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vendredi 6 novembre 2015

NON AU POUVOR, OUI AU SERVICE


 Les forces évangéliques qui peuvent bâtir un monde meilleur
(Marc 10, 35-45)


S’il y a une chose qui saute immédiatement aux yeux, lorsqu’on est un tant soit peu familier avec la pensée de Jésus de Nazareth, c’est le refus absolu de sa part de toute attitude qui pousse un être humain à se croire supérieur aux autres et donc en droit d’exercer des formes de pouvoir visant à soumettre, à assujettir et à opprimer son prochain pour en tirer des avantages personnels.

Pour Jésus cette disposition est nettement «diabolique» (diable, «diabolos» en grec est celui qui divise, du verbe diaballo qui signifie diviser), car elle cherche à établir des systèmes hiérarchiques, et donc des divisions, des séparations, des classes et donc des inégalités qui en réalité n’ont aucune raison d’exister. Pour Jésus tous les humains sont fondamentalement égaux, dans leur variété et leurs différences, car tous possèdent la même et identique dignité d’enfants de Dieu. Il faut avoir présent à l’esprit que ce principe proclamé par Jésus, qui pour nous aujourd’hui est une évidence (du moins théoriquement), a été, en son temps, une véritable bombe d’une charge explosive sans précédents et qui a bouleversé et ébranlé de fond en comble les mentalités et les principes sur lesquels les sociétés de cette époque étaient fondées. Après Jésus, le monde n’a plus été le même.

Motivé par le texte de l’évangile, je voudrais réfléchir avec vous sur les implications du principe évangélique de l’égalité fondamentale de tous les humains, qui est un des piliers de l’enseignement du Maître de Nazareth, et qui, pourtant, a été systématiquement ravalé, bafoué, renié et oublié au cours de toute l’histoire chrétienne de l’Occident, autant par les sociétés laïques, que par les institutions religieuses.
  
Nous vivons à une époque de transformations sans précédents. Jamais comme aujourd’hui nous avons pris conscience que nous avons tous la même origine, que nous avons tous le même génome, que nous appartenons tous à la même race, à la même planète, que sommes tous reliés ensemble par la même origine, les mêmes conditions de vie, le même destin, que nos ne formons qu’une immense famille, malgré les différences de races et de culture. Cette unité et interdépendance est aujourd’hui encore plus évidente grâce à la globalisation de l’économie, à la disparition des frontières entre les différents pays, grâce aux conquêtes des technologies et de l’espace qui permettent la vitesse fantastique des communications et des moyens de déplacements. Nous ne vivons plus séparés, ma reliés, unis, connectés dans un village global. La terre est devenue un petit village où tout ce qui arrive dans un coin est immédiatement connu dans le coin opposé.

Cette globalisation, si elle nous unit, elle nous confronte aussi plus directement avec l’état pitoyable de notre planète, dû à la déprédation insensée de ses ressources, ainsi qu’à la détresse, la pauvreté et la souffrance d’une grande partie de l’humanité, causées par la marque capitaliste de notre économie qui encourage la cupidité, la recherche du profit illimité, et qui produit de grandes injustices sociales et d'énormes inégalités. Si notre société occidentale, depuis la révolution française, s’est développée au cri de «liberté, égalité et fraternité», il faut admettre que ce cri n’a pas fini de retentir, car les inégalités continuent de déchirer l’humanité.

Ce qui frappe lorsqu’on approche l’enseignement du prophète de Nazareth, c’est de voir avec quelle insistance, quel aplomb et quelle sagesse il a cherché à dépister les postures intérieures qui sont à l’origine des comportements discriminatoires et inégalitaires dans l’homme. Je me limiterai ici à quelques exemples tirés de l’évangile. Dans l’évangile de Matthieu (ch.19) on trouve le récit du propriétaire d’une vigne qui embauche des ouvriers à différentes heures de la journée, mais qui donne à tous le même salaire. Or le salaire calculé pour chaque travailleur est le montant dont une famille de ce temps avait besoin pour vivre. Évidemment le patron doit faire face aux récriminations indignées de ceux qui ont travaillé depuis le matin et qui se sentent injustement traités. Ils n’acceptent pas cette façon égalitaire de faire, ils ne veulent pas être traités comme tous les autres. Ils exigent davantage. Ils veulent un traitement différent. Ils ne veulent pas entendre parler d’égalité.

Et c’est ici que se situe le cœur l’enseignement de Jésus. Le Maître de Nazareth fait comprendre que jamais on ne pourra bâtir un monde ou une société de personnes égales (mêmes droits, même digité, même possibilité de succès, même moyens suffisants de subsistance….) en appliquant les règles d’une stricte justice ou d’une stricte légalité. Mais il faudra au contraire s’équiper d’une grande dose de générosité et de sensibilité, comme le patron de la parabole, et comme devraient faire les pays développés envers les pays sous-développés, les riches envers les pauvres, les privilégiés envers les exