La fête du Corpus Domini,
supercherie, mythe ou réalité ?
Lc 9, 11-17
Je trouve très difficile, en parlant de l’eucharistie, de
m’en tenir uniquement aux affirmations théologiques de la doctrine
traditionnelle ou de la « saine orthodoxie » catholique, sans chercher à
présenter une vision plus plausible et une compréhension plus acceptable
pour les chrétiens aujourd’hui du sens
de ce sacrement qui, pour la
religion chrétienne-catholique, constitue le centre de sa foi et de sa pratique
cultuelle .
Je dois avouer
que j’ai toujours été intellectuellement mal à l’aise avec les contenus
théologiques et les transports dévotionnels de la piété populaire pour cette fête
appelée du nom latin de Corpus
Domini ou du « Corps du Seigneur ». Par une telle
dénomination, on voulait évidemment se référer à la personne physique de Jésus
de Nazareth, dans sa dignité de Messie et de « Fils de Dieu » que
cette fête célèbre comme toujours physiquement et corporellement présent, en le
proposant à l’adoration de ses fidèles.
Il fut un temps
où je ne pouvais pas m’empêcher de penser que cette l’adoration du « corps »
de Jésus, avait tout l’air d’être la version religieuse du culte moderne que
notre société séculière voue au corps humain, autant masculin que
féminin, considéré comme le « temple » par excellence de la
vénération de sa valeur et de sa beauté. De sorte que, par exemple, des individus
comme Brigitte Bardot, Angelina Jolie, Arnold Schwarzenegger, Silvestre Stallone,
etc.… devenaient des « divinités » avec un grand nombre d’adorateurs.
La fête d’aujourd’hui,
avec son culte de la présence réelle du corps de Jésus dans le pain consacré
constitue, à mon avis, l’aboutissement ultime et paradoxale de la foi chrétienne
en le dogme de l’incarnation Dieu
dans notre monde, laquelle ici semble se dédoubler. De sorte que nous assistons
d’abord à une première incarnation exprimée par la croyance en l’incarnation de
Dieu dans l’homme-Jésus, considéré comme le lieu de la présence ontologique d’une
Entité divine. Il s’agit ici d’une croyance qui trouve tout à fait normal que le
Mystère Ultime, infini et insondable (que nous appelons « dieu »)
présent et agissant dans toute
La deuxième
incarnation est celle qui est exprimée par la croyance en une incarnation de
l’homme-Dieu-Jésus de Nazareth en du pain de blé et dont la substance est prodigieusement
remplacée par celle du Corps de Jésus, en vertu des pouvoirs surnaturels du
prêtre célébrant. Ainsi tout pieux et fidèle catholique est-il convaincu que
dans le pain consacré à la messe (la « sainte hostie »), l’homme-Dieu-Jésus-de-Nazareth
est réellement présent avec « son Corps, son sang, son âme et sa
divinité ».et que donc ce pain
n’est plus du pain mais le « Corps du Christ! », ainsi que le prêtre
le proclame emphatiquement avant de le lui
tendre pour la manducation .
Je suis personnellement
convaincu que cette façon très primitive, grossièrement matérielle et surtout
totalement insensée d’imaginer et de faire valoir la présence du Mystère de
Dieu dans notre monde, a les jours comptés. Et cela, non seulement parce que
aujourd’hui un tel récit ne peut plus être perçu comme crédible par personne en
possession d’une saine raison, mais aussi et surtout parce que de telles
fabulations ne réussissent finalement qu’a ridiculiser la religion qui les
propose et à détruire sa crédibilité et sa raison d’être.
Aujourd’hui
beaucoup de penseurs, (croyants, athées et agnostiques) se demandent avec
stupeur et perplexité quels mécanismes psychologiques ou quels troubles
psychotiques ont bien pu amener des théologiens et des hommes d’église du passé
à de tels délires et quelles sortes des motivations peuvent pousser les
autorités religieuses actuelles à maintenir toujours vivantes de telles
absurdités.
*****
Voyons maintenant
comment on pourrait cependant interpréter d’une façon plus positive le
symbolisme de cette festivité du Corpus
Domini et comment lui donner peut-être
un sens et des contenus qui pourraient la rendre acceptable et même inspirante
pour les chrétiens de n notre temps.
Personne, tant
soit peu familier avec les contenus des évangiles et avec la personne de l’Homme
de Nazareth, serait capable de l’imaginer se promenant sur les routes de
Cependant, si Jésus
était comme nous quant à sa nature humaine, il n’était pas tout à fait comme
nous, ou comme la majorité de nous, quant à l’esprit qui l’animait. On peut donc
dire que Jésus de Nazareth était différent à cause de son esprit, à cause des rêves,
des valeurs, des priorités, des principes, des convictions profondes qui l’inspiraient
et le faisaient vivre ; à cause de sa conception de Mystère de Dieu et de la
nature des relations qu’il entretenait avec son Dieu et ses frères
humains.
