(Marc 13,24-32)
Lorsque
l’évangéliste Marc écrivait son évangile (fin des années 60 - début des années 70 après J.-C.), les
chrétiens de ces temps subissaient les
persécutions de Néron et de Domitien. Ils vivaient donc des situations
difficiles, dangereuses et dramatiques. Ils avaient l’impression que leur foi
allait être définitivement étouffée; que le mouvement chrétien allait être anéanti;
que le mal triomphait; que les ennemies de la foi avaient le dessus. L’univers
entier, représenté par les astres, le soleil, la lune et les étoiles, semblait
tomber sur eux et les écraser par la violence de la persécution et de la haine
de leurs ennemis. Ils avaient la sensation qu’apparaissaient déjà les signes
annonciateurs de la fin imminente du monde que Jésus avait annoncée.
La
foi et la confiance de ces chrétiens étaient mises à dure épreuve. Ils se
demandaient en effet pourquoi ils étaient aussi détestés, aussi persécutés, aussi
abandonnés par Dieu, alors que Jésus leur avait dit qu’ils étaient le sel de la
terre, la lumière du monde; qu’ils leur avait promis qu’il ne les laisserait pas
orphelins et qu’il serait avec eux jusqu’à la fin des temps; que la providence,
la tendresse et l’amour de Dieu, son père et leur père, les aurait toujours
suivis, protégés et sauvés et que même pas un cheveux de leur tête ne serait
tombé sans que Dieu le veuille.
Ce
texte de Marc veut être une réponse à ces questions. Il veut exhorter les chrétiens
de son temps à ne pas avoir peur; les encourager à ne pas perdre confiance et à
garder la foi et l’espoir. Et même temps, par ces images apocalyptiques et ces
descriptions terrifiantes d’un univers qui s’écroule et qui finit, Marc veut
les rendre conscients que dans la vie, ils seront toujours confrontés à des
fins et à des recommencements; à des cataclysmes réels ou apparents; à la lutte
du mal contre le bien et du bien contre le mal. Cette lutte et ces
contradictions, ils les verront à l’ouvre partout: dans leur chair, au sein de leurs
familles, dans la société où ils sont insérés, dans les événements et les
situations de leur époque. Ils expérimenteront rivalités, antagonismes, oppressions,
luttes de classe, violences, persécutions, conflits, haine, injustices,
horreurs et souffrances de tout genre… Ainsi auront-ils souvent l’impression
que le mal est plus répandu que le bien, que la méchanceté l’emporte sur la
bonté, l’égoïsme sur le dévouement, l’avidité sur la générosité, la vengeance
sur le pardon, le fanatisme sur la tolérance, la haine sur l’amour, les ténèbres
sur la lumière et que l’on vit dans un monde déserté par Dieu et en proie au
pouvoir du Mal
Ce
texte de Marc cependant nous rassure qu’il n’en est pas ainsi! Malgré ce que l’on
peut penser ou croire, c’est Dieu qui est le plus fort. C’est Dieu et son
Esprit qui dirigent le monde et le cours de l’histoire. C’est Dieu qui tient
entre ses mains les destins du monde et de l’humanité. Malgré toutes les apparences
contraires, les forces de l’amour, de la tendresse, de la bonté, du dévouement,
de la compassion, de la générosité, du don de soi, dépassent grandement celles
de la haine, de l’égoïsme et de la méchanceté. Ce sont ces énergies bénéfiques
et créatrices qui soutiennent notre Univers, qui permettent à notre planète de continuer
à exister et à fonctionner et qui font vivre et progresser notre humanité.
L’évangile
nous rassure que l’esprit de Dieu, esprit d’Amour semé au cœur de la création, aura
toujours le dessus sur l’esprit de l’homme, perturbé et souvent perverti par
ses mauvaises passions, égaré par ses divisions intérieures et détérioré par la
peur, l’angoisse et le mal qu’il porte en lui.
