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dimanche 14 avril 2013

Regarder notre vie avec les yeux de la raison ou avec les yeux de la foi


Le mystère  d’Emmaüs


            Voilà deux hommes complètement anéantis par des événements qui bouleversent leur existence. Ils pensaient avoir trouvé un sens à leur vie. Ils pensaient avoir finalement trouvé leur chemin, avoir rencontré la bonne  personne, le bon parti, la bonne profession, être arrivés au bout de leurs recherches, de leurs  peines. Le succès semblait être vraiment à la portée de la main… Ils avaient commencé à faire des projets. Ils se sentaient  heureux parce que la vie semblait leur offrir de belles possibilités de réalisation, de bonheur... Et voilà que subitement  tout s’écroule … la catastrophe, la disgrâce, l’épreuve qui chavire la vie, qui renverse tous les plans, qui anéantit tous les rêves et tous les espoirs; qui oblige à se confronter au caractère impitoyablement tragique, fragile, provisoire de nos réalisations et de notre existence.

            Les deux disciples de l’évangiles incarnent ce que nous tous expérimentons et vivons. Ils sont comme le symbole et la personnification de tous nos chagrins, de nos contrariétés, de nos regrets, de nos désabusements, de nos désillusions, de tout ce qui dans notre vie est souvent si dur, si difficile à accepter et à dépasser. Que de fois nous aussi, en regardant en arrière au vécu de notre vie, nous avons soupiré cette même phrase  «  Ah, j’espérais, je pensais que c’était ça ce que je devais faire, dire!… . J’espérais avoir fait le bon choix en me lançant dans ce travail, dans cette profession dans cette carrière… mais voilà que le travail est devenu une corvée, il m’écœure, il me stresse, il m’épuise, je n’ai plus de temps pour moi, il m’empêche de vivre,  parce je ne me réalise pas dans ce que je fais.  Je pensais que c’était lui, elle la bonne  personne; que c’était lui, elle l’amour de ma vie, celui ou celle qui m’aurait rendu heureux. Quand je l’ai marié, je pensais qu’il était bon, comique, attentif, gentil, tendre, romantique… et voilà, qu’avec le temps, j’ai découvert qu’il était tout autre: plat, mesquin, égoïste, colérique, infidèle. »

            Nous, les parents, nous avions fait tellement de projets pour  nos enfants… nous espérions pour eux un bel avenir, un mariage réussi; nous espérions recevoir d’eux de l’affection, de l’attention, de la proximité, de l’aide…. Mais à la place de cela, nous avons rencontré l’égoïsme, l'incompréhension, la querelle, l’agressivité, les disputes, la haine, la violence, la séparation, le divorce. Nous avons rencontré l’indifférence, l’abandon, la solitude.

            Nous pensions avoir une bonne santé, être en bonne forme… et voilà  l’accident, la maladie ... Nous pensions vivre longtemps, avoir une vieillesse heureuse, entourés de la sollicitude, de l’attention de nos proches, de nos amis, et nous voilà menacé par un mal incurable… nous voilà délaissés, abandonnés, oubliés...

            Un divorce, une séparation, une trahison, une peine d’amour, une faillite, un accident de la route, une maladie, un cancer, un infarctus, un décès….et voilà que pour nous aussi tout bascule, et voilà que nos projets tombent à l’eau ...voilà que toute notre existence est désorganisée… nous voilà désemparés, égarés, effrayés; nous  voilà à bout, dégoûtes, complètement vidés, déçus de la vie; angoissés. 

            Certes,  nous savons que dans la vie nos réalisations et nos accomplissements  ne sont que rarement à la hauteur de nos aspirations et de nos attentes. Certes, nous savons que la déception et le désenchantement font partie de la vie parce que nous ne réalisons qu’une infime partie de nos rêves et de nos désirs…, mais quand cela nous arrive à nous  personnellement,  nous ne sommes pas capables d’assumer cette attitude  de résignation et d’acceptation. Nous sommes davantage  portés à la révolte .

             Qui de nous n’a pas été tenté de penser que la vie est souvent plus une punition qu’un don ? Qui de nous n’a pas fait l’expérience du caractère cruel, tragique, douloureux de l’existence? Qui de nous n’a pas eu la l’impression que, dans ce monde, Dieu est absent,  indifférent  à notre sort, à notre douleur et à notre misère et d’avoir été abandonné par lui?  Qui de nous n’a pas douté des paroles de l’évangile et de l’Église qui affirment que le royaume de Dieu est parmi nous; que Dieu est avec nous jusqu’à la fin des temps; que  le monde est sauvé; que nous sommes tous les enfants  chéris de Dieu; des enfants qu’il protège, soigne, sauve avec tendresse et amour? Où est-il cet amour de Dieu, lorsque, autour de nous et dans le monde, nous voyons tant de larmes,  tant de misères, tant de souffrances? Est-ce de cette façon que Dieu aime ces enfants?

