Les humbles sauveront le monde
Le texte de l’Évangile nous invite
aujourd’hui à une sorte de séance en tribunal. C’est Dieu qui préside et qui juge.
Mais ce juge a une façon toute à lui de voir les choses qui nous surprend et
nous déconcerte. Ce juge n’est pas conduit par nos principes et nos critères.
En effet, dans le récit de l’évangile, l’honnête homme qui se présente devant
lui, en proclamant son innocence et en plaidant non-coupable, est condamné, alors
que le voyou, qui avoue sa faute et plaide coupable, est pleinement acquitté. C’est
à ne rien y comprendre. Il y a certainement quelque chose quelque part qui ne fonctionne
pas selon les règles établies.
Ce
pharisien fait partie du groupe de ces dix milles hommes pieux qui se distinguaient
en Palestine au temps de Jésus par leur foi exemplaire, leur religiosité, leur
piété sincère, leur assiduité à la prière et au culte du temple, par leur zèle
dans l’observance de la Torah ,
par leur discipline et leur rigorisme moral, par leurs jeûnes et leurs aumônes.
Ce pharisien qui se présente aujourd’hui devant Dieu au Temple est donc ce
qu’il y a de plus irréprochable, de plus respectable, admirable et honnête
parmi les hommes. Il est, pour ainsi dire, le champion de la probité et de la
vertu. Il en est d’ailleurs convaincu et il ne se gêne pas à le proclamer haut
et fort à tous ceux qui veulent l’entendre.
Et
puis voilà l’autre type, le publicain. Les publicains étaient des gens qui
travaillaient pour des entreprises privées auxquelles l’État romain, qui occupait
alors la Palestine, avait confié la désagréable besogne de collecter les taxes
et les impôts (une genre de «franchise»). Et puisque ces employés étaient très mal
payés par leur employeur, ils compensaient le manque à gagner en fraudant et en
exigeant des gens plus que ce qui était convenu pour empocher le surplus qu’ils
réussissaient ainsi à soutirer. À la longue leur classe était devenue une
véritable organisation criminelle, une espèce de mafia spécialisée dans
l’extorsion. Les publicains étaient donc, en grande majorité, des gens sans
scrupules et qui n’hésitaient pas à recourir à la menace et à la violence pour
arriver à leurs fins. Les gens les haïssaient et les considéraient comme des
voleurs et des êtres ignobles qu’il fallait éviter de fréquenter. Dans la
mentalité des gens pieux de l’époque, les publicains étaient devenus la
personnification même du péché.
Devant
Dieu il y a donc d’un côté l’homme irréprochable, juste, vertueux et saint, si l’on
veut et, de l’autre, l’escroc, le tortionnaire et le pécheur. Et voilà que,
contre toute vraisemblance, contre tout bon sens, le juge divin dans son
jugement tranche en faveur du truand, tandis que le bon et le saint est viré et
condamné. L’Évangile nous assure ainsi que ceux qui ressemblent au pharisien de
la parabole ne jouiront jamais des préférences et de l’approbation de Dieu.
Que se
cache-t-il donc de si épouvantable et de si sinistre sous le comportement
innocent et l’attitude vertueuse du pharisien ? Que se cache-t-il de si bon
dans le geste affligé et désolé du publicain qui se bat la poitrine et reconnaît
ses torts ?
Analysons
de plus près le plaidoyer du pharisien pour voire ce qui cloche. Il saute tout de
suite aux yeux que son discours suinte la suffisance, la satisfaction, le sentiment
de supériorité. Le pharisien ne parle pas à Dieu, il se parle à lui-même, vantant
ses propres mérites, mettant en avant et soulignant continuellement l’importance
de sa personne. Remarquez combien de fois ce messieurs dit « Je ». Il
est imbu de lui-même. Il pense qu’il n’est pas comme les autres. Les autres
sont tous, d’après lui, des voyous et des vauriens. Mais lui est différent. Il est
supérieur, il est meilleur. Lui est sur le bon chemin. Il est un modèle de bon comportement.
