n’y plus rien à faire», d’être à l’écoute de ses besoins et de lui assurer toute l’aide médicale, les soins, le confort, le support psychique et spirituel nécessaires pour qu’il puisse aller vers sa mort d’une façon naturelle, agréable et sereine, en gardant le long de ce pénible chemin une qualité de vie acceptable.
Il est important de noter que les soins palliatifs sont administrés dans un contexte d’approche globale qui cherche à tenir compte de tous les aspects de la vie du patient: ses convictions, ses croyances, sa culture, sa sensibilité, son degré de tolérance à la douleur, ses peurs, ses angoisses, son entourage, ses proches …. Il est aussi important de savoir qu'autant l’acharnement thérapeutique que la pratique de l’euthanasie vont contre la finalité des soins palliatifs

Cela étant dit, il ne reste pas moins vrai que la question fondamentale à laquelle on est confronté et à laquelle il faut donner une réponse est la suivante: qu’est ce qui arrive et comment faut-il se comporter si un malade atteint d’une maladie évolutive ou terminale, malgré le fait d’être pris en charge par un centre de soins palliatifs, malgré le fait de recevoir les meilleurs soins et d’être entouré des meilleures attentions possibles, décide quand même de mettre un terme à sa vie et demande, en pleine lucidité d’esprit, de une aide médicale pour mourir? Le débat sur l’euthanasie est né de l’effort des gouvernements modernes de trouver une solution et une réponse à cette situation bien concrète.

Il y a des Pays (comme par exemple la Belgique) qui, dans un souci de respect des droits et des libertés de la personne, ont légalisé l’euthanasie, en élaborant des lois qui permettent au personnel soignant de donner une réponse positive au patient qui demande de l’aide pour mourir.
D’autres Pays (comme le Canada), appuyés et soutenus en cela par le Vatican, s’opposent catégoriquement à toute participation directe dans l’exécution de cette demande et condamnent l‘euthanasie comme un crime.
Dans les Pays où l’aide à mourir  (l’euthanasie) est légale, le personnel soignant et la famille du patient devraient accéder à la demande du malade, après s’être bien assuré que toutes les conditions prévues par la loi sont vraiment respectées. Par contre, là où l’euthanasie n’est pas permise, le personnel soignant doit s’abstenir de toute action directe visant à procurer la mort du patient.

Il est normal que, même là où l’euthanasie est légalisée, la première réaction du personnel soignant et de la famille envers le malade qui demande de l’aide à mourir soit celle de l’opposition et du refus. Il est normal que des médecins soulèvent des «objections de conscience».  Après tout ils sont là pour aider à vivre et non pas pour aider à mourir. Je pense cependant, que le respect que ceux-ci doivent au malade ne doit pas disqualifier à priori son désir et sa décision et ne doit pas les transformer ni en juges malveillants ni en défenseurs inflexibles de leurs propres certitudes ou de leurs croyances. La considération de ce que le malade lucide pense être son plus grand bien, doit toujours avoir le dessus sur les convictions ou les sentiments personnels des médecins et de la parenté.

Les considérations exposées plus haut dans cet article pourront aider les professionnels soignants et la famille du malade à avoir une approche plus éclairée, plus dégagée, plus humaine, moins entravée par les tabous, les interdits, les préjugés religieux et culturels dans les soins apportés au malade en fin de vie. Ces observations pourront aider aussi à trouver de nouveaux repères; fournir de nouveaux éléments de réflexion pour assumer une posture plus sereine, plus ouverte sur la question de l’euthanasie; ouvrir aussi des pistes pour que les intervenants puissent relativiser des idées et des convictions établies, dépasser les barrages psychologiques et religieux venant d’une vision pré-moderne et obsolète de la réalité et intervenir sans être trop tourmentés par les remords d’une conscience qui n’avait jamais été peut-être suffisamment éclairée.



