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mardi 15 novembre 2016

Un juge pas comme les autres …


Les humbles sauveront le monde

 (Luc 18, 9-14)
           
            Le texte de l’Évangile nous invite aujourd’hui à une sorte de séance en tribunal. C’est Dieu qui préside et qui juge. Mais ce juge a une façon toute à lui de voir les choses qui nous surprend et nous déconcerte. Ce juge n’est pas conduit par nos principes et nos critères. En effet, dans le récit de l’évangile, l’honnête homme qui se présente devant lui, en proclamant son innocence et en plaidant non-coupable, est condamné, alors que le voyou, qui avoue sa faute et plaide coupable, est pleinement acquitté. C’est à ne rien y comprendre. Il y a certainement quelque chose quelque part qui ne fonctionne pas selon les règles établies.

            Ce pharisien fait partie du groupe de ces dix milles hommes pieux qui se distinguaient en Palestine au temps de Jésus par leur foi exemplaire, leur religiosité, leur piété sincère, leur assiduité à la prière et au culte du temple, par leur zèle dans l’observance de la Torah, par leur discipline et leur rigorisme moral, par leurs jeûnes et leurs aumônes. Ce pharisien qui se présente aujourd’hui devant Dieu au Temple est donc ce qu’il y a de plus irréprochable, de plus respectable, admirable et honnête parmi les hommes. Il est, pour ainsi dire, le champion de la probité et de la vertu. Il en est d’ailleurs convaincu et il ne se gêne pas à le proclamer haut et fort à tous ceux qui veulent l’entendre.

            Et puis voilà l’autre type, le publicain. Les publicains étaient des gens qui travaillaient pour des entreprises privées auxquelles l’État romain, qui occupait alors la Palestine, avait confié la désagréable besogne de collecter les taxes et les impôts (une genre de «franchise»). Et puisque ces employés étaient très mal payés par leur employeur, ils compensaient le manque à gagner en fraudant et en exigeant des gens plus que ce qui était convenu pour empocher le surplus qu’ils réussissaient ainsi à soutirer. À la longue leur classe était devenue une véritable organisation criminelle, une espèce de mafia spécialisée dans l’extorsion. Les publicains étaient donc, en grande majorité, des gens sans scrupules et qui n’hésitaient pas à recourir à la menace et à la violence pour arriver à leurs fins. Les gens les haïssaient et les considéraient comme des voleurs et des êtres ignobles qu’il fallait éviter de fréquenter. Dans la mentalité des gens pieux de l’époque, les publicains étaient devenus la personnification même du péché.

            Devant Dieu il y a donc d’un côté l’homme irréprochable, juste, vertueux et saint, si l’on veut et, de l’autre, l’escroc, le tortionnaire et le pécheur. Et voilà que, contre toute vraisemblance, contre tout bon sens, le juge divin dans son jugement tranche en faveur du truand, tandis que le bon et le saint est viré et condamné. L’Évangile nous assure ainsi que ceux qui ressemblent au pharisien de la parabole ne jouiront jamais des préférences et de l’approbation de Dieu.

Que se cache-t-il donc de si épouvantable et de si sinistre sous le comportement innocent et l’attitude vertueuse du pharisien ? Que se cache-t-il de si bon dans le geste affligé et désolé du publicain qui se bat la poitrine et reconnaît ses torts ?