Il est pleinement satisfait de lui-même. Il n’a rien à se reprocher. Il n’a
donc pas besoin de changer, de s’améliorer, de se convertir. Puisqu’il est parfait,
il est inconvertible, comme tous ceux qui sont convaincus d’être des bons, d'être
du côté des élus, du côté de la vertu, de la justice et de la vérité, comme le
sont tous les Bush, tous les fanatiques chrétiens ou islamiques qu’ils soient,
qui dans leur aveuglement perdent le sens du relatif, de la réserve, de la
tolérance et du respect des autres; ainsi que la mesure de leurs limites et de
leurs faiblesses.
Alors
qui est le plus dangereux pour la société et pour le monde, celui qui brandit
sa supériorité pour s’élever au-dessus des autres, dénigrer, écraser les autres
; ou celui qui s’efface et se dérobe parce qu’il se considère un bon à rien ? Celui
qui sonne de la trompette à tout vent pour vanter ses mérites et ses exploits ;
ou celui qui n’ose pas se regarder dans le miroir et regrette les erreurs qu’il a commises ? Celui qui est fier
et orgueilleux de ses vertus, ou celui qui éprouve de la honte pour ses vices,
ses défaillances, ses défauts ? Celui qui se trouve juste et sans reproche, ou
celui qui est capable de reconnaître ses torts et de ressentir du remord et de
la peine pour le mal qu’il a causé ? Celui qui se prend pour un
« superman » que tous doivent admirer et auquel tous doivent se
soumettre, ou celui qui se considère une personne bien ordinaire ?
S’il est une attitude qui est néfaste pour les
relations humaines et qu’il faut éradiquer, n’est-ce pas surtout et avant tout
l’attitude de celui qui, se croyant supérieur et meilleur que les autres, pense
qu’il a aussi droit à plus que les autres ? Cette attitude si répandue de supériorité,
de nombrilisme et d’auto exaltation, … n’est-elle pas à l’origine des calamités
dont souffre notre société contemporaine? Cette attitude ne génère-t-elle pas
des individus et donc des entreprises et des sociétés arrogantes, intolérantes,
agressives, et prédatrices ? Cette attitude n’est-elle pas à l’origine des tous
les fondamentalismes modernes, ainsi que de l’aveuglement, de l’insensibilité des
systèmes capitalistes, et des politiques de consommation et d’exploitation
sauvage des ressources naturelles, politiques qui sont en train de ruiner l’économie
mondiale, l’approvisionnement durable des
marchés (pour que tous puissent avoir facilement accès à la nourriture dont ils
ont besoin) et la santé de notre Planète ?
A
la fin de cette réflexion, nous sentons-nous encore capables de blâmer la façon
dont le Juge de l’évangile exerce sa justice ? Je pense que nous devons plutôt
remercier et admirer sa perspicacité et sa sagesse. Il a su déjouer les embûches
du mal. Les textes de l’évangile de ce dimanche nous enseignent qu’il n’y a pas
de mal plus perfide que celui qui se cache sous l’apparence du bien ; qu’il n’y
a pas de démons plus dangereux que celui qui prend l’aspect d’un ange de lumière
; qu’il n’y a pas de traître plus perfide que celui qui cherche à nous apprivoiser
par un baiser.
L’évangile
veut finalement nous apprendre que l’arrogance, l’hypocrisie, la duplicité et
le fanatisme ne sont jamais payants : à la fin ils devront un jour rendre inévitablement
compte devant l’histoire des ravages, des désastres et des souffrances qu’ils
ont causés ; et à la fin se confronter à la justice de Dieu. Personne n’y échappe
! La dernière phrase de l’évangile est tout à fait tranchante et catégorique
sur ce point : « Quiconque
s’élève sera rabaissé et quiconque s’abaisse
sera élevé » .
BM
(30e dim. ord. C )
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