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lundi 5 septembre 2022

 

PORTER LA CROIX POUR MARCHER SUR LA « VOIE »

(23e dim. ord. C - Lc 14, 25-33)

 

            Des grades foules faisaient route avec Jésus. C’est par ces mots que débute l’évangile d’aujourd’hui. Ces grandes foules qui font route avec lui ne sont pas seulement les quelques centaines de personnes qui, en ce temps-là, entouraient Jésus en Palestine. Ce sont aussi ces innombrables hommes et femmes qui ont choisi de marcher à sa suite le long des siècles. C’est vers nous que Jésus se tourne aujourd’hui pour nous poser quelques questions: «Vous dites que vous êtes mes disciples…. Mais savez-vous ce que cela signifie? Savez-vous jusqu’où cela peut vous conduire que de marcher à ma suite ?… Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère…. Il ne peut pas être mon disciple…».

            Cette première exigence de Jésus est proprement effarante. Qui est-il donc cet homme pour demander de tels arrachements affectifs, au profit de l’attachement à sa personne …. Jusqu’ à nous demander de le préférer à notre propre vie…?

            Ces formules abruptes ne sauraient signifier que nous pouvons larguer les liens avec notre famille. Aussi, loin d’inviter à briser égoïstement toutes nos relations humaines les plus sacrées (l’amour filial, conjugal, fraternel), Jésus invite chacun de nous à animer toutes ces relations et ces affections par l’amour de Dieu. Cet attachement au « Royaume de Dieu » présent sur la terre par l’action de Jésus doit constituer le milieu dans lequel nous nous déployons, l’air que nous respirons, le sel qui donne saveur à toutes nos actions; le levain que doit faire fermenter la pâte de notre existence. Il s’agit ici de la primauté de Dieu et de son amour dans notre vie.

            C’est l’exigence primordiale d’une dimension humaine et spirituelle dans notre existence. C’est la nécessité d’établir une hiérarchie de valeurs dans nos intérêts, dans nos attachements et dans nos amours. Jésus nous renvoie ici à notre grandeur foncière aux yeux de Dieu. Il nous rappelle l’urgence de vivre comme des créatures faites à son image et qui, de surplus, sont ses enfants. Il nous dit: « Vous, les humains, vous avez un grand destin; vous êtes de la race de Dieu; vous êtes pétris de son esprit; vous êtes destinés à la communion avec le divin ; vous êtes appelés à une vie éternelle…

 Ne vous enlisez pas dans la matière; ne devenez pas les esclaves de vos passions, de vos ambitions, de vos convoitises, de votre cupidité ; ne vous enchainez pas d’une façon exclusive à vos amours humains, à votre argent, à vos intérêts et à votre bien-être matériel ; ne permettez pas que la force de vos liens aux choses d’ici-bas vous cloue au sol, vous empêchant de prendre l’envol et de vivre à la hauteur de votre condition et de votre destin. Vous n’êtes pas faits pour ramper, mais pour voler … Vous n’êtes pas faits pour la terre, mais pour le ciel; vous n’êtes pas faits pour pourrir dans le temps, mais pour vivre et vous épanouir dans l’éternité.

            Chacun de nous est donc invité aujourd’hui à recevoir dans son cœur, dans sa vie concrète, cette exigence inouïe. Quels sont les renoncements qui, dans les évangiles, s’imposent à moi pour vivre en fils de Dieu ? Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher derrière moi, ne peut pas être mon disciple. En d’autres mots, pour que la montgolfière de ma vie puisse prendre son envol, il faudra couper les attaches, larguer les amarres, se délester de ses poids. Les actions qui nous permettent de réaliser ces manœuvres et de réaliser une existence d’enfant de Dieu sont contenues dans une suite de verbes qui se caractérisent par une perte et une souffrance: couper, quitter, sortir, lâcher, se délester, s’affranchir, renoncer, se libérer. Porter sa croix est l’expression que Jésus utilise ici pour indiquer tout ce travail pénible et exigeant de libération que nous devons entreprendre pour vivre notre condition de fils de Dieu et de disciples du Seigneur Jésus.

            Voilà alors la nécessité de nous arrêter de temps à autre pour réfléchir, pour faire le point dans notre vie; pour voir si nous naviguons dans la bonne direction ; pour calculer si notre bateau a les moyens, les provisions, les fournitures nécessaires pour arriver sains et saufs à destination. Les deux paraboles de Jésus sur la tour à bâtir et du combat à gagner veulent nous sensibiliser au besoin de cette mise au point. Est-ce que je prends le temps de réfléchir à ma vie, à mes engagements ? Nous, qui savons faire des bilans, calculer, prévoir pour nos entreprises humaines, nous arrive-t-il de nous arrêter parfois pour voir si l’entreprise de notre vie est vraiment gérée conformément aux directives ou aux souhaits de Jésus de Nazareth?

            Au retour des vacances, cette invitation du Maître arrive à point. Tout va reprendre : travail, école, groupements, associations… Pour ne pas vivre à la surface de nous-mêmes, nous avons plus que jamais besoin de pauses et de moments d’arrêt, de silence, de prière de méditation et de réflexion qui nous aident à mûrir intellectuellement et psychologiquement et à donner une profondeur humaine et spirituelle véritable à notre existence. Jésus, aujourd’hui, nous demande de ne pas vivre superficiellement.

            Finalement, dans ce texte d’évangile, le dernier avertissement de Jésus, tranchant comme un couperet : « Celui d’entre vous qui ne renonce pas à tous ses biens, ne peut pas être mon disciple ». C’est certainement pour réfléchir sur cette dernière phrase que nous devons prendre le temps de nous asseoir. Car on ne suit pas Jésus dans la facilité. Et l’invitation à ce dépouillement radical, à cette pauvreté, n’est pas un « conseil » réservé à certains super chrétiens (moines ou moniales, comme on l’a souvent compris…). C’est la condition normale de toute vie chrétienne véritable. Jésus ici est catégorique: « Vous ne pouvez pas servir Dieu et l’argent ».