BM

samedi 5 avril 2014

LA DIMENSION SPIRITUELLE DE L'ÊTRE HUMAIN

La dimension de la profondeur dans l’homme


L’être humain n’a pas seulement une apparence extérieure, constituée par son expression corporelle. Il n’a pas seulement une intériorité établie par son univers psychique. Il a aussi une profondeur qui fonde sa dimension spirituelle. L’esprit n’est pas une partie de l’être humain parmi tant d’autres. L’esprit c’est l’être  humaine tout entier qui, à travers sa conscience, se découvre comme part d’un Tout et comme intrinsèquement connecté à Lui. A cause de l’esprit qui nous habite, nous pouvons transcender les simples apparences et aller au-delà de ce que nous voyons, écoutons, pensons et aimons. Nous pouvons saisir le côté caché des choses, c’est-à-dire leur profondeur. Les choses ne sont pas seulement des «choses». L’esprit a la capacité de voir en elles des symboles, des métaphores, des signes d’une autre réalité qui est présente en elles, mais qui n’est pas limitée par elles, étant donné qu’elle les déborde et les dépasse de partout. Les objets du monde matériel pointent vers, renvoient à une autre dimension que nous appelons «profondeur».

Alors une montagne n’est pas seulement une montagne. Par le fait même d’être une montagne, elle nous transmet le sentiment de la majesté. La mer évoque la vastitude; le ciel étoilé l’immensité; le visage ciselé du vieillard, nous rappelle la dure lutte pour l’existence; les yeux lumineux de l’enfant, le mystère de la vie.

C’est une caractéristique de l’être humain, porteur d’esprit, d’intercepter, de percevoir valeurs, significations et sens dans la réalité qui l’entoure et non seulement d’énumérer des faits et des actions. En effet, ce qui compte vraiment pour les personnes, ce n’est pas tellement ce qu’il leur arrive, mais le sens que cela a pour leur vie et le type d’expérience que les choses et  les événements suscitent.

Tout ce qui  nous arrive, porte existentiellement un caractère symbolique, nous pourrions même dire, sacramentel. Déjà Goethe disait: « Tout ce qui est  passager, n’est qu’un signe» ( Alles Vergängliche ist nur ein Zeichen). Et c’est le propre du signe-sacrement de rendre présent un sens plus grand, transcendent, de le réaliser dans les personnes et d’en faire un objet d’expérience …     

C’est pour cela que nous remplissons nos foyers avec les photos de nos parents, de nos grands-parents, de nos amis, de tous ceux et celles qui sont entrés dans notre vie et qui ont de l’importance et de la valeur pour nous. C’est la dernière chemise du père mort d’un infarctus à 54 ans; le peigne en os de caribou de la grand-maman; la petite rose séchée dans un livre que notre amoureux nous a un jour glissée dans les cheveux. Ces choses ne sont pas seulement des simples objets. Elles sont des sacrements qui parlent à notre âme; qui nous rappellent des personnes aimées et des  événements qui ont marqué nos vies.

L’esprit nous permet de faire une expérience de non-dualité qui a été si bien décrite par le bouddhisme zen. «Tu es le monde, tu es le tout» proclament les Upanishad de l’Inde, pendant que le gourou indique l’univers. « Le royaume de Dieu est en vous», affirmait Jésus. Ces expression nous renvoient à une expérience vivante, plus qu’à une simple doctrine.

L’expérience de base consiste en ce que nous sommes liés et reliés (d’où le mot religion)  les uns aux autres et tous à la Source Originelle de l’être. Un fil d’énergie, de vie et de sens traverse tous les êtres, en faisant d’eux un cosmos au lieu d’un chaos, une symphonie au lieu d’une cacophonie. Blaise Pascal, qui en plus d'être un mathématicien de génie était aussi un mystique, a dit: «Dieu on le sent par le cœur et non pas par la raison» (Pensées, frag. 277). Ce genre d’expérience transfigure tout. Et tout reste imprégné de vénération et d’émerveillement.