L’Évangile
veut aussi nous faire comprendre que dans notre existence les fins et les commencements
s’alternent régulièrement; que notre vie se déroule toujours entre la fin d’un
monde et le début d’un autre qui se révèle plus apte à assurer notre croissance
humaine et spirituelle, notre évolution personnelle vers une forme plus parfaite
d’être et donc nécessaire à la réalisation de notre accomplissement personnel et
de notre bonheur. Rien dans notre vie n’est stable, fixe, définitif, immuable,
indissoluble, établi à tout jamais. Au contraire, nous ne vivons que parce que nous
devenons, que parce que nous changeons. Nous nous réalisons seulement parce que
nous nous transformons. C’est le changement qui permet à nous et à la réalité
de notre Univers de continuer à exister dans une constante évolution et ainsi d'atteindre
un degré supérieur d’être. C’est toujours la fin de quelque chose qui devient le
début d’une chose nouvelle. C’est la mort d’un monde, qui donne naissance à un
autre monde, presque toujours meilleur. L’évolution et le changement sont essentiels
au surgissement de la diversité, de la complexité et de l’époustouflante beauté
de notre Univers. Il en est de même pour nous.
L’Évangile,
qui est avant tout une école d’humanité, nous enseigne donc que pour devenir
des hommes et des femmes de valeur, nous devons accepter de mourir continuellement
à quelque chose. Nous devons être disposés à accepter dans notre vie l’écroulement
et la désintégration d’un monde et le début d’un autre. Nous devons être prêts à
passer sans regret d’une étape de notre vie à une autre; prêts à perdre la vie
pour la gagner; prêts à faire mourir des manières de penser, de croire, d’agir
et de vivre qui apparaissent usées, dépassées, périmées, obsolètes,
handicapantes, pour faire surgir du nouveau: assumer une autre mentalité, adopter
un autre style de vie, choisir d’autres priorités, partager d’autres valeurs.
Ces nouvelles valeurs feront de nous de nouvelles personnes, plus évoluées, plus
accomplies et vivant dans un monde devenu, à cause de cela, plus jeune et plus
humain.
La
vie se charge continuellement de nous mettre devant la disparition et
l’effondrement de situations, de formes ou d’états de vie et de nous confronter
à des morts qui s’avèrent absolument nécessaires pour pouvoir accéder à une
étape supérieure de notre existence Ainsi, par exemple, devons-nous mourir à la
chaleur du ventre maternel pour entrer dans l’enfance de la vie; nous devons
mourir à l’enfance, pour accéder à l’adolescence; mourir à l’adolescence pour
passer à la jeunesse; mourir à la jeunesse pour nous installer dans l’âge
adulte. Nous devons accepter d’abandonner l’univers familial, avec son confort
et sa sécurité, pour devenir des adultes indépendants et libres….
Cet
évangile nous rappelle alors que la mort fait partie de la vie, comme la vie
fait partie de la mort; que nous commençons à mourir dès que nous commençons à
vivre; que notre vie est au prix d’une continuelle acceptation d’une longue
série de morts et de détachements. Que de choses meurent en nous et autour de
nous au cours de notre vie! Combien de deuils nous devons faire et accepter !
Que de pertes nous devons endurer! Nous perdons inévitablement la jeunesse, la
beauté, le charme, la grâce, la souplesse, l‘agilité, la force, la santé, la
vivacité de l’esprit, la mémoire, notre temps… souvent nous perdons l’innocence,
la paix intérieure, nos promesses, nos affections, nos amours, la compagnie et la
présence des êtres les plus chers… et finalement et inexorablement nous perdons
notre vie.
Faudra-t-il
angoisser, désespérer, broyer du noir, à cause de cela? Jamais de la vie, nous
dit ce texte de l’évangile de Marc. Car tout cela fait partie du plan de Dieu.
Car c’est ainsi que va le monde. C’est ainsi qu’il fonctionne. C’est dans ce
mélange de vie et de mort, de fins et de commencements, de destructions et de
reconstructions, d’ordre et de chaos, de bien et de mal, de ténèbres et de lumière,
que se manifeste la présence de la puissance, de la sagesse et de l’amour du Dieu-Source
de cet Univers. C’est un Dieu qui cherche à nous construire et à nous réaliser
à travers notre fragilité foncière, nos peurs et nos limites. C’est un Dieu qui,
à travers les multiples cataclysmes de notre existence, veut nous conduire à la
pleine réalisation de notre être, en utilisant tout le potentiel humain et spirituel
qu’il a versé dans notre cœur lorsqu’il nous a lancé dans l’existence.
MB
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