Allons-nous continuer à nous jeter avidement sur « l’avoir » ? Ou allons-nous découvrir et inventer une autre manière de vivre heureux dans l’amitié, le partage, la simplicité volontaire ? Quelles conclusions pratiques tirer alors au niveau de mes achats, de mon train de vie, de l’utilisation de mon argent pour être plus libre ou, tout simplement, pour être disciple de Jésus ? Lui le pauvre par excellence, mais cependant porteur de toute la richesse de Dieu.  

 

 

  BM

 

lundi 15 août 2022

 

ALLUMEZ DU FEU, GRAND DIEU !  

(20 dimanche ord. C, Lc 12,49-53)


Ces propos que l’évangile de Luc dans ces versets d’évangile attribue ici à Jésus m’ont toujours frappé par leur réalisme et leur vérité. On dirait qu’ici Jésus ne se fait aucune  illusion sur le sort que  les hommes réserveront probablement à son message. Il sait qu’il aura beaucoup de difficultés à se frayer un chemin dans les mentalités, les cultures  et les comportements établis des humains et que peu de gens auront le courage et la hardiesse de purifier leur frustre et rudimentaire humanité au feu qu’il est venu allumer. 

Jésus  a conscience que sa critique du système culturel, social  et religieux où il vit, que la charge  révolutionnaire des valeurs  qu’il  propose, seront fatales autant pour lui, que pour ceux et celles qui auront le courage de suivre sa « Voie ». Il a en effet le clair pressentiment que ceux-ci seront incompris, refusés, combattus, discriminés et persécutés; qu’ils deviendront soit une pierre d’achoppement, soit une cause de division au sein d’une société qu’ils voudraient pourtant améliorer. 

De fait, avec le recul du temps, il faut reconnaître que les craintes de Jésus  étaient plus que justifiées. En effet, non seulement  le monde juif-gréco-romain  de son temps auquel il s’adressait avec l’espoir de le transformer en une société plus fraternelle, plus juste et plus humaine a fini par l’éliminer, mais même le monde et la culture occidentales postérieurs, nés de la religion chrétienne-constantinienne, qui a remplacé la Voie du Nazaréen, ont en grande partie ignoré son message, quand ils ne l’ont pas tout  simplement manipulé, édulcoré, oublié et  transformé pour l’adapter aux exigences du pouvoir et  à leurs politiques de prestige  et de domination.

De sorte qu’il est  plus conforme à la vérité de dire que  le monde occidental, que l’on se gargarise à qualifier de « chrétien » ou, tout au moins, de « culture chrétienne», en réalité et  sauf  quelques rares exceptions (les saints), il n’a jamais pris vraiment  au sérieux  la « bonne nouvelle »  ou  l’évangile de Jésus  avec ses  exigences et il a été tout sauf chrétien, étant donné qu’au cours de toute son histoire jusqu’à nos jour, il s’est construit et développé sur des valeurs,  des principes, des logiques  et  des routes qui se sont déployés exactement dans le sens inverse de la Voie tracée par Jésus de Nazareth : c'est-à-dire, en empruntant le chemin du pouvoir qui domine,   exploite et  asservit, plutôt que la Voie de l’amour désintéressé et fraternel qui prend soin et se fait  service.

Très révélateur, à ce propos, est le fait qu’aujourd’hui encore, même dans les cercles intellectuels chrétiens les plus ouverts et les plus  sympathiques au phénomène « Jésus de Nazareth », on persiste à qualifier son message de « rêve » ou d’« utopie », révélant ainsi, indirectement, que même les chrétiens les plus avertis le considèrent comme pratiquement irréalisable dans le monde des hommes.

Il serait trop long d’entrer ici dans une description exhaustive de nos infidélités au message de Jésus en tant que religion (Église) et en tant que société de culture  chrétienne. Je me limiterai à souligner ici quelques contradictions évidentes entre cette culture et  la prédication de Jésus.  

Dans les évangiles, la valeur d’une personne est donnée par son accueil et son  ouverture au prochain qui n’est plus tout simplement « l’autre »,  mais le « frère » avec lequel je crée des relations fraternelles de soin, de partage, d’affection  et de communion. Le monde et la société  moderne se sont  construit au contraire  sur l’individualisme le plus exacerbé, c’est-à-dire sur la fermeture de l’individu sur lui-même, devenu sa propre  île, un nœud d’égoïsme, le seul point de référence de ses projets et de ses activités. 

Ainsi, renfermé dans la prison dorée de sa solitude, l’individualiste ne trouve d’autre moyen de donner sens, importance et valeur à son existence que par l’indépendance des autres, que par la supériorité sur les autres et donc que par le recours au pouvoir obtenu par la quantité d’argent qu’il réussit à accumuler. De sorte que, pour ce type de personne, non seulement l’argent devient le but ultime de son existence, la valeur absolue, le bien suprême, sa meilleure possibilité de valorisation personnelle, de réussite et de bonheur, mais il se transforme aussi en  l’unique religion qu’il pratique et en  le seul dieu  qu’il est disposé à adorer.  Il en suit alors que, pour ce genre d’individu, l’autre n’est plus le « frère » et le « prochain » de l’évangile, mais le concurrent, le rival, le compétiteur, l’obstacle, l’adversaire, l’ennemi qu’il doit dépasser, combattre, vaincre et, éventuellement, éliminer pour atteindre sa supériorité et pour que reste intacte et affermie la puissance de son pouvoir et la source de ses revenus.

