(Jean 2, 13-25)
L’action de Jésus qui chasse
les vendeurs du temple constitue un geste symbolique d’une importance capitale
pour comprendre le contenu contestataire de la pensée et de l’activité du
Prophète de Nazareth. Par ce geste, Jésus n’exprime pas seulement son
opposition aux convictions et aux pratiques religieuses et cultuelles de son
temps, mais il proclame la fin de la fonction du temple comme moyen de relation
avec Dieu. Le temple, transformé en la plus grande institution financière de
l’époque et en un honteux système commercial d’exploitation des plus pauvres de
la part des plus riches, est devenu, pour Jésus, un contre-sens et un scandale insupportable
auxquels il veut mettre fin. Le temple, comme lieu de la présence divine et
comme signe d’élection, a failli à sa mission. Il n’a donc plus aucune valeur ni
comme signe religieux, ni comme instrument de salut. Comme n’ont plus aucune
importance les services cultuels qu’il offre et les personnes qui les desservent
(grand-prêtre, prêtres, lévites, scribes, etc.). Le temple doit donc cesser
d’exister.
Jésus ne reconnaît pas le Dieu
adoré dans ce temple comme son Dieu. Si dans ce texte d’évangile Jésus appelle
Dieu «mon Père», c’est pour qu’il soit clair qu’il ne veut pas identifier son
Dieu avec celui du Temple. Ce Dieu du temple n’est pas son Dieu. Ce Dieu du
temple, qui justifie l’argent, la richesse, le commerce, le profit, le pouvoir,
l’exploitation, l’abattage cultuel de milliers d’animaux; ce Dieu, despote,
irascible et punisseur qu’il faut flatter, amadouer, rendre propice par des
rites propitiatoires et des sacrifices, n’existe pas. Ce Dieu qui s’abreuve du
sang des animaux sacrifiés est un monstre hideux, inventé par la cupidité, la
cruauté et la bêtise humaine. Donc ce temple qui le sert, n’a aucune raison
d’exister non plus. Vidons-le donc de tout ce qu’il contient, puisque ce qu’il
contient n’a absolument aucun importance ni aucune utilité pour le salut de
l’homme. Ici Jésus élimine la valeur du temple et donc de toute organisation
religieuse construite pour faire croire aux gens qu’ils ont besoin d’elle pour
se mettre en relation avec la divinité afin d’obtenir faveurs, protection et
salut.
Par ce geste Jésus veut faire
comprendre qu’on ne rencontre pas Dieu dans les rites cultuels et l’offrande
des sacrifices. Les humains n’ont pas besoin d’offrir à Dieu quoi que ce soit
pour lui plaire. Ils n’ont même pas à se soucier de lui plaire, car ils plaisent
naturellement à Dieu. Ils sont depuis toujours le produit de son amour.
Son Dieu n’est pas un Dieu à qui on doit
donner, mais c’est un Dieu qui donne, qui se donne. Il n’est pas un Dieu qui
veut être servi, mais qui sert et qui se met lui-même au service de l’homme.
L’homme ne doit plus sacrifier quoi que ce soit à Dieu; il ne doit pas se
priver de son pain pour le lui offrir. Au contraire, nous dit Jésus, c’est Dieu
lui-même qui est le pain de l’homme, qui se fait pain pour le nourrir de sa
parole, de son esprit et de sa présence. Voilà donc que le fonctionnement de la
religion et du temple sont mis à mort. C'est ce que Jésus dira clairement à la Samaritaine quelques
jours plus tard quand il remontera en Galilée après la Pâque : "Ce n'est pas à
Jérusalem que vous adorerez le Père. Les vrais adorateurs adoreront Dieu en
esprit et en vérité". Pour Jésus, c’est le cœur de l’homme qui est le
temple de la présence de Dieu en ce monde.
