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lundi 8 avril 2013

Nos résurrections


Thomas le disciple qui avait perdu ses mains

(Jean 20, 19-31)


La figure de Thomas apparaît presque exclusivement dans l’évangile de Jean. Il est celui qui est prêt à mourir pour le Seigneur (Jn 11,16), celui qui veut connaître le chemin que Jésus va prendre pour pouvoir le suivre jusqu’au bout (Jn 14,5). Il est celui qui ne réussit pas à croire comme les autres (Jn 20, 24-29). Et, pour moi, il est aussi une des figures les plus attachantes et les plus inspirantes du Nouveau Testament. Voyons ce qu’il a à nous enseigner aujourd’hui.

N’oublions pas que dans son évangile Jean parle par images et symboles et que presque tout ce qu’il écrit doit être déchiffré et interprété si l’on veut atteindre le vrai sens de son message. Je veux attirer votre attention sur deux symboles particulièrement  importants dans cet évangile.

Premier symbole: le nom. Lorsque l’évangéliste Jean parle de l’apôtre Thomas, il lui accole toujours le surnom "didymos", le "jumeau". C’est intentionnel. À cette époque, ce terme signifiait "le mâle", l'homme solide, celui qui se tient debout, celui sur lequel on peut compter. Mais ce terme évoquait aussi l'attitude de quelqu'un qui est comme doublé, divisé en lui-même, en recherche d'une identité qu'il ne réussit pas à trouver; vivant à l’ombre de l’autre qui prend souvent trop de place. D'où l'importance donnée à ce surnom. Thomas est un homme qui ne donne pas sa confiance facilement, qui a peur, qui hésite, mais une fois sa confiance donnée, c’est pour la vie. C’est donc l’homme qui n’est pas très sûr de lui-même, qui a besoin de s’appuyer, qui peut s’emballer pour une cause, un projet, une personne, une amitié et y consacrer sa vie; mais c’est aussi la personne capable de tomber dans la dépression la plus profonde s’il est déçu dans ses affections, ses attentes et ses espoirs.

Deuxième symbole. Pour décrire la relation qui existe entre Thomas et Jésus, Jean a recours au symbolisme de la main. Vous remarquerez comme ce mot revient en continuation dans ce bref récit. Cherchons à découvrir le message qui s’y cache.   

Chacun de nous a pu s'émerveiller du langage gestuel des sourds et muets qui, utilisant uniquement leurs mains, réussissent à communiquer entre eux, à échanger leurs sentiments, et concevoir une vie normale. Par cet échange on peut dire que la main parle et que les yeux écoutent.
Ils peuvent faire cela parce que la main est le complément de l'esprit, l'instrument qui projette la pensée par les actes. La main donne, reçoit, s'ouvre ou se ferme, caresse ou blesse, fait du bien ou fait du mal, fait jouir ou fait souffrir, selon ce que l'esprit veut exprimer. La qualité de la main et des gestes qu’elle pose devient ainsi la manifestation de la qualité de la personne et de la richesse ou de la pauvreté de son cœur, de sa grandeur ou de sa médiocrité.

D'ailleurs ne dit-on pas "ton destin est entre tes mains" ou "ouvrir sa main, c'est ouvrir son cœur", "je me suis mis entre ses mains". Ce qui signifie que chaque individu est responsable de son existence et de l’amour avec lequel il la vit et que l’on peut tranquillement s’abandonner aux bons soins d’un autre. Ainsi "demander la main" de quelqu’un, c’est vouloir le faire entrer dans l’intimité de notre vie. La main indique alors la profondeur la plus mystérieuse, la plus attrayante et la plus valable d’une personne. Mettre nos mains dans les mains d’un autre, lui tenir la main, lui serrer les mains, c’est lui exprimer qu’il est notre ami, qu’il a notre confiance, notre amour et que nous sommes prêts à faire avec lui un bout de notre chemin et peut-être aussi à partager avec lui les meilleurs projets de notre existence.  