Et chose incroyable, voilà que l’individualiste-capitaliste devient inexorablement  l’esclave de son argent ; un argent qu’il ne possède plus  vraiment,  mais par lequel il est possédé  et pour lequel il  est prêt à tout sacrifier : ses  sentiments, sa sensibilité,  son bon sens, la sagesse du cœur, les  relations affectives et amicales, le bien-être des personnes, de la Nature, de la Planète et même son instinct naturel de conservation de sa propre vie physique. En effet, l’homme d’affaire  moderne, a plus à  cœur  son «capital » que les équilibres écologiques de la Terre, que la qualité du climat, de l’air, des sols, des mers, des forêts, etc., qui lui sont pourtant indispensables pour se garder en vie.

Aujourd’hui l’empire du capitalisme néolibéral a réussi à transformer le  monde, non pas en une société humaine responsable et civilisée, mais en  une économie globale de marché où règne la loi de la jongle, c’est-à-dire,  la loi du plus rapace et du plus fort, où tout peut être vendu, acheté, exploité, détruit et saccagé afin d’être transformé en marchandise monnayable, sans aucun égard aux exigences de justice sociale et de bonheur véritable des personnes. 

  Le pouvoir de l’argent est ainsi devenu l’unique système opératif qui fait fonctionner notre société moderne. Si cela est un fait incontestable,  nous ne pouvons pas nier que nous sommes alors en train de mettre au point une forme de société qui fonctionne sur des logiques suicidaires qui ne peuvent que produire injustices, confrontations, divisions, pauvreté, souffrances, destruction et mort. De sorte que, finalement, l’énorme pouvoir de l’argent accumulé n’aura servi qu’à miner tout espoir raisonnable, je ne dirais pas d’un futur meilleur, mais d’un futur tout simplement possible pour notre humanité. 

C’est donc dire le degré d’égotisme, d’aveuglement, de délire et  de stupidité dans lequel l’être humain peut tomber lorsqu’il se laisse emporter par l’angoisse de pouvoir et l’obsession de l’argent et de ses logiques égoïstes et nécrophiles qui  le privent de cette sensibilité profonde et de cette intelligence du cœur qui font la qualité humaine d’une personne.

   Qu’est-ce qui empêche alors de conclure que les « riches »  qui ne se nourrissent  que de pouvoir et de l’illusion de supériorité donnée  par l’argent qu’ils possèdent, sont finalement les individus les plus « misérables » et les plus à plaindre et à craindre sur  terre? 

Nous  nous trouvons alors ici sur la même longueur d’onde que Jésus de Nazareth lorsque, à propos de ceux qui, déjà en son temps,  ne vivaient que pour acquérir pouvoir et accumuler des richesses, il s’exclamait stupéfait : « Cela leur sert à quoi à ces gens que de vouloir conquérir et  posséder le monde entier, s’ils doivent y perdre leur âme ! » (Mt 16,26; Mc 8,36; Luc 12,20). 

Nous comprenons alors que ce type de monde et de société bâtis  sur le culte de l’argent, sur la compétition sauvage, sur  l’hostilité réciproque  et sur la guerre pour plus de pouvoir, se situent au antipodes du monde humain et de la société fraternelle souhaités par Jésus de Nazareth où les relations  humaines inspirées uniquement par l’amour gratuit et désintéressé se révèlent comme les seules capables de produire et de cultiver les fruits d’une paix et d’une prospérité véritables, d’une plénitude de vie et d’un  bonheur durable. 


Mori Bruno  -   Montréal   10 août 2022


M

lundi 11 juillet 2022

 

Le « bon samaritain » ou la religion désavouée    

(Luc 10,29-37)

     Chaque fois que je me trouve devant ce texte de l’évangile de Luc je ne peux pas m’empêcher de ressentir un énorme malaise et une forte sensation de honte, car je me reconnais pleinement dans les deux individus qui font semblant de ne pas remarquer le pauvre diable agressé et abandonné presque mourant au bord de la route et qui continuent tranquillement leur chemin comme si de rien n’était.  

Je me demande, avec une certaine angoisse, pourquoi je m’identifie spontanément avec ces deux minables figures. Je cherche à comprendre qui, quoi, quelle éducation, quelles circonstances, ont fait de moi la personne lâche, craintive, attachée à mes aises, à ma tranquillité et à mon petit confort que je suis devenu, en contradiction avec tout ce que voudrais être, avec ce que je pense, avec ce que je prêche, ce que j’admire et ce que je ressens au plus profond de moi-même. Je cherche à saisir les causes de cette dichotomie et de cette inauthenticité. C‘est pour cela que la confrontation avec l’évangile me dérange, me fait peur et que je suis toujours très mal à l’aise en sa compagnie.  

Finalement, que cela me plaise ou pas, je suis arrivé à la conclusion que moi aussi je suis le produit de mon temps et le lamentable résultat de la société et du monde occidental auxquels j’appartiens, qui m’ont formé et dont je respire, sans m’en rendre compte, la culture et la mentalité.

 Il s’agit malheureusement d’une société construite sur l’individualisme, l’égoïsme, l’indifférence, sur la recherche du pouvoir donné par l’argent et le capital, sur le mythe et l’illusion de la consommation à outrance et du progrès sans fin acquis au prix de l’exploitation des personnes, du pillage et de la dévastation des ressources naturelles de la Planète.