            Voilà ce que pensaient les deux disciples lorsque, après avoir abandonné pour toujours la Jérusalem de leurs certitudes et de leurs espoirs effondrés, ils cherchaient à prendre un autre chemin afin de soigner leur cœur meurtri et remettre ensemble les morceaux de leur vie décomposée. Les voilà donc engagés sur la route d’Emmaüs, la route qui représente nos désirs de fuite; nos tristesses, nos rêves brisés, nos attentes déçues. 

            Tant et aussi longtemps que, comme les deux disciples, nos regarderons aux événements de notre vie avec les yeux de notre raison et de nos peurs, nous ne verrons en Jésus (qui ici représente la partie la meilleure de nous mêmes) qu’un homme perdu, raté, battu, fini et à jamais détruit  par la honte et l’échec de la croix. Mais si nous regardons avec les yeux de la foi et de la confiance, nous verrons les choses différemment. Nous verrons toujours pointer la lumière de Pâques au-delà des ténèbres du vendredi saint. Nous nous apercevrons que la vie, la vraie vie, ne se réalise jamais d’une façon linéaire, selon un plan préétabli à l’avance; mais que la vie, et la nature nous en donne une confirmation constante, naît, se forme, grandit, se développe, s’épanouit à travers un jeu complexe d’essais chaotiques, de fautes et d’erreurs, de défaites, d’échecs, d’insuccès, de tâtonnements, de reprises, de recommencements. Nous voyons qu’il n’y a pas d’avancement, de croissance intérieure et personnelle sans un certain dépouillement de nous mêmes, sans une certaine capacité de notre part à nous délester de nos pesanteurs, de nos chaînes,  des attaches qui nous emprisonnent ; sans une certaine capacité aussi à casser, à détruire en nous certaines  façons de vivre, de communiquer, d’agir et de penser. Notre vie est comme une statue qui ne peut prendre forme que sous les coups du marteau du sculpteur. Il faut souvent  beaucoup de coupures, beaucoup de brisures, beaucoup de blessures, beaucoup de coups, pour que puisse apparaître l’authentique  image de nous mêmes ou le vrai visage de notre être véritable.

            Si nous regardons avec les yeux de la foi et de la confiance notre vie, nous nous apercevrons, avec surprise, que, finalement, rien de ce qui nous est arrivé a été le fruit du hasard. En regardant avec un certain recul, nous finissons par voir que ce qui, au début, nous apparaissait comme une épreuve insupportable, une disgrâce terrible, une fatalité dramatique, s’insère en réalité dans un plan providentiel d’ensemble qui nous a conduit à un surplus d’être; qui nous a amené à devenir meilleurs, puisqu’il nous a offert l’opportunité de croître en endurance, en patience, en amour, en compréhension, et, finalement donc en humanité. Nous sommes devenus plus riches en humanité, et donc de meilleurs  hommes et de meilleures femmes.

            Pour reprendre l’image de l’évangile d’aujourd’hui, en regardant notre vie avec les yeux de la confiance, nous finissons par nous apercevoir que nous n’avons jamais marché tous seuls sur la route de la déception et de la souffrance, mais que derrière la sensation d’absence, de solitude et d’abandon  que nous avions si souvent expérimenté, se cachait néanmoins une Force, une Présence, un Amour, une Bonté qui nous a toujours accompagné. C’est le message que veut nous laisser l’évangile d’aujourd’hui: tu n’es jamais seul. Tu n’es jamais abandonné. Tu n’es pas une plume qui vague sans but à la merci aveugle du vent. Si ton cœur a été capable de s’ouvrir à cette foi et à cette confiance que Jésus nous a enseignée et communiquée, tu découvriras que ta vie entière est dans les mains d’un Dieu-Père, qui te porte sur la paume de sa main,  qui fait toujours route avec toi et qui t’enveloppe continuellement de son attention et de sa tendresse.

            Il est là, nous dit l’évangile, à côté de toi, sur le chemin d’Emmaüs. Il est là, à côté de toi, dans l’intimité de ta maison. Il est là, assis avec toi à la même table, en train de manger le même pain! A toi de découvrir sa présence! Quelles images magnifiques pour nous faire comprendre la proximité de notre Dieu et la confiance qui doit soutenir notre vie si nous voulons quelle soit réussie et sauvée!  

MB

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