(Réflexion du Jeudi Saint)
Jésus, avant de quitter ce monde, a voulu faire
comprendre à ses disciples, par un geste symbolique, quel est le sens de sa mission et dans quelle direction ils doivent
désormais orienter le cours de leur vie: le service, dans l’amour et la
fraternité. L’évangéliste Jean attribue tellement d’importance à cette
attitude qu’il oublie, pour ainsi dire, de nous transmettre le récit du pain et du vin partagés comme signe de sa présence
permanente parmi nous. Car il sait que ce signe, même s’il est posé en sa
mémoire et pour obéir à son désir, n’a aucune valeur, s’il n’est pas
l’expression de notre volonté d’accueil et de service par laquelle nous
continuons à rendre présent dans le monde son esprit. C’est cet esprit qui, à
travers l’action de ses disciples, continue d’accueillir, de servir, de
soulager, de secourir, de guérir, de libérer, de donner la vie et de sauver
tous ceux et celles qui plient ou
s’écroulent sous les épreuves et les croix de la vie.
Pour Jean, le lavement des pieds est le geste qui rend possible la vérité de l’Eucharistie
comme signe de ce corps unique que nous devons former en tant que disciples de
Jésus-Christ. Pour que dans l’Eucharistie nous puissions en toute vérité nous
approcher et nous nourrir du Corps du Christ, nous devons déjà former un seul
corps en lui. Avant de poser le geste de la communion au corps du Seigneur,
nous devons déjà être en communion les uns les autres. Le geste de notre
communion au Corps du Seigneur serait un geste faux s’il n’est pas l’expression
de notre communion fraternelle et de notre disponibilité à nous laver les
pieds les uns les autres.
Ce geste du lavement des pieds est alors le sacrement,
c’est-à dire le signe concret et visible
de ce qui constitue le trait le plus
caractéristique de la personne de Jésus,
venu non pas pour être servi mais pour servir et donner sa vie pour les autres.
Lorsque Jésus ne sera plus là, ses disciples devront se
souvenir, en pensant à ce dernier geste du Maître, qu’eux aussi doivent être là
comme ceux qui servent; et que, tant
qu’ils ne seront pas capables de réaliser
cette attitude de service, ils ne pourront pas vraiment
avoir part avec lui. Ils devront se souvenir que, par ce
geste, Jésus a aboli toute différence entre les humains, toute prétention de
domination, toute revendication de supériorité, toute hiérarchie basée sur le
pouvoir, toute distance entre les hommes déterminée ou justifiée par le rang, l’ordre, le prestige, la position
sociale ou religieuse. Personne n’a donc le droit de se hisser à un niveau supérieur,
du moment que le Fils de Dieu lui-même, qui était le plus haut que tous, s’est
abaissé pour se faire l’esclave de tous et qu’il s’est agenouillé devant nous
pour nous laver les pieds.
Par ce geste accompli avant de déposer sa vie entre les mains de Dieu, Jésus a voulu faire comprendre à ses disciples où se
trouve la véritable grandeur de l’homme : vous n’êtes pas grands, importants par
ce que vous gagnez; par ce que vous possédez ; par le pouvoir que vous avez de
vous faire obéir, de vous faire servir, de soumettre, opprimer, exploiter les
autres… il n’y a aucune grandeur dans
cela!…. Au contraire tout cela finira un jour par vous détruire et vous disqualifier en tant que personnes; …car cela finira un
jour par vous rendre arrogants, insensibles, égoïstes, cruels, inhumains, en vous dépossédant de
votre humanité, qui constitue votre seule et véritable grandeur.
La vraie grandeur de l’homme se trouve dans la
direction opposée. Qui veut sauver sa
vie, doit la perdre, dans une disposition
de don de soi et de partage sans calcul et être capable de se mettre à genoux, s’il le
faut, pour mériter l’amour des autres.
En nous transmettant cet épisode du lavement de pieds,
l’évangéliste Jean a voulu nous faire comprendre que toute la vie du Maître de
Nazareth a été un témoignage constant de l’inversion des valeurs qu’il a opérée
et qu’il faut accepter et pratiquer pour pouvoir entrer comme disciples dans le
mouvement spirituel qu’il inauguré. Si
chaque année nous célébrons le lavement des pieds fait par Jésus, ce n’est pas
simplement pour rappeler un épisode émouvant de sa vie, mais pour reconnaître dans ce geste l’expression sacramentelle de la seule façon possible d’être
chrétien et d’être humain.
MB
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