Les religions sont finalement le résultat de cette expérience spirituelle. Elles sont postérieures à elle. Elles articulent cette expérience en doctrines, rites, célébrations et chemins éthiques et spirituels. Leur fonction principale consiste à créer et à offrir les conditions nécessaires pour permettre aux individus et aux communautés de s’immerger dans cette réalité divine et arriver à faire une expérience personnelle de l’Esprit Créateur. Malheureusement, grand nombre d’entre elles ont été infectées par le fondamentalisme et le doctrinalisme qui rendent difficile l’expérience spirituelle.

Cette expérience, par le fait d’être une expérience et non pas une doctrine, dégage sérénité et une paix profonde, accompagnée d’absence de peur. Nous nous sentons aimés, enlacés, accueillis dans le Sein Divin. Nous sentons que tout ce qui nous arrive, ne nous arrive pas en dehors de son amour. Même la mort perd son caractère effrayant, et nous l’assumons comme faisant partie de la vie et comme le moment chimique d’une grande et mystérieuse transformation qui nous permet vraiment de nous poser et reposer dans le Tout, dans le cœur de Dieu. Nous avons besoin de passer par la mort pour vivre davantage et pour vivre mieux.

Leonardo Boff, La dimension de lo profundo: el espiritu y la espiritualidad, traduit de l’espagnol par Bruno Mori 



           

LE RICHE ET LE PAUVRE

Le riche qui n’a pas de nom
(Luc 16)


Venons-en à l'histoire du riche et du pauvre Lazare : le riche, finalement, nous ne savons pas grand chose de lui; il n'est pas dit qu'il soit spécialement méchant, au contraire, puisqu'il pensera même plus tard à sauver ses frères de l'enfer. Simplement, il est dans son monde, dans son confort, dans sa tour d'ivoire. Il n’a pas de nom. Il est identifié seulement par ses avoir : il est celui qui porte des vêtements de luxe et qui fait des festins somptueux. C’est  un être sans visage et donc sans relations, car cesont nos relations qui nous identifient en tant que personne. Pour lui les autres n‘existent pas. Il ne les voit pas. Il est tellement  tourné et fermé sur lui-même qu'il ne voit même pas, à travers son portail, le mendiant qui crève de faim à sa porte. Il est totalement  aveuglé par la splendeur de sa richesse et rendu indifférent et insensible à la misère du monde.  

Le mendiant, lui, a un nom « Lazare » qui veut dire « Dieu aide » et cela, déjà, est tout un programme: Dieu l'aide, non parce qu'il est vertueux, on n'en sait rien, mais parce qu'il est pauvre, tout simplement. Voilà peut-être la première surprise que Jésus fait à ses auditeurs en leur racontant cette parabole : car, en fait, cette histoire, ils la connaissaient déjà, c'était un conte bien connu, qui venait d'Égypte ; les deux personnages étaient un riche plein de péchés et un pauvre plein de vertus : arrivés dans l'au-delà, les deux passaient sur la balance: et on pesait leurs bonnes et leurs mauvaises actions. Et au fond la petite histoire ne dérangeait personne : les bons, qu'ils soient riches ou pauvres, étaient récompensés... les méchants, riches ou pauvres, étaient punis. Tout était dans l'ordre.

Jésus bouscule un peu cette logique : il ne calcule pas les mérites et les bonnes actions ; car, encore une fois, il n'est dit nulle part que Lazare soit vertueux et le riche mauvais ; Jésus constate seulement que le riche est resté riche sa vie durant, pendant que le pauvre restait pauvre, à sa porte: c'est dire l'abîme d'indifférence, ou d'aveuglement si vous préférez, qui s'est creusé entre le riche et le pauvre, simplement parce que le riche n'a jamais entrouvert son portail au pauvre. Jésus condamne donc ici, non pas la richesse, mais l’indifférence, l’insensibilité,  l’égoïsme, le manque de partage…  « Tu possédais  et tu as tout gardé pour toi;  tu savais que quelqu’un quémandait à ta porte et tu as fait semblant de ne pas le voir…Voilà la faute, le péché, le drame!!! Voilà  condamné,  une fois  pour toutes, notre capitalisme sauvage, la loi du profit à tout prix et à n’importe quel prix, de la consommation indiscriminée et effrénée qui caractérise la politique commerciale et l’économie de notre société moderne. Voilà la cause des disparités flagrantes et généralisées qui existent dans notre monde où une petite minorité de riches, constituée des multi-nationales, des puissances financières, contrôlent, et exploitent les 3/4 des ressources et des richesses de la planète, laissant le reste de la population mondiale dans un état de pauvreté et de détresse chroniques.