Les évangiles
nous présentent un Jésus non seulement totalement humain, mais aussi et surtout
un Jésus maitre d’humanité ; un Jésus prophète, visionnaire, éveilleur de
consciences, de responsabilités, d’une nouvelle façon d’être, de vivre et de
bâtir des relations ; un Jésus qui rêve à la possibilité d’une nouvelle communauté
humaine fondée non plus sur la confrontation et sur l’amour du pouvoir, mais
sur la fraternité et le pouvoir de l’amour.
Nous avons fait
de l’eucharistie, sacrement ou symbole de la présence « réelle »
de l’esprit et de l’amour de Jésus parmi nous, un rite souvent purement extérieur,
aride, constitué de gestes incompréhensibles, stéréotypés et vides d’emprise
sur notre vie. La plupart du temps la « messe » du dimanche n'est, pour
beaucoup de chrétiens, qu'une obligation pénible pour s’affranchir de laquelle
tous les prétextes sont bons. Voyons alors quel sens nous pourrions donner à nos
assemblées eucharistiques pour qu’elles nous aident à mieux intégrer à notre
vie le pouvoir innovateur et transformateur de la présence et de l’esprit de
Jésus qu’elles célèbrent dans la joie et l’action de grâce, et qu’elles veulent
transmettre.
Dans le rite eucharistique l’élément central est
le pain. Cependant l’importance et la valeur de nos messes ne réside pas dans
le pain en tant que tel, mais dans la signification que, dans ce rite, nous lui
conférons. Pour nous, ce pain représente non seulement la présence continuelle de Jésus
(« pain de vie ») et de son esprit parmi nous ; mais ce pain est là aussi pour
nous rappeler que nous serons des vrais chrétiens et des êtres humains exemplaires
et accomplis seulement si nous sommes capables de nous asseoir à la table du
banquet que Jésus nous prépare et de manger la nourriture qu’il nous offre et
qui est rien de moins que lui-même.
Dans la vie
ordinaire, en effet, le pain n’est pas préparé pour décorer la table, mais uniquement
pour être donné, partagé et mangé. De sorte que le pain constitue, sans aucun
doute, le meilleur symbole de ce que Jésus a été durant sa vie et de ce qu’il
doit être maintenant pour chacun de nous, ses disciples. En effet, Jésus a été
l’homme de Dieu qui, comme un bon pain, s’est donné à tous pour que tous s’en
nourrissent, surtout ceux qui en ont le plus besoin : comme les pauvres,
les faibles, les laissés pour compte, les exploités, les opprimés, les
désespérés et les perdus de la vie…
Au temps de Jésus,
tous ceux qui l’ont fréquenté ont trouvé en lui, qui s’est définit comme le
véritable pain qui nourrit et donne vie, l’énergie, l’élan, les motivations
dont ils avaient besoin pour se fortifier, se redresser, se reprendre en main, reprendre
courage et confiance en leur valeur, pour croire en leur possibilités, pour revivre
et s’ouvrir à l’espérance d’une vie nouvelle.
Dans la manducation
de ce pain qui est Jésus lui-même, ses disciples ont découvert le secret de leur
salut et de leur bonheur ainsi que de ceux du monde entier. Il s’agit, en effet,
non pas d’un faux salut fondé sur la logique habituelle et universelle du pourvoir
individuel et égocentrique qui ne génère que confrontations, antagonismes, hostilité
et divisions et donc que des mécanismes de souffrance, de désagrégation et de
mort, mais il s’agit d’un salut et d’un bonheur que tous trouvent dans l’amour fraternel,
désintéressé et gratuit, avec lequel ils s’aiment et ils prennent soin les uns
des autres et du monde naturel qu’ils habitent ; amour donc que les chrétiens déclarent vouloir assimiler et incarner dans leur existence par le geste de la manducation de ce
Pain.
La « communion » constituée par la manducation du pain
au cours du rite eucharistique n'a aucune valeur si nous lui ôtons son
caractère de signe et de symbole de notre volonté et de notre désir de nous
nourrir de la parole, de l’enseignement, des valeurs, des attitudes que l’Homme
de Nazareth a incarné dans sa vie et qu’il a laissé en héritage à ses disciples.
Communier signifie donc vouloir être «
en communion » avec tout ce que Jésus a dit et il a été. Mais communier signifie
aussi vouloir être en communion d’esprit, de cœur, d’intentions avec nos frères,
ainsi qu’avec tous les hommes de bonne volonté disséminés dans le monde entier.
Concrètement,
moi, le chrétien, qui chaque dimanche célèbre un rite d’action de grâce (une eucharistie) pour la présence parmi nous
de l’esprit du Seigneur Jésus dont je veux me nourrir…, et bien, par ce geste,
je veux signifier que moi aussi, comme mon Maitre, je veux être capable de
vivre pour les autres et de donner ma vie pour les autres ; cependant, non pas
en mourant, mais en étant toujours disponible à quiconque peut avoir besoin de
moi et de ma « miséricorde ».
Je résume ces
réflexions en disant tout simplement que toutes les marques de respect de la
foi populaire envers le pain consacré sont excellentes. Cependant, si le comportement
et l’esprit de Jésus ne se reflètent pas dans notre vie, la célébration de
l'eucharistie sera toujours de la magie à bon compte et un gros mensonge qui
pourra difficilement nous « sanctifier ».
M B – 16 juin 2022