 Il s’agit d’un monde où l’oppression et la violence semblent être des phénomènes tellement normaux que non seulement nous sommes devenus insensibles à l’énorme masse de blessures et de souffrances que notre mode de vie occasionne ; mais il s’agit aussi d’un monde où nous nous sommes transformés en des personnes cyniques et éteintes intérieurement et spirituellement. Cela explique, d’un côté, pourquoi nous sommes incapables de voir et de nous indigner devant l’énorme quantités de dégâts et de misères causés par notre style de vie et nos politiques capitalistes prédatrices, stupides et suicidaires ; et de l’autre côté, pourquoi nous sommes tous devenus les complices lâches et irresponsables d’agissements (« géopolitiques ») insensés, barbares et inhumains. 

 Au travers de mes crises intérieures, j’ai découvert que, en réalité, ce n’est pas nous qui jugeons de la qualité des contenus de l’évangile, mais que c’est plutôt l’Évangile qui juge de la bonne ou de la mauvaise qualité de nos actions et du contenu de notre vie. J’ai ainsi compris que c’est uniquement en nous regardant dans le miroir de la parole de Jésus et en nous confrontant à elle que nous pouvons connaitre de quel bois nous chauffons, la vérité de notre être, la qualité de notre personne et entrevoir les chemins que nous devrions emprunter pour atteindre notre pleine humanisation et le salut du monde. L’évangile alors, par une sorte de contraste, nous montre un mode d’être humain en ce monde immensément plus valable que tous les modèles offerts par nos sociétés modernes, mais, hélas, combien plus difficile à réaliser, étant donné qu’il va à contre-courant de tous ce que normalement nous désirons et nous faisons.  

 La parabole du « bon samaritain » constitue, à mon avis, la critique la plus amère jamais adressée à la religion. Le caractère explosif de cette parabole consiste dans le fait de présenter la religion comme une institution non seulement incapable de nous dire qui est et où se trouve notre prochain, mais aussi inapte à poser les gestes du soin et de la compassion sur lesquels elle fonde pourtant les raisons de son existence.

En effet, s’il y a des personnes qui par vocation, par devoir, par cohérence auraient dû secourir l’individu agressé, ce sont bien le prêtre et le lévite, qui pourtant passent outre avec indifférence. La parabole présente, par contre ce samaritain, qui pour les juifs est l’impie et le mécréant par excellence, comme le seul qui, en réalité vit et pratique les exigences les plus fondamentales de toute vraie religion.

 Dans ce récit, Jésus se sert de l’attitude du samaritain, capable d’éprouver empathie, tendresse et pitié, là où les représentants attitrés de la religion n’éprouvent qu’indifférence et mépris, pour condamner, d’un côté, les attitudes déshumanisantes et aliénantes de la religion et, de l’autre, pour faire comprendre quelles sont les vraies dispositions qui doivent animer le comportement de tout être humain et donc, à plus forte raisons, celui de ses disciples.

  Remarquons finalement que, pour l’évangile, le « prochain » n’est pas seulement l’autre dans le besoin, mais c’est surtout moi qui, comme le samaritain de la parabole, je me suis fait « proche » de l’autre, en me laissant atteindre par sa souffrance. Le prochain c’est ma vie et mon cœur posés près du frère en détresse afin que celui-ci puisse trouver en leur compagnie les motivations, le courage et l’espoir dont il a besoin pour se redresser, continuer à vivre et être heureux.

 Dans cette parabole Jésus semble vouloir enseigner qu’il n’y a qu’une seule attitude qui compte dans la vie d’une personne : celle de l’amour. Pour Jésus, il n’y a pas un amour pour Dieu et un amour pour le prochain. Il n’existe qu’un seul amour : celui envers le prochain !

 Ici Jésus veut faire comprendre que Dieu n’est pas dans les pratiques religieuses, dans les rites du temple, dans les fonctions sacrées des prêtres et des lévites, mais dans l’homme blessé sur le bord de la route et que notre unique et vraie religion consiste à le soigner.

 Cette parabole, symptomatique du contenu de tout l’enseignement de Jésus de Nazareth, nous oblige à admettre que, finalement, l’évangile n’est pas vraiment un livre de religion, mais une école d’humanité. Avec cette parabole Jésus a fait sortir la religion de la synagogue, du temple, des églises, des mosquées, etc., pour la placer dans notre capacité et dans   notre disponibilité à aimer comme lui-même a aimé. 

 

Bruno Mori  - Montréal  le 14 juillet 2022


 

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                              

mercredi 22 juin 2022

 

La fête du Corpus Domini, supercherie, mythe ou réalité ?

 Lc 9, 11-17

            Je trouve très difficile, en parlant de l’eucharistie, de m’en tenir uniquement aux affirmations théologiques de la doctrine traditionnelle ou de la « saine orthodoxie » catholique, sans chercher à présenter une vision plus plausible et une compréhension  plus  acceptable pour les  chrétiens aujourd’hui du sens de ce  sacrement qui, pour la religion chrétienne-catholique, constitue le centre de sa foi et de sa pratique cultuelle . 

            Je dois avouer que j’ai toujours été intellectuellement mal à l’aise avec les contenus théologiques et les transports dévotionnels de la piété populaire pour cette fête appelée du nom latin de Corpus Domini ou du « Corps du Seigneur ». Par une telle dénomination, on voulait évidemment se référer à la personne physique de Jésus de Nazareth, dans sa dignité de Messie et de « Fils de Dieu » que cette fête célèbre comme toujours physiquement et corporellement présent, en le proposant à l’adoration de ses fidèles.  

            Il fut un temps où je ne pouvais pas m’empêcher de penser que cette l’adoration du « corps » de Jésus, avait tout l’air d’être la version religieuse du culte moderne que notre société séculière voue au corps  humain, autant masculin que féminin, considéré comme le « temple » par excellence de la vénération de sa valeur et de sa beauté. De sorte que, par exemple, des individus comme Brigitte Bardot, Angelina Jolie, Arnold Schwarzenegger, Silvestre Stallone, etc.… devenaient des « divinités » avec un grand nombre d’adorateurs.   

