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mardi 19 mars 2013

Regarder dans son propre coeur plutôt que juger les autres


LA FEMME ADULTÈRE

(Jean 8, 1-11)

C’est un des textes évangéliques qui m’a toujours profondément touché et interpellé. Habituellement, les commentateurs de ce récit cherchent à mettre en évidence surtout le péché de la femme et, par contraste, la capacité d’indulgence et de miséricorde de Jésus. Personnellement, je suis plus affecté par le gâchis humain et spirituel qui apparaît à travers le comportement des accusateurs. Les pharisiens et les scribes ne sont pas les personnes bornées, fanatiques, exécrables, hypocrites et cruelles que bien des commentateurs décrivent. Ce sont des scrupuleux exécutants de la loi mosaïque (la Torah). Ce sont des légalistes. Dans leur système religieux juif, ils cherchent à être les défenseurs, les serviteurs exemplaires de la Torah. Ils sont souvent de bonne foi. Ils se considèrent comme des gens bien et en règle; en un mot, ils sont les «purs» et les irréprochables du système.

S’ils cherchent à interroger Jésus à propos de la loi mosaïque sur la lapidation des adultères, c’est sans doute parce que, quelque part, ils sentent que cette loi est critiquable comme étant injuste, inhumaine et cruelle. D’ailleurs, chez les juifs, cette loi était rarement appliquée. Ils savent en effet qu’à côté du commandement « Ne commet pas l’adultère», il existe aussi le commandement «Tu aimeras ton prochain comme toi-même». Or le prochain c’est celui et celle que je croise sur mon chemin, que je rencontre par hasard; c’est le pauvre et le riche, le malade et le bien portant, celui qui m’est sympathique et celui que je déteste; celui qui est en règle avec la loi et celui qui ne l’est pas. Cette femme aussi est donc le prochain que je dois aimer et que pourtant la loi me permet de tuer. Comment s’y prendre? Comment réagir? Comment Jésus va résoudre ce cas de conscience? Voilà le dilemme auquel ces experts de la Loi veulent soumettre le Maître de Nazareth dans l’espoir de le surprendre en contradiction et d’avoir de bonnes raisons pour l’accuser comme contestataire, anarchiste et subversif.

De leur côté, ces mordus de la Torah ne pourraient jamais se permettre de suivre le penchant de leur cœur, de douter du bien fondé de la Loi et de penser finalement avec leur tête. Ce qui est dramatique chez ces pharisiens c’est qu’ils aient écarté la primauté du commandement de l’amour et que le parti pris, le préjugé, la peur, la protection du système, la satisfaite complaisance de leur honnêteté, aient pris le dessus dans leur vie et desséché la source de leur humanité et de leur sensibilité et transformé ces défenseurs de la légalité en des êtres aigris, malveillants, remplis d’aversion envers ceux et celles qu’ils considèrent dangereux pour le système, car différents, «transgresseurs» et donc «pécheurs». On dirait qu’une pensée personnelle leur est défendue. Leur vie et leurs actions sont définies et déterminées par la Loi. La Loi pense pour eux, décide pour eux. La Loi les dispense d’utiliser leur intelligence et leur liberté, car ils n’ont pas à discerner entre le bien et le mal, entre ce qui est permis et ce qui est défendu. La Loi est là pour faciliter leur vie; pour les préserver de faire des choix; pour leur éviter la dure tâche de devenir des personnes adultes et responsables. Et puisqu’ils sont les champions de l’observance et les gardiens de la Torah qui exprime la volonté de Dieu, ils se considèrent aussi en droit de juger et de lancer la pierre aux transgresseurs qui deviennent pour eux les coupables, les méchants, les pécheurs, les «maudits» de Dieu et que l’on doit écarter, exclure, condamner, punir parce qu'ils constituent une peste qui infecte la société du peuple élu de Dieu

À cause de la prétention de leur droiture et de leur pureté, ces «pharisiens» (comme leur nom l’indique, pharisien=séparé) sont en réalité ceux qui élèvent les murs et les barrières qui séparent les hommes. Ils sont dans la société humaine des facteurs de division, de discrimination, de conflits, d’inégalité. Car lorsqu’on juge, on divise, on sépare. Le juge d’un côté et le coupable de l’autre.

Les scribes et pharisiens de ce récit ne sont là, en effet, que pour juger. Ils veulent avant tout juger Jésus, celui qui, selon eux, est le non-conforme par excellence qu’il faut exclure, condamner et éliminer. Pour eux cette femme n’a ni nom, ni identité. Cette femme ne signifie rien pour eux, sinon un objet dont ils se servent et un simple prétexte pour arriver à leur fin. On dirait que leur légalisme, en desséchant leur âme, les a rendus incapables d’empathie, de compassion et de pitié. Cette femme, à cause de sa faute, n’est pour eux que la manifestation du péché sur laquelle ils croient pouvoir déverser impunément toute l’agressivité, la hargne, les frustrations accumulées au cours d’une vie de pulsions et de désirs refoulés. Elle ne mérite donc ni considération, ni attention ni aucun respect, elle représente la  transgression qu’il faut éliminer. Elle est donc là  pour être écrasée comme on écrase une vermine dégoûtante.

