(Jn 13,1-15)
Méditation du Jeudi Saint 2015
Dans l’évangile
de Jean, la dernière Cène constitue le moment culminant de la vie de Jésus.
Nous y trouvons le récit de Jésus qui lave les pieds de ses disciples. Dans la
pensée de Jean, ce geste est tellement important que sa valeur symbolique devient
désormais le paradigme du comportement chrétien et donc la condition indispensable
pour que quelqu’un puisse se considérer comme disciple du Seigneur. Ce que Jean
veut dire, en nous laissant le souvenir de cette action de Jésus, est ceci : «Tu
n’es chrétien, tu n’es son disciple que si dans ta vie tu es capable, comme Jésus
et à sa suite, de te dévêtir du manteau de ton égoïsme et de ta suffisance pour
te mettre humblement au service des autres comme un égal et un frère, disposé,
si nécessaire, à leur laver les pieds».
En transmettant
ce geste de Jésus, l’évangéliste Jean, pour qui Jésus incarne la présence de
Dieu parmi nous, veut aussi aider les chrétiens à se défaire d’une fausse image
de Dieu. En présentant Jésus qui, aux pieds de ses disciples, adopte le
comportement de l’esclave, il cherche à faire comprendre qu’en Jésus Dieu ne se
manifeste pas comme le souverain tout-puissant, le grand chef des armées célestes
qui exige soumission et obéissance, le juge sévère qui surveille, contrôle et demande
des comptes, mais comme le Serviteur de l’homme qui n’écrase jamais personne avec
les exigences de sa supériorité, mais cherche, au contraire, à élever l’homme, avec
patience et amour, jusqu’à la mesure de sa grandeur et de sa sainteté. Pour Jean,
Jésus est l’incarnation de cette attitude de Dieu qui veut être au service de
l’homme afin de le libérer des pulsions néfastes qui l’écrasent au sol et qui
l’empêchent de prendre l’envol vers les hauteurs pour lesquelles il a été créé
en tant qu’être humain et enfant de Dieu.
Cet évangile
constitue alors une critique du Dieu des religions, car ce Dieu ne correspond
pas à celui que Jésus nous a révélé. Ce texte d’évangile nous oblige à abandonner
la conception «religieuse» de Dieu, pour adopter le Dieu «profane» dont parle Jésus.
Son Dieu, en effet, ne se trouve pas dans les temples, les cathédrales, les
basiliques, les églises, dans les rites, les prières, les dévotions, les pratiques
de piété, mais seulement là où il y de l’amour à donner et de l’amour à recevoir,
ainsi que le chante une ancienne hymne chrétienne: « Ubi caritas et amor, Deus ibi est». Là où naissent des gestes de
bonté, de compassion, de disponibilité, de don de soi, de pardon, d’entraide,
de service … là se manifeste le Dieu de Jésus-Christ. Et ces gestes ne sont jamais
posés dans les lieux sacrés de la religion et du culte, mais toujours en dehors
d’eux … Partout où il y a des gens ordinaires, humbles, simples, démunis, oubliés,
exploités, opprimés, souffrants… là se trouve le terreau propice à l’éclosion des
actes de l’amour et du service qui réalisent la présence de Dieu dans notre
monde.
L’évangéliste
Jean avait compris qu’avec Jésus avait fait irruption dans notre monde une nouvelle
façon de concevoir Dieu et de traiter l’homme. À l’écoute de Jésus, il avait
appris que Dieu est amour qui se donne et que l’homme ne s’humanise qu’en se
divinisant, c'est-à-dire, en posant le geste divin de l’amour gratuit et désintéressé…
à l’exemple de son Maître. D’après ce Maître, désormais la grandeur et la
valeur de la personne ne sont plus dans sa force, dans sa supériorité, dans son
pouvoir, dans son argent, mais dans sa capacité de se faire le dernier de tous et
le serviteur de tous. Ainsi, dira-t-il, celui qui veut trop se préoccuper de sa
vie, la perdra. Mais celui qui sera capable de donner sa vie en faveur des
autres et pour les autres, la transformera en une réussite merveilleuse, en un bijou
précieux qui enrichira et celui qui le donne et ceux et celles qui le
reçoivent.
Désormais il
n’y a plus des monarques, des souverains, des commandants, des chefs, des boss,
des personnes qui sont en haut et d’autres qui sont en bas, des personnes qui
sont supérieures et d’autres qui sont inférieures. Désormais il n’y a que des
serviteurs. C’est ce que Pierre refuse d’admettre ou de comprendre, mais qu’il doit
accepter et réaliser, s’il veut avoir une place à la table du Seigneur, même si
ce comportement que Jésus propose à ses disciples lui paraît utopiste et
insensé.
C’est ce que nous
devons accepter nous aussi, les chrétiens du XXIe siècle, qui pensons être les
chanceux représentants d’une modernité «évoluée»…, mais qui, en réalité, vivons
encore aux temps préhistoriques de la confrontation tribale, de la lutte pour
les meilleurs pâturages et le plus gros gibier; qui sommes contaminés par le
virus de la consommation, aveuglés par le culte de l’argent; abrutis par
l’angoisse de la supériorité; qui pensons
être au sommet de la civilisation et du progrès parce que notre technique et
notre savoir sont capables de ravager et piller la planète et de la rendre inhabitable…,
nous-aussi devons apprendre de Jésus à nous défaire de notre égoïsme, de notre arrogance,
de notre sentiment de supériorité, de notre cupidité et à nous mettre aux pieds
des autres et au service de tout ce qui est autre, dans une attitude de
véritable humilité, de soin, d’attention, de respect et d‘amour.
Seulement
lorsque les humains auront intériorisé l’attitude de Jésus qui lave les pieds
de son prochain, ils pourront dire d’être sur le chemin de leur véritable
humanisation. Il y aura alors un certain espoir de vie pour notre race et pour
la planète qu’elle habite.
BM
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