            La fête d’aujourd’hui, avec son culte de la présence réelle du corps de Jésus dans le pain consacré constitue, à mon avis, l’aboutissement ultime et paradoxale de la foi chrétienne en le dogme de l’incarnation Dieu dans notre monde, laquelle ici semble se dédoubler. De sorte que nous assistons d’abord à une première incarnation exprimée par la croyance en l’incarnation de Dieu dans l’homme-Jésus, considéré comme le lieu de la présence ontologique d’une Entité divine. Il s’agit ici d’une croyance qui trouve tout à fait normal que le Mystère Ultime, infini et insondable (que nous appelons « dieu ») présent et agissant dans toute la Réalité, vienne renfermer, limiter et restreindre sa présence et toutes ses virtualités dans la structure organique d’un minuscule mammifère de genre « homo », surgi par le hasard des transformations évolutives des composantes biochimiques d’une petite planète perdue dans les profondeurs sidérales d’une banale galaxie.

            La deuxième incarnation est celle qui est exprimée par la croyance en une incarnation de l’homme-Dieu-Jésus de Nazareth en du pain de blé et dont la substance est prodigieusement remplacée par celle du Corps de Jésus, en vertu des pouvoirs surnaturels du prêtre célébrant. Ainsi tout pieux et fidèle catholique est-il convaincu que dans le pain consacré à la messe (la « sainte hostie »), l’homme-Dieu-Jésus-de-Nazareth est réellement présent avec « son Corps, son sang, son âme et sa divinité ».et que donc  ce pain n’est plus du pain mais le « Corps du Christ! », ainsi que le prêtre le proclame emphatiquement avant de le  lui tendre pour la  manducation .

            Je suis personnellement convaincu que cette façon très primitive, grossièrement matérielle et surtout totalement insensée d’imaginer et de faire valoir la présence du Mystère de Dieu dans notre monde, a les jours comptés. Et cela, non seulement parce que aujourd’hui un tel récit ne peut plus être perçu comme crédible par personne en possession d’une saine raison, mais aussi et surtout parce que de telles fabulations ne réussissent finalement qu’a ridiculiser la religion qui les propose et à détruire sa crédibilité et sa raison d’être.  

            Aujourd’hui beaucoup de penseurs, (croyants, athées et agnostiques) se demandent avec stupeur et perplexité quels mécanismes psychologiques ou quels troubles psychotiques ont bien pu amener des théologiens et des hommes d’église du passé à de tels délires et quelles sortes des motivations peuvent pousser les autorités religieuses actuelles à maintenir toujours vivantes de telles absurdités. 

                                                           *****

            Voyons maintenant comment on pourrait cependant interpréter d’une façon plus positive le symbolisme de cette festivité du Corpus Domini et comment lui donner  peut-être un sens et des contenus qui pourraient la rendre acceptable et même inspirante pour les chrétiens de n notre temps.    

            Personne, tant soit peu familier avec les contenus des évangiles et avec la personne de l’Homme de Nazareth, serait capable de l’imaginer se promenant sur les routes de la Palestine, croyant être l’incarnation de Dieu et demandant aux gens qu’il rencontre de se prosterner en adoration devant lui. Rien de tel en lui, qui se reconnaissait en tout semblable aux autres hommes, humain parmi les humains, frère parmi des frères, pauvre parmi les pauvres, banni et persécuté parmi les bannis et les persécutés, mal aimé parmi les malaimés.

            Cependant, si Jésus était comme nous quant à sa nature humaine, il n’était pas tout à fait comme nous, ou comme la majorité de nous, quant à l’esprit qui l’animait. On peut donc dire que Jésus de Nazareth était différent à cause de son esprit, à cause des rêves, des valeurs, des priorités, des principes, des convictions profondes qui l’inspiraient et le faisaient vivre ; à cause de sa conception de Mystère de Dieu et de la nature des relations qu’il entretenait avec son Dieu et ses frères humains.

            Les évangiles nous présentent un Jésus non seulement totalement humain, mais aussi et surtout un Jésus maitre d’humanité ; un Jésus prophète, visionnaire, éveilleur de consciences, de responsabilités, d’une nouvelle façon d’être, de vivre et de bâtir des relations ; un Jésus qui rêve à la possibilité d’une nouvelle communauté humaine fondée non plus sur la confrontation et sur l’amour du pouvoir, mais sur la fraternité et le pouvoir de l’amour.

            Nous avons fait de l’eucharistie, sacrement ou symbole de la présence « réelle » de l’esprit et de l’amour de Jésus parmi nous, un rite souvent purement extérieur, aride, constitué de gestes incompréhensibles, stéréotypés et vides d’emprise sur notre vie. La plupart du temps la « messe » du dimanche n'est, pour beaucoup de chrétiens, qu'une obligation pénible pour s’affranchir de laquelle tous les prétextes sont bons. Voyons alors quel sens nous pourrions donner à nos assemblées eucharistiques pour qu’elles nous aident à mieux intégrer à notre vie le pouvoir innovateur et transformateur de la présence et de l’esprit de Jésus qu’elles célèbrent dans la joie et l’action de grâce, et qu’elles veulent transmettre.

             Dans le rite eucharistique l’élément central est le pain. Cependant l’importance et la valeur de nos messes ne réside pas dans le pain en tant que tel, mais dans la signification que, dans ce rite, nous lui conférons. Pour nous, ce pain représente  non seulement la présence continuelle de Jésus (« pain de vie ») et de son esprit parmi nous ; mais ce pain est là aussi pour nous rappeler que nous serons des vrais chrétiens et des êtres humains exemplaires et accomplis seulement si nous sommes capables de nous asseoir à la table du banquet que Jésus nous prépare et de manger la nourriture qu’il nous offre et qui est rien de moins que lui-même.