Jésus nous enseigne ici  ce que les sciences de la terre et de la vie sur la planète nous disent depuis toujours : la loi fondamentale de l'univers n'est pas la concurrence, l’accaparement, le tout pour soi et tant pis pour les autres; ce n’est pas se hausser, grandir, s’enrichir sur le dos des autres, mais la coopération, le partage, chercher la participation du plus grand nombre, la sollicitude et le souci pour tout ce qui nous entoure… Car ceux-ci sont les comportements qui produisent l’enrichissement véritable, en plus d’être justes, universels et équitables. Toutes les énergies du monde, tous les êtres vivants, des bactéries aux êtres les plus complexes, tous sont interdépendants et ne vivent que parce qu’ils échangent et partagent. Un réseau de connexions et de liens nous relient de tous côtés, et fait de tout ce qui existe sur cette planète des êtres coopératifs et solidaires

 C’est grâce à ces connexions et à cette interdépendance de tous les êtres de la nature (l’équilibre des écosystèmes) que l’humanité a pu vivre jusqu'à maintenant et c’est seulement si elle est capable des maintenir ces connexions  qu’elle pourra  espérer  avoir encore un avenir. 

A la place des échanges et du commerce compétitif dans lequel un seul gagne au détriment de tous les autres, nous devons promouvoir des échange et un marché de complémentarité et de coopération et, pourquoi pas, de solidarité et d’aide. Pour vivre humainement nous avons inventé l’économie, la politique, la culture, l’étique et la religion. Mais nous avons corrompu et déformé ces réalités « sacrées » en les empoisonnant avec le virus de la compétition farouche, de l’individualisme, avec une idéologie du capital, du profit et de la consommation qui épuisent notre planète, créent une pauvreté toujours plus grande et mènent  inévitablement l’humanité à sa perte ( L. Boff).


On l'aura remarqué : Abraham est cité sept fois dans cette page ; c'est donc sûrement une clé du texte. Au fond, la question de Jésus c'est « qui est vraiment fils d'Abraham ? » et sa réponse : si vous n'écoutez pas la Loi et les Prophètes, si vous êtes indifférents à la souffrance de vos frères, vous n'êtes pas les fils d'Abraham. Jésus va encore plus loin: le pauvre aurait bien voulu manger les miettes du riche, mais c'étaient plutôt les chiens qui venaient lécher ses plaies ; or les chiens étaient des animaux impurs... ce qui fait que même si le riche pieux s'était donné la peine d'ouvrir son portail, il aurait été choqué de toute façon et il aurait fui cet homme impur léché par les chiens... La leçon de Jésus, là encore, c'est: vous attachez de l'importance aux mérites, vous veillez à rester purs, vous êtes fiers d'être les descendants d'Abraham... mais vous oubliez l'essentiel.  Cet essentiel est dit dans la loi et les prophètes ; et là, nous n'avons que l'embarras du choix, dans le livre d'Isaïe par exemple : « Les pauvres sans abri, tu les hébergeras, si tu vois quelqu'un nu, tu le couvriras, devant celui qui est ta propre chair, tu ne te déroberas pas... Si tu cèdes à l'affamé ta propre bouchée, si tu rassasies le gosier de l'humilié, ta lumière se lèvera dans les ténèbres... » (Isaïe 58, 7-8). 
Pas besoin de signes extraordinaires pour nous convertir : nous avons la Loi, les Prophètes, les Évangiles : à nous de les écouter et d'en vivre ! 

BM