C’est donc toute la religion
instituée que Jésus disqualifie ici. Jésus sape ici les fondements mêmes sur
lesquels sont bâtis la société, l’économie, la religion et la culture juive de
son temps. Lorsqu’on a saisi l’importance symbolique de ce geste de Jésus, on
comprend aussi plus facilement pourquoi la bagarre du temple constitue, dans la
vie de Jésus un tournant décisif. Elle sera la goutte qui fera déborder le vase
de l’hostilité et de l’opposition des autorités religieuses juives contre le
prophète de Nazareth et, finalement, l’événement tragique qui déclenchera la
décision définitive de son élimination.
Une grande
partie de l’activité de Jésus est marquée par cette guerre qu’il a entreprise
contre les expressions oppressives du pouvoir et contre les manifestations du
paraître, de la simulation et du mensonge. C’est surtout pour fouetter la
vanité et l’hypocrisie de certaines classes sociales que Jésus montre une
agressivité et une sévérité qui ne finissent pas de nous surprendre. Jésus n’a
pas utilisé le fouet seulement contre les marchands du temple, mais il a
fustigé avec un plaisir amer et sans mâcher ses mots la fausseté et
l’hypocrisie, l‘attachements insensé et ridicule à l’argent et au pouvoir. Je
pense que ceux qui s’imaginent Jésus comme une personne calme, tendre, aimable,
délicate, qui endure tout et supporte tout, le doux Jésus à l’eau de rose et au
visage efféminé tel qu'il nous est souvent présenté par certaines représentations
mielleuses de l’imagerie chrétienne, devraient revoir leur idée du Maître.
Jésus est un homme de conviction, de transparence, de vérité qui n’a pas eu
peur de se mettre contre le pouvoir établi, contre les préjudices, les tabous;
qui a lutté pour une religion plus vraie, plus humaine, une société plus juste;
qui s’est battu pour rendre conscients les gens de leur grandeur, de leur
dignité, de leurs droits: droit à suivre leur conscience et leurs convictions;
à ne pas être jugés, à vivre libres; droit au respect, à l’égalité, à l’amour
puisque enfants de Dieu…
L’évangile
d’aujourd’hui en présentant Jésus, au terme de sa vie, le fouet à la main, veut
sans doute attirer notre attention sur la facette violente de sa personnalité afin
que nous aussi, ses disciples, nous soyons davantage en syntonie avec l’aspect
prophétique du maître de Nazareth. Cela comporte un devenir plus averti, plus
éclairé, plus contestataire, plus critique des valeurs, des attitudes, des
principes que le monde, la société, et même les institutions religieuses nous
proposent, afin que nous ayons le courage de les contester et de les combattre,
s’il le faut. Par exemple, combattre la centralité et la supériorité absolue de
l’humain sur les autres êtres vivants. Combattre la suprématie de l’argent, du
profit, du capital, qui crée richesses pour une minorité avec l’exploitation de
la majorité, la lutte des classes, les injustices et la dévastation de la
nature qui en suivent. S’opposer à la hantise de la consommation comme moteur
indispensable de l’économie, du bien-être social et du progrès. Mettre en
question la compétition et le rendement comme lois essentielles et
indiscutables du marché et des relations commerciales entre les peuples.
Pour conclure,
cet évangile veut nous faire comprendre que désormais Dieu on ne le rencontre
plus dans le temple, la synagogue, la mosquée ou l’église par le moyen de
l’observance extérieure des rites, des sacrifices, des formules de la prière;
mais Dieu est présent partout dans le cœur de tout homme et de toute femme que
nous rencontrons sur le chemin de notre vie. Pour Jésus, c’est la personne
humaine qui est le temple de Dieu et le lieu de sa présence. Et ne prend de la
valeur que le sanctuaire construit par la main de Dieu et qui est finalement le
cœur de l’homme.
Restent ainsi
condamnées et disqualifiées toute manipulation et monopolisation de Dieu de la part
de n’importe quelle religion; ainsi que toute prétention de posséder en
exclusivité la vérité sur Dieu et les moyens de faire sa rencontre et d’obtenir
son salut.
MB
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