            Dans la vie ordinaire, en effet, le pain n’est pas préparé pour décorer la table, mais uniquement pour être donné, partagé et mangé. De sorte que le pain constitue, sans aucun doute, le meilleur symbole de ce que Jésus a été durant sa vie et de ce qu’il doit être maintenant pour chacun de nous, ses disciples. En effet, Jésus a été l’homme de Dieu qui, comme un bon pain, s’est donné à tous pour que tous s’en nourrissent, surtout ceux qui en ont le plus besoin : comme les pauvres, les faibles, les laissés pour compte, les exploités, les opprimés, les désespérés et les perdus de la vie…

            Au temps de Jésus, tous ceux qui l’ont fréquenté ont trouvé en lui, qui s’est définit comme le véritable pain qui nourrit et donne vie, l’énergie, l’élan, les motivations dont ils avaient besoin pour se fortifier, se redresser, se reprendre en main, reprendre courage et confiance en leur valeur, pour croire en leur possibilités, pour revivre et s’ouvrir à l’espérance d’une vie nouvelle.

            Dans la manducation de ce pain qui est Jésus lui-même, ses disciples ont découvert le secret de leur salut et de leur bonheur ainsi que de ceux du monde entier. Il s’agit, en effet, non pas d’un faux salut fondé sur la logique habituelle et universelle du pourvoir individuel et égocentrique qui ne génère que confrontations, antagonismes, hostilité et divisions et donc que des mécanismes de souffrance, de désagrégation et de mort, mais il s’agit d’un salut et d’un bonheur que tous trouvent dans l’amour fraternel, désintéressé et gratuit, avec lequel ils s’aiment et ils prennent soin les uns des autres et du monde naturel qu’ils habitent ;  amour donc  que les chrétiens déclarent vouloir  assimiler et incarner dans leur  existence par le geste de la manducation de ce  Pain.  

            La « communion » constituée par la manducation du pain au cours du rite eucharistique n'a aucune valeur si nous lui ôtons son caractère de signe et de symbole de notre volonté et de notre désir de nous nourrir de la parole, de l’enseignement, des valeurs, des attitudes que l’Homme de Nazareth a incarné dans sa vie et qu’il a laissé en héritage à ses disciples.

            Communier signifie donc vouloir être « en communion » avec tout ce que Jésus a dit et il a été.  Mais communier signifie aussi vouloir être en communion d’esprit, de cœur, d’intentions avec nos frères, ainsi qu’avec tous les hommes de bonne volonté disséminés dans le monde entier.

            Concrètement, moi, le chrétien, qui chaque dimanche célèbre un rite d’action de grâce (une eucharistie) pour la présence parmi nous de l’esprit du Seigneur Jésus dont je veux me nourrir…, et bien, par ce geste, je veux signifier que moi aussi, comme mon Maitre, je veux être capable de vivre pour les autres et de donner ma vie pour les autres ; cependant, non pas en mourant, mais en étant toujours disponible à quiconque peut avoir besoin de moi et de ma « miséricorde ».

            Je résume ces réflexions en disant tout simplement que toutes les marques de respect de la foi populaire envers le pain consacré sont excellentes. Cependant, si le comportement et l’esprit de Jésus ne se reflètent pas dans notre vie, la célébration de l'eucharistie sera toujours de la magie à bon compte et un gros mensonge qui pourra difficilement nous « sanctifier ».  

 

M B – 16 juin 2022

 

lundi 6 juin 2022

 

Notre vie, une question d’esprit !

(Fête de la Pentecôte 2022)

Dans la tradition chrétienne, la Pentecôte est la fête qui célèbre la présence et l’action d’Esprit de Jésus au sein de la communauté croyante.

            Dans le langage courant, on dit souvent que tout est une question d’esprit. Je pense que c’est très vrai ! Dans l’être humain, en effet, l’esprit qu’un individu possède informe et programme toute sa vie, module toutes ses attitudes et son comportement, détermine de qualité de sa personne. La nature de son esprit peut faire de lui un modèle ou un rebut d’humanité, une sainte personne ou un individu diabolique (pensez à Staline, Hitler ou à Poutine et à d’autres).

            C’est donc dire l’importance de la qualité de l’esprit en nous et donc l’importance de le puiser à une bonne source. C’est quand même extraordinaire de penser, qu’à l’état actuel de nos connaissances, nous sommes les uniques créatures connues dans l’Univers à être structurées comme matière spiritualisée et comme esprit matérialisé et où l’esprit détermine la forme profonde de notre individualité et de notre personnalité. Sans l’esprit nous cessons d’être des humains.

            Or, dans l’être humain, l’esprit peut prendre une double configuration et se déployer comme un bon esprit ou comme un mauvais esprit. Cela veut dire, premièrement que l’homme peut être conduit par l’un ou par l’autre esprit et ainsi déterminer la réussite ou l’échec de sa vie. Deuxièmement, cela signifie aussi que le comportement global des individus qui composent nos sociétés a le pouvoir de bâtir soit un monde qui prospère et s’épanouit dans l’harmonie, la communion et la justice d’un amour fraternel, soit un monde bâti sur les dynamiques du pouvoir individualiste et égoïste qui peut conduire l’humanité à sa ruine.

            Cette fête chrétienne de l’esprit veut nous faire réfléchir sur ce fait et elle veut nous pousser à prendre au sérieux notre rencontre avec l’esprit de Jésus de Nazareth. Il s’agit en effet d’un esprit qui, d’un côté, semble surgir d’on ne sait où pour mettre en crise, troubler, déstabiliser et faire fuir le commun des mortels ; mais qui, de l’autre côté, possède des intuitions révolutionnaires, une sagesse profonde et inhabituelle, un potentiel unique de transformation et de renouvellement des personnes. Cela explique pourquoi sa présence parmi nous a immédiatement suscité un mouvement d’opposition et de refus, mais aussi une forte vague de sympathie d’admiration et d’enthousiasme, surtout parmi les gens simples et pauvres de son temps.