            Analysons de plus près le plaidoyer du pharisien pour voire ce qui cloche. Il saute tout de suite aux yeux que son discours suinte la suffisance, la satisfaction, le sentiment de supériorité. Le pharisien ne parle pas à Dieu, il se parle à lui-même, vantant ses propres mérites, mettant en avant et soulignant continuellement l’importance de sa personne. Remarquez combien de fois ce messieurs dit « Je ». Il est imbu de lui-même. Il pense qu’il n’est pas comme les autres. Les autres sont tous, d’après lui, des voyous et des vauriens. Mais lui est différent. Il est supérieur, il est meilleur. Lui est sur le bon chemin. Il est un modèle de bon comportement. Il est pleinement satisfait de lui-même. Il n’a rien à se reprocher. Il n’a donc pas besoin de changer, de s’améliorer, de se convertir. Puisqu’il est parfait, il est inconvertible, comme tous ceux qui sont convaincus d’être des bons, d'être du côté des élus, du côté de la vertu, de la justice et de la vérité, comme le sont tous les Bush, tous les fanatiques chrétiens ou islamiques qu’ils soient, qui dans leur aveuglement perdent le sens du relatif, de la réserve, de la tolérance et du respect des autres; ainsi que la mesure de leurs limites et de leurs faiblesses.

            Alors qui est le plus dangereux pour la société et pour le monde, celui qui brandit sa supériorité pour s’élever au-dessus des autres, dénigrer, écraser les autres ; ou celui qui s’efface et se dérobe parce qu’il se considère un bon à rien ? Celui qui sonne de la trompette à tout vent pour vanter ses mérites et ses exploits ; ou celui qui n’ose pas se regarder dans le miroir et regrette les  erreurs qu’il a commises ? Celui qui est fier et orgueilleux de ses vertus, ou celui qui éprouve de la honte pour ses vices, ses défaillances, ses défauts ? Celui qui se trouve juste et sans reproche, ou celui qui est capable de reconnaître ses torts et de ressentir du remord et de la peine pour le mal qu’il a causé ? Celui qui se prend pour un « superman » que tous doivent admirer et auquel tous doivent se soumettre, ou celui qui se considère une personne bien ordinaire ?

             S’il est une attitude qui est néfaste pour les relations humaines et qu’il faut éradiquer, n’est-ce pas surtout et avant tout l’attitude de celui qui, se croyant supérieur et meilleur que les autres, pense qu’il a aussi droit à plus que les autres ? Cette attitude si répandue de supériorité, de nombrilisme et d’auto exaltation, … n’est-elle pas à l’origine des calamités dont souffre notre société contemporaine? Cette attitude ne génère-t-elle pas des individus et donc des entreprises et des sociétés arrogantes, intolérantes, agressives, et prédatrices ? Cette attitude n’est-elle pas à l’origine des tous les fondamentalismes modernes, ainsi que de l’aveuglement, de l’insensibilité des systèmes capitalistes, et des politiques de consommation et d’exploitation sauvage des ressources naturelles, politiques qui sont en train de ruiner l’économie mondiale, l’approvisionnement durable des marchés (pour que tous puissent avoir facilement accès à la nourriture dont ils ont besoin) et la santé de notre Planète ?

            A la fin de cette réflexion, nous sentons-nous encore capables de blâmer la façon dont le Juge de l’évangile exerce sa justice ? Je pense que nous devons plutôt remercier et admirer sa perspicacité et sa sagesse. Il a su déjouer les embûches du mal. Les textes de l’évangile de ce dimanche nous enseignent qu’il n’y a pas de mal plus perfide que celui qui se cache sous l’apparence du bien ; qu’il n’y a pas de démons plus dangereux que celui qui prend l’aspect d’un ange de lumière ; qu’il n’y a pas de traître plus perfide que celui qui cherche à nous apprivoiser par un baiser.

            L’évangile veut finalement nous apprendre que l’arrogance, l’hypocrisie, la duplicité et le fanatisme ne sont jamais payants : à la fin ils devront un jour rendre inévitablement compte devant l’histoire des ravages, des désastres et des souffrances qu’ils ont causés ; et à la fin se confronter à la justice de Dieu. Personne n’y échappe ! La dernière phrase de l’évangile est tout à fait tranchante et catégorique sur ce point : « Quiconque s’élève sera rabaissé et quiconque  s’abaisse sera élevé » .

BM

(30e dim. ord. C )


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