Le mystère de l’Ascension du Seigneur
En tant que chrétiens adultes
dans la foi, essayons de saisir la
valeur symbolique de cette fête de l’Ascension
du Seigneur. C’est une fête où l’image, le symbole, la mise en scène ont clairement une grande importance dans la transmission du message.
En premier lieu, ne pensons pas que Jésus ait attendu quarante jours pour retourner auprès du Père. C’est par la mort et sa résurrection que Jésus
a passé de ce monde à celui de Dieu. Comme pour chacun de nous, Jésus est entré dans le monde de Dieu au moment où il a quitté ce monde en mourant sur la croix.
Les apparitions de Jésus à ses disciples qui sont racontées dans les quatre évangiles ne signifient pas que Jésus se serait attardé sur cette terre après sa mort un peu comme s’il était un genre de fantôme errant ou un esprit en peine à la recherche de son repos définitif. Ces apparitions sont des constructions littéraires, des évangélistes qui ont un caractère éminemment catéchétique; elles veulent instruire les chrétiens sur la permanence, la continuation, la vérité et la réalité de la présence du Seigneur parmi les siens après sa mort et malgré sa mort. Elles veulent transmettre la conviction profonde qui a animé la communauté chrétienne dès le tout début de son existence : après sa mort le Maître est devenu le Seigneur vivant non seulement par Dieu et en Dieu, mais il continue à être vivant dans la communauté de ceux qui ont cru en lui et auxquels il a transmis son Esprit. Les évangélistes cherchent donc à entretenir et à renforcer cette foi en sa présence vivante par des procédés littéraires où les scénarios ont pour fonction de présenter Jésus dans le rôle du Vivant qui apparaît et parle à ses disciples pour les convaincre et les assurer de la réalité de sa présence. Ces récits ont donc comme objectif de confirmer la foi des disciples en la présence de Jésus toujours vivant et d’entretenir en eux la certitude que le Maître ne les a ni laissés, ni abandonnés, mais qu’il est toujours là, avec eux, d’une façon nouvelle, mystérieuse, certes, mais cependant vraie, réelle, pour continuer en eux, avec eux et par eux l’oeuvre qu’il a entreprise sur terre.
Le récit de l’Ascension du Seigneur se situe dans la même ligne de pensée et
participe du même genre littéraire de tous les autres récits de la vie de Jésus après sa mort. Donc nous ne devons pas nous arrêter
aux détails littéraires, anecdotiques qui sont souvent cocasses,
pittoresques et fantastiques, mais
chercher à découvrir le message que le texte, à travers ces images, veut nous communiquer.
Quel est donc ce message?
Le
message de l'Ascension peut se résumer en trois
exhortations : élever notre regard, garder confiance jusque dans l'inattendu,
prendre en charge notre destinée.
Élever notre regard. Non pas pour fuir la réalité ou voir les choses de si haut qu'on ne les perçoit plus du tout, mais pour s'habituer à observer les êtres, les événements avec les yeux de Dieu, ou plutôt avec les yeux de Jésus. Le Maître-Jésus, s’il est parti, nous a cependant laissé son regard, sa vision, sa façon de voir et de percevoir le monde, les hommes et Dieu dans notre vie. Ce regard nous aide à donner du sens à la réalité et nous empêche de sombrer dans cette angoisse existentielle qui caractérise souvent la vie et surtout la pensée de ceux qui n’ont pas la foi. Ceux de nous qui sont tant soit peu familiers avec les écrits d’Albert Camus ou de Sartre, par exemple, savent comment ces écrivains sans foi parlent de l’absurdité de l’existence, le silence du monde, son absolue opacité; aucune réponse nous vient de la réalité cosmique ou matérielle qui puisse nous éclairer sur le sens ou le pourquoi de notre présence humaine en ce monde : « Je ne sais pas si ce monde a un sens qui le dépasse. Mais je sais que je ne connais pas ce sens et qu'il m'est impossible pour le moment de le connaître. Que signifie pour moi une signification hors de ma condition ? » (Camus). Du monde qui nous entoure nous en connaissons les lois, mas pas le sens, ni la finalité. Sans la foi la réalité physique (et nous-mêmes) reste une indéchiffrable énigme.
Voilà
pourquoi pour ces gens sans foi, la solution est soit la résignation dans le fatalisme, soit la
révolte dans l’agressivité et la violence: se battre pour survivre dans un monde fermé et absurde
et dans lequel nous sommes insignifiants et sans importance aucune. Voilà
pourquoi sans la foi souvent nos
rapports se déploient à l’enseigne de la
violence, de l’agressivité, de l’exploitation, de la compétition farouche dans
un monde sans ouverture, sans souffle, sans horizon, sans perspective, et où l’autre est perçu non pas comme un semblable,
un proche, un frère, mais comme un adversaire,
un opposant, un concurrent, un obstacle à notre réussite, à notre avancement, à notre succès,
à notre insertion en un monde fondamentalement hostile, inhospitalier et sans
âme.
Seulement
si nous avons ce regard qui nous vient d’en
haut, qui nous vient de Dieu, nous devenons capables non seulement d’apprivoiser
la réalité, mais aussi de la rendre transparente. Seulement avec ce regard posé sur elle, la réalité devient icône, signe, manifestation, parole d’une
Réalité plus grande. Seulement si nous le regardons avec le regard de la foi la
réalité devient fraternelle, bénigne,
bienveillante ; elle se transforme en paradis, en
jardin, en maison, en lieu où est bâti le foyer d’une une présence
pleine d’amour, à la chaleur et la lumière de laquelle se réchauffe notre cœur
et s’éclaire notre esprit. Et nous devenons
alors capables de comprendre que l’absurde a un sens, que le silence possède une
Parole et que l’obscurité est traversée
par une immense lumière. Car finalement tout est œuvre et manifestation d’une présence
pleine de bonté et d’amour qui nous dépasse, certes, mais qui nous saisit cependant
fermement dans la matérialité et la finitude de notre condition humaine, pour
nous propulser vers un accomplissement extraordinaire qui s’appelle humanisation,
illumination, transformation, renouvellement intérieur, sanctification, salut,
manifestation de Dieu en nous, présence de son Esprit de sagesse et de l’amour au
cœur de notre être, de notre existence et de notre monde .
Garder
confiance jusque dans l'inattendu. L' Ascension rappelle aux chrétiens que Jésus
quitte leur proximité visible et disparaît à leurs yeux. Alors commence
vraiment le temps de la confiance. Cette confiance qu'il nous faut maintenir,
même dans l'imprévisible, dans l'absence, dans les plus fortes tensions de
l'existence. Une flamme veille toujours au creux de l'absence, qui ne demande
qu'à nous éclairer.
Prendre en charge notre destinée. « Pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? » (Ac 1,11) disent les hommes en blanc aux apôtres fixant la nuée. Le départ du Christ est, en fait, un appel à un plus grand engagement dans le monde. La foi n'est pas une fuite ou une démission, au contraire, nous sommes invités à nous mesurer à tous les défis présents et à faire jaillir l' espérance comme un cri lancé jusqu'aux limites du monde.
MB
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