Ces zélateurs de la Loi ne veulent pas s’embarrasser avec les détails «insignifiants», les circonstances atténuantes, les raisons valables qui pourraient, sinon justifier, du moins expliquer la faute, tempérer l’accusation et modérer la condamnation. Personne ne s’est arrêté un instant à se demander pourquoi cette femme en est arrivée là. Peut-être que son mariage a été forcé? Peut-être que son mari était une brute qui la menaçait, qui la battait, qui la terrorisait, qui la trahissait avec une autre femme? Peut-être que dans un moment de désir et de faiblesse, cette jeune femme a succombé à son besoin d’amour, lorsque quelqu’un un peu plus gentil lui en a offert? Peut-être a-t-elle préféré vivre pleinement son désir, ne serait-ce que pendant un court instant, plutôt que de vivre comme une morte le reste de sa vie. Il peut y avoir mille raisons pour expliquer un acte non conforme de tendresse et d’amour. D’ailleurs où est-il son amant? Pourquoi n’est-il pas là pour la défendre, pour s’expliquer? Pourquoi n’est-il pas, lui aussi, parmi les accusés et les condamnés? La loi ne condamnait-elle pas au même châtiment les deux amants? Comment se fait-il qu’ici seule la femme subisse le châtiment ? Ces champions de la Loi ne sont-ils pas en train de commettre une injustice et d’aller contre la loi qu’ils cherchent à faire respecter ?

            Cette femme expérimente ici une solitude absolue. Elle vit l’horreur de se sentir complètement abandonnée et des hommes et de Dieu. Elle vit des moments terribles d’abandon, de terreur et de culpabilité. Elle se sent comme perdue dans un gouffre de cruauté et de méchanceté creusé par les mains de ces représentants de Dieu.

Et comme si la haine de ces hommes religieux n’était pas suffisante pour humilier la femme, c’est dans le temple de Jérusalem qu’ils la trainent devant Jésus, presque à signifier que Dieu est de leur côté et qu’il est tout à fait normal d’écrabouiller à coup de pierre une pécheresse en sa présence.

Et là, dans le temple, en présence de Dieu, ces hommes de la Loi et de Dieu, demandent à Jésus de juger à son tour la femme adultère. Mais Jésus ne jugera pas. C’est contraire à sa nature et au contenu de tout son enseignement.

Jésus est ici tellement survolté et dégoûte par l’attitude méchante et hypocrite des pharisiens et des scribes que, pour ne pas exploser de rage et d’indignation, il s’invente un exercice de relaxation: il se penche et fait du dessin sur le sol, question de gagner du temps et de récupérer le calme et la maîtrise de soi.

Jésus est ici la seule personne qui est du côté de la femme. Il est la seule personne qui brise son immense solitude. Il est la seule présence amicale qui éprouve pour elle de l’affection et de la tendresse. Il est aussi le seul capable de saisir l’horrible drame qui se déroule dans le cœur autant des accusateurs que de l’accusée et il est incapable de juger et de condamner autant les uns que l’autre. Il ne veut renfermer personne ni dans sa méchanceté ni dans sa culpabilité.

C’est pour cela qu’au lieu de s’en prendre à l’aveuglement des scribes et des pharisiens, Jésus les oblige à se regarder dans le cœur; à réfléchir sur la qualité de leur vie. Il fait appel à leur vérité profonde. Il les renvoie à eux-mêmes, à leur jugement, à leur discernement, à leurs responsabilités; il les oblige à faire un examen de conscience et à agir en conséquence: «Que celui qui est sans péché lance la première pierre!». Il ne juge pas, mais il invite les autres à se juger eux-mêmes

Ainsi, après avoir répandu par terre l’immense amertume qui avait envahi son cœur, Jésus se lève et, regardant dans les yeux la femme qu’il a sauvé de la honte et de la mort, il lui parle, il entre en relation et en communion avec elle. Jésus aime cette femme comme elle est: avec ses pauvretés, ses limites, son péché. Il ne la réduit pas à l'acte qu'elle a commis. Il représente en effet le cœur de Dieu: sa compréhension, sa tolérance, sa bienveillance, sa miséricorde et son amour qui se répand comme un fleuve sur les bons et les moins bons et qui veut donner à tous la chance de se raviser, de se transformer en quelque chose de meilleur.

Jésus reconnait cette femme comme une personne. Il l’appelle «Madame». Il la rétablit dans la dignité que ses bourreaux lui avaient enlevée. Il lui montre la route à poursuivre: "Va et désormais, ne pèche plus!" Jésus est confiant; il regarde la femme comme on regarde une espérance, une promesse de vie et de lumière. Rendue à elle-même; reconnue dans sa faiblesse, mais aussi dans la merveilleuse richesse de son monde intérieur, elle sera maintenant apte à affronter à nouveau la vie, non plus comme une coupable ou comme une perdante, mais comme quelqu’un qui a été ressuscité et qui est prêt à se battre et à lutter pour que plus personne ne lui enlève la beauté, la dignité et la valeur d’une vie qu’elle a reçue une deuxième fois des mains de Dieu.   

MB

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