UNE RÉFLEXION SUR LA VALIDITÉ
DU DOGME TRINITAIRE
Il faut toujours avoir présent à l’esprit que Jésus de Nazareth était juif et que en tant que tel il a
toujours été absolument et jalousement monothéiste. Jésus non seulement n’a jamais parlé de la «trinité», mais il ne pouvait même pas
penser en une trinité de personnes en
Dieu qui aurait sonné pratiquement blasphématoire à ses oreilles. Pour Jésus,
Dieu est un seul et pas plus qu’un.
Pour étrange que cela puisse paraître à certains chrétiens, la doctrine de la Trinité n'est pas du temps de Jésus, mais beaucoup plus tardive. De fait, sa formulation doctrinale est l’œuvre du Concile de Nicée (325). Cela signifie alors que les Évangiles ne peuvent pas parler de la Trinité comme nous la connaissons aujourd’hui et que les phrases d’Évangile qui semblent faire référence à la doctrine de la Trinité (les formules trinitaires), sont des ajouts postérieurs.
Si la doctrine de la Trinité est une
élaboration des premiers siècles du
christianisme et qui seulement au quatrième siècle a acquis la formulation qui
restera ensuite celle officiellement acceptée par l’Église, cela signifie que ce
dogme catholique est fondamentalement une construction théologique postérieure et
donc non pas une révélation divine, mais
une
«construction humaine». Il faut
donc cesser de penser que le mystère de la Trinité soit une vérité inconnue avant Jésus que celui-ci est venu nous révéler telle qu’on la trouve maintenant formulée dans la doctrine
officielle de l’Église.
La doctrine de la Trinité est donc
finalement la façon dont les chrétiens
du 4ème siècle ont cherché à comprendre et à exprimer
le mystère de Dieu de leur foi. Avec les
instruments intellectuels de leur époque, empruntés à la culture et à la
philosophie grecques, ils ont formulé
une hypothèse, qui, d’après eux, semblait mieux expliquer et donc mieux rendre compte
du mystère de Dieu tel qu’il leur apparaissait dans les textes sacrés du NT où
il était souvent question d’un Dieu
Père, d’un Dieu-Fils et d’un Esprit Saint. Pour
composer leur système explicatif et pour bâtir et formuler leur hypothèse
explicative sur Dieu, les théologiens chrétiens du 4e siècle ont utilisé,
comme instruments de leur travail et de
leur recherche, les concepts, les notions, les abstractions, la terminologie de l’analyse philosophique de
leur époque comme nature, essence,
substance, personne, hypostase, relation, etc…
A part le fait que cette
terminologie ancienne, (lorsqu’elle a été conservée) n’a plus aujourd’hui le même sens qu’on lui attribuait au 4ème siècle (par exemple, le mot hypostase qui servait en ce temps-là à
indiquer le caractère unique de la personne, aujourd’hui est utilisé pour indiquer les dépôts ou les sédiments qui
se forment dans l’urine), la réalité indiquée par ces concepts (nature,
essence, substance …de Dieu) ne peut plus aujourd’hui faire l’objet ni du même
assentiment, ni de la même compréhension. Je veux dire par là que l’on
peut très bien être chrétien aujourd’hui
sans adhérer nécessairement à ce type
d’explication de Dieu qui remonte au 4ème siècle. Type d’explication qui
pouvait, sans doute, convenir et satisfaire les exigences intellectuelles des chrétiens de ce temps,
mais qui ne réussit plus du tout à
satisfaire celles complètement différentes et autrement plus exigeantes, plus
éclairées, plus évoluées et plus critiques des chrétiens du XXIème siècle
On peut dire que la
doctrine de la Trinité fut la réponse que le christianisme du 4ème siècle,
qui venait de sortir des catacombes et qui cherchait à se tailler une place au
soleil, dans une société imprégnée
de culture et de philosophe grecque,
a su donner à la question de Dieu. Ce
fut sans doute un très bel exemple d’inculturation
d’une religion d’origine juive dans une culture totalement différente. Le
mouvement judéo-chrétien des
débuts, complètement étranger aux
catégories philosophiques de l’hellénisme, finit par s’exprimer, se reformuler
dans un langage qui n’avait rien à voir
avec le langage biblique de ses origines.
Pour nous, cependant, le problème réside dans le fait que la
philosophie grecque ne se trouve
aujourd'hui que dans les livres d'histoire et que dans la vie réelle plus
personne ne recourt à cette manière de penser et de s’exprimer pour
trouver des réponses ou des explications aux questions posées par les mentalités et les problématiques actuelles.
Alors que le monde et la culture ont cessé de croire en l’efficacité de
l’ancienne philosophie grecque comme
instrument explicatif de la réalité,
l'Église, elle, continue d’utiliser cette philosophie, cette archaïque façon de
penser, pour présenter et expliquer ses
dogmes, pour formuler ses doctrines; dogmes et doctrines qu’elle persiste à considérer comme
intouchables et, dans des nombreux cas, comme in-interprétables (= il est défendu de chercher une autre façon
d’interpréter ou d’expliquer les
contenus de la foi et du dogme).