 La rencontre des disciples avec l’esprit, l’enseignement et le style de vie de leur Maitre a ouvert leur esprit et leur regard à la vision et à la possibilité d’une société et d’un monde tellement différent de celui dans lequel ils vivaient et qu’ils considéraient comme normal, qu’ils ont tout de suite pensé que l’esprit qui animait Jésus ne  pouvait pas être surgi en lui d’une intuition ou d’une vision purement humaines et personnelles, mais qu’il devait lui venir d’ailleurs, d’une Source supérieure qui ne pouvait être que divine.

            Cette fête est donc là pour dire d’abord à nous, les chrétiens et, ensuite, à tous les humains : « Voilà Jésus et voilà le genre d’esprit qui devrait animer et orienter votre existence ! C’est à cette source que vous devez boire ; c’est sur cet esprit que vous devez mouler vos attitudes, vos comportements et construire vos relations. L’esprit de ce Maitre d’humanité est véritablement le BON esprit, le seul capable de donner valeur et qualité à votre vie et d’assurer un salut, un bonheur et un future à votre monde ».

            À ce point, la demande que nous nous posons instinctivement est la suivante :«Mais pourquoi l’esprit de Jésus est si bon ? Qu’est-ce qu’il a de si spécial et de si unique ? ». La réponse se trouve  dans le fait  que Jésus a été  un des premiers hommes, dans l’histoire de l’ humanité, qui a découvert que les dynamiques ultimes qui  sont à l’origine de la Réalité et qui soutiennent,  dirigent et développent  tout ce qui  existe  dans l’Univers, sont essentiellement des forces d’attraction, de communion, de relations qui interagissent et qui se déploient avec  une régularité, une prodigalité et une gratuite sans limites et qui paraissent activées par une intentionnalité amoureuse qui embrasse toute la réalité. Jésus a été le premier humain qui a senti et expérimenté que partout «il y a de l’amour dans l’air», (comme chantait Martine St. Claire) et que la seule place où et amour est absent, c’est souvent dans la vie et dans le cœur des hommes.

            Jésus de Nazareth a exprimé et symbolisé le Mystère à l’origine de ces énergies génératrices et bénévoles à l’œuvre dans le monde, en utilisant l’image d’un Père maternel qui met à l’existence ses créatures par pur amour et qui l’établit dans une relation définitive d’amour inconditionnel avec elles (voir en Luc 15 la parabole du «Fils prodigue »). Selon Jésus, il s’agit là d’un amour qui ne pourra plus jamais être soustrait, enlevé ou refusé à ces enfants, et cela quoi qu’ils deviennent dans leur vie et quoi qu’ils fassent de bien ou de mal. C’est donc une qualité d’amour qui n’est liée ni à la prestation ni au mérite, mais exclusivement à la condition « filiale » de ses créatures.

            Jésus a été l’homme dont la sensibilité de l’esprit a été capable de capter la présence de cette qualité d’amour non seulement en dehors de lui (dans l’Univers), mais surtout en lui et en tout être humain. Il été capable d’incarner cet amour dans sa vie et il s’est donné comme mission de l’annoncer et de le transmette aux autres. Et cela pour que, comme lui, chaque humain puisse, à son tour, se laisser conduire par les dynamiques de cet amour qui se donne sans compter, qui crée fraternité et communion dans un monde où tous se découvrent  enfin « frères et sœurs » générés des mêmes entrailles de miséricorde.

            La pentecôte, qui vient conclure le périple des célébrations consacrées au souvenir annuel des « gestes » plus marquants de la vie de Jésus, est alors    comme le point d’orgue final d’une sonate qui veut nous signifier que tout ce que avons  entendu sur Jésus et son évangile au cours de l’année liturgique n’aura pas été du temps perdu seulement si nous avons été capables de moduler davantage notre esprit sur le sien et si nous avons mieux réussi à tisser nos relations avec le fil de son même amour ( fait de fraternité, de communion, de gratuité, de soins, de partage, de justice et de miséricorde). Alors nous aurons contribué à faire reculer un peu l’ancien ordre des choses basé sur l’amour du pouvoir et à faire avancer le nouveau construit sur le pouvoir de l’amour.

 

 3 Juin  2022

samedi 14 mai 2022


RÊVONS D’AMOUR, LES AMIS !!! 

(5 dim. paques, C -. Jn 13, 31-35 ) 

Nous, les humains, nous sommes des drôles de créatures ! Nous avons été conçus dans une étreinte d’amour, nous sommes entrés dans ce monde grâce à un geste  viscérale d’accueil total, nous sommes faits  pour aimer, nous pouvons aimer  d’une  façon « divine »  … et pourtant nous sommes  très mal à l’aise  dans  l’amour ;  nous parlons rarement et difficilement  le langage de  l’amour ; nous ne donnons pas une  grande valeur à l’amour et, dans notre vie, nous agissons en donnant habituellement beaucoup plus d’importance  à l’argent  et au pouvoir qu’à l’amour.

On peut même dire que la grande majorité des personnes n’ont aucune idée de la véritable nature de l’amour. Ils en ont habituellement une conception sentimentale ou érotique. Ils considérèrent l’amour comme un simple sentiment ou un attrait qui est, sans doute, plaisant et gratifiant, mais qui ne peut pas être assumé dans la vie comme une valeur principale et comme une attitude apte à soutenir la confrontation avec les défauts des personnes et avec les contraintes, les exigences, les luttes de la vie quotidienne, de la vie sociale, politique, économique dans le monde que nous habitons.

Ainsi, pour faire un exemple, dans le mariage, la rencontre de deux amours qui surgissent dans le cœur des amants a habituellement une saveur d’éternité, un désir de don complet de soi à l’autre et une volonté d’accueil total de l’autre dans sa propre vie.  Cependant, dans la société civile et dans l’institution religieuse, cette rencontre amoureuse, faute de pouvoir assimiler l’idée évangélique d’un amour à fond perdu et inconditionnel, est immédiatement contaminée par le virus de l’égoïsme et de l’individualisme et transformée ou plutôt pervertit en une banale transaction commerciale,  en un «contrat» ( le «contrat de mariage) et en une « entente » qui durent le temps que cela « convient » aux  deux partenaires , mais qui cessera aussitôt que l’entente n’existera plus.    

Il s'en suit que dans une la culture rationnelle, technique, pragmatique d’une société capitaliste, individualiste, forcément égoïste et donc souvent cynique, le discours de Jésus de Nazareth sur l’amour fraternel, gratuit et désintéressé n’est ordinairement pas pris au sérieux. Il est considéré comme une charmante divagation lyrique d’un idéaliste et d’un rêveur qui n’a pas les pieds sur terre et qui propose des utopies irréalisables, compte tenu de la dure réalité de notre monde.  

Avec cette attitude et cette conviction, nous avons alors construit un monde où, je ne vis pas pour vivre, mais simplement pour survivre, il faut se battre, être agressifs, compétitifs et souvent impitoyables. Nous avons ainsi mis au point une société qui semble exiger non pas le juste partage des biens dans la fraternité et l’égalité, mais l’agressivité de la détermination à obtenir ce que l’on veut par tous les moyens à notre disposition, même par le recours à la violence, à l’exploitation, au pillage et à la dévastation insensée et stupide de la Planète. Et nous appelons cela civilisation, bien-être et progrès.

Et pourtant dans l’histoire de l’humanité, les rêves, les utopies, les projets retenus irréalisables, l’imagination ont toujours été les grands moteurs qui ont accélérés la marche évolutive de notre espèce, ainsi que de notre humanisation.

 Il n’est pas nécessaire d’être des psychanalystes ou des disciples de Freud, de Wilfred Bion, de Carl Yung ou de Eugen Drewermann pour croire à la valeur des rêves à  ouvrir notre pensée à l’idée et à la possibilité de nouveaux commencements. Regardez les jeunes à l’adolescence de leur vie ! Ils passent leur temps à rêver, à fantasmer ! Et c’est ainsi que surgissent les génies ! C’est ainsi que le futur se profile ! C’est ainsi que le nouveau se dessine et que sont jeté les fondations pour de nouvelles formes d’existence qui font avancer notre humanité. Car, finalement, c’est de la qualité de nos rêves que dépend la qualité de notre vie et de notre avenir. 

C’est pour cela que rêver d’amour ne peut jamais faire du mal à notre monde. Et c’est ce que Jésus de Nazareth a fait ! Il a incarné et vécu un extraordinaire rêve d’amour : gratuit, désintéressé et inconditionnel. En même temps, il nous a prouvé, par toute sa vie, que son rêve pouvait devenir réalité, si seulement nous étions intérieurement assez pauvres, assez libres, assez motivés, assez ouverts, assez courageux et assez confiants pour l’adopter comme mode et style de relation humaine et comme l’orientation de base de notre existence.

Alors, grâce à lui et à sa suite, cela pourrait vraiment faire de nous, ses disciples, des promoteurs d’une nouvelle façon d’être humain, des pionniers d’un nouveau monde et les premiers spécimens d’une humanité recréé et renouvelée, car établie dans la communion et la fraternité de l’amour.

Il s’agit cependant d’un rêve auquel il est difficile de croire et qui est surtout difficile à accepter, tellement il est subversif, révolutionnaire et contestataire. En effet il annule et il condamne par principe le système de pouvoir, d’oppression et d’exploitations sur lequel ont été et sont construites les sociétés, les politiques, les économies et les relations humaines.

Déjà en son temps, Jésus été éliminé à cause de son rêve. Aujourd’hui encore son message d’amour est bien difficile à être accepté et bien loin d’être pris au sérieux, même si l’on commence à se rendre compte qu’il constitue la seule Voie de salut pour notre monde.

En effet, c’est seulement lorsqu’un grand rêve devient réalité, qu’un bond en avant est réalisé dans la marche évolutive de notre humanité. Avec Jésus de Nazareth, continuons à rêver d’un amour fraternel, gratuit, généreux offert à tous sans distinction, car tous fils et filles d’une même famille humaine, d’une même Terre-Mère, d’un même Univers, d’un même Mystère Ultime qui est source de tout être, de toute vie et de toute amour.

C’est la nouveauté de cet amour inconnu auparavant, le grand héritage que Jésus du Nazareth a laissé à l’humanité et particulièrement à nous, qui l’avons rencontré : « Je vous laisse un commandement nouveau : comme je vous ai aimé, aimez-vous aussi les uns les autres ! C’est à cette qualité d’amour que les gens sauront que vous êtes mes disciples » (Jn 13,34-35). Ce sera donc dans la mesure où nous serons capables d’incarner cet amour dans notre vie et de le diffuser autour de nous, que nous pourrions vérifier l’authenticité de notre vie et de notre cohérence chrétienne.

C’est tout un défi et tout un programme de vie que Jésus nous a placé entre nos mains ! Hélas, dans le passé, nous n'en avons pas fait grand-chose. Serons-nous capables d’en faire quelque chose de plus dans le présent ? 


 

Bruno Mori -  mai 2022