Thomas était l’homme qui avait mis sa vie entre les mains de Jésus. C’était l’homme qui aurait voulu partager son chemin, son destin, qui aurait été prêt a mourir pour lui et avec lui; qui voulait rester toujours près de lui, en le tenant, pour ainsi dire, par la main, comme un enfant…. et qui, soudainement, avec l’exécution du Maître, voit son amour se perdre et tout s’effondrer autour de lui.
La seule chose qu'il peut éprouver devant l'euphorie des autres qui lui annoncent d’avoir vu le Seigneur à nouveau vivant, c'est du scepticisme et presque de la colère. En la personne de Jésus, on avait  tué celui qui était tout pour lui. Personne ne pourra le faire revenir de la mort. D'une certaine façon, cette agressivité dans le deuil est le pendant masculin de l'attitude amoureuse et plutôt passive de Marie de Magdala en larmes devant le tombeau vide. Devant sa déception, devant son drame personnel, devant son amour brisé à tout jamais, tout ce que les autres peuvent lui dire résonne en lui comme des balivernes inutiles. Thomas reste barricadé dans son chagrin, verrouillé dans son angoisse. Le contact avec les autres est pour le moment interrompu. Toute personne en deuil, surtout en deuil d’amour, est en quelque sorte renvoyée à elle-même, car, ayant perdu sa  raison de vivre, elle se trouve plongée dans une terrible solitude. La mort du maître avait été aussi sa mort. Pour Thomas aussi la vie s’était arrêtée. Il était comme figé, bloqué, incapable de trouver un sens et de donner un mouvement à son existence. C’est comme si on lui avait coupé les mains. C’était comme si ses mains aussi avaient été clouées. Dans cet état, comment avoir encore envie de saisir la vie, de tendre à nouveau les mains pour toucher au bonheur de vivre? Comment pouvoir recommencer à vivre? Pour Thomas, la mort de Jésus revient à l'obliger à prendre sa propre vie en mains. Cette vie qu’il avait pourtant mise entre les mains de Jésus…Mais comment cela sera-t-il possible ?

Pour pouvoir recommencer à vivre Thomas doit sentir que le lien avec Jésus n’est pas brisé. Il doit se rendre compte que Jésus en réalité ne l’a jamais quitté, qu’il est toujours avec lui, à ses côtés, puisque son Esprit, sa présence et l’amour qu’il ressent pour lui remplissent et configurent toujours sa vie. Il doit  sentir qu’il tient toujours la main de son Seigneur et qu’il continue à être entre ses mains et que, par conséquent sa vie peut reprendre et ses mains à nouveau se déplier. Et c’est ce miracle de résurrection dans le cœur et dans la vie de Thomas que Jean décrit ici à travers le symbolisme et le jeu de ces mains tendues, de ces doigts avancés qui cherchent à rétablir le contact avec la présence vivante du Seigneur.

Le désir de Thomas de  toucher Jésus, ses plaies, son côté percé, renvoie au souvenir de tous les élans de cœur échangés avec le Maître, à tous les sentiments aussi qu’il a dû étouffer et faire mourir et qui resurgissent maintenant comme une pulsion irrésistible et qui deviennent la preuve intime que le Maître est toujours à ses côtés. Et l'apparition de Jésus vivant qu'il appelle de tous ses vœux consiste alors à retrouver la confiance, à pouvoir ressentir à nouveau ce dont la mort de Jésus l'avait privé.

 «Tends, avance  tes mains, tu peux à nouveau me saisir», lui dit Jésus. Ainsi comprise, la permission que lui accorde Jésus ne survient pas de l'extérieur, mais du fait que tout à coup Thomas le retrouve finalement à l’intérieur de lui-même. Il s'agit d'une expérience intime, très fine, qui permet à Thomas de découvrir en la personne de Jésus, ce qui le fait vraiment vivre. On peut résumer toute la péripétie spirituelle de Thomas en ce cri, ou plutôt en ce soupir d’amour qu’il adresse à Jésus du fond d’un cœur qui a repris à battre: "Mon Seigneur et mon Dieu.". C'est, bien sûr, l'écho de la première confession de l'Église primitive et le résumé de tout l'Évangile de Jean. Mais nous sommes désormais en mesure de comprendre la complexité  de ce cheminement de foi, le temps de maturation de la souffrance qui aura été nécessaire pour pouvoir faire ce pas et découvrir que la reconnaissance de Jésus, Seigneur et Dieu, passe par la guérison de soi-même. 

    MB 

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