Il
y aurait aussi une autre question qui mériterait d’être mentionnée, c’est la question du «théisme», c'est-à-dire la façon
traditionnelle de concevoir Dieu. Dans la théologie catholique Dieu est habituellement pensé et imaginé comme une personne
masculine, comme une entité individuelle, comme un Être infiniment supérieur, aux
pouvoirs extraordinaires et infinis, qui intervient dans les affaires des
hommes, animé par des sentiments, des intentions et des réactions qui
ressemblent étrangement à ceux des humains. Dans cette théologie trop facilement
on parle de «Dieu» comme si l’on savait ce qu’on dit par ce mot et comme si ce mot était capable de contenir
et d’exprimer tout ce que Dieu est en lui-même. Aucun mot, aucune doctrine, ni
aucune construction ou hypothèse théologique sont capables de dire Dieu. Toutes
les explications, toutes les approches sont vraies et fausses en même temps;
sont valables et non valables simultanément; sont ensemble fiables et non
fiables. Car Dieu ne s’inscrit en aucun de nos schémas et ne se laisse définir par
aucune de nos paroles; ne se laisse cerner par aucunes de nos constructions théologiques ou
intellectuelles. Donc, même le dogme de la Trinité n’est ni vrai, ni faux. Il n’est ni
fiable, ni non fiable et il ne peut pas
réclamer pour lui la loi absurde de l’intouchabilité et exiger l’adhésion indiscutable
et éternelle des chrétiens.
Car ce dogme ancien n’est, lui-aussi, que l’effort des hommes d’une époque et d’un pays
pour dire, dans leur langue et dans leur culture,ce qu’ils pensaient, eux, de
Dieu. Mais d’autres approches, d’autres tentatives d’explication, d’autres
possibles perceptions de Dieu sont
possibles et sont et seront
continuellement élaborées par la soif de vérité de l’intelligence humaine au cours des siècles. Et il faut qu’il en soit ainsi! Aucune approche
intellectuelle, ni aucune doctrine, ni aucun discours sur Dieu, ne peuvent avancer la prétention d’être exhaustifs, d’être les seuls
vrais et les seuls définitifs et de dire la parole ultime sur Dieu. Car Dieu
sera toujours au-delà de toutes nos explications et de toutes nos formulations; sa
nature profonde ne pourra jamais être déterminée ou saisie par nos concepts humains ou être liée aux mots ni de
nos Saintes Écritures, ni de nos crédos, ni de nos doctrines. Dieu n’est pas un
individu ou une personne. Il n’est même pas un être. Il est Être ou Fondement d’être
et rien ni personne ne peuvent le définir ou le déterminer. Et nous, les
humains, malgré tous nos efforts, ne pourrons jamais ni le connaître, ni le
comprendre vraiment, mais seulement balbutier notre étonnement si notre
sensibilité est assez affinée pour «sentir», «expérimenter» et percevoir les
traces de sa présence et de son action dans notre univers.
Nous devons donc abandonner l’idée d’un Dieu
personne, grand manitou tout-puissant qui siège quelque part dans les cieux et
qui intervient pour diriger et juger les actions et le destin des humains. Ce
Dieu est un mythe et une pure invention de notre peur et de notre ignorance. Ce
Dieu est une idole que nous avons faite à notre image et ressemblance et qui,
pendant des millénaires, a dominé les
humains et a servi les intérêts du
pouvoir et des religions établies.
Aujourd’hui ce modèle mental de Dieu ne réussit
plus à rallier les gens du XXIème siècle. Cette ancienne forme de théisme
est refusée et niée par la grande majorité de nos contemporains qui se définissent
alors comme athéistes ou athées. Il faut donc marcher vers une
nouvelle façon de concevoir Dieu qui réponde aux nouvelles attentes, aux
nouvelles connaissances, aux nouvelles perceptions et aux nouvelles sensibilités
de l’homme moderne. Je pense que maintenant l’alternative n’est pas théisme ou athéisme,
mais post-théisme. Nos continuerons à croire en un Mystère de la réalité, en une
Énergie primordiale, en une Puissance d’Amour source de vie, en un Fondement Original
de l‘être que nos ancêtres ont nommé «Dieu» et qu’ils ont pensé à leur image. La
conception théiste de Dieu a satisfait
les croyances de nos grands-parents. Elle s’avère cependant maintenant incapable de satisfaire nos
attentes. Il faut donc aller vers une nouvelle façon de comprendre Dieu qui puisse
répondre à nos questionnements à nous, qui vivons dans l’ère de la rationalité,
de la technique, de l’astrophysique, des voyages spatiaux et du monde
quantique.
Nous
continuerons à être des personnes croyantes, spirituelles, fascinées par Dieu;
des chrétiens attachés avec ténacité et amour à la personne extraordinaire de
Jésus de Nazareth. Mais nous serons des gens qui ne conçoivent et qui ne
pensent et ne peuvent plus penser Dieu selon les modèles mythique et anthropomorphiques
hérité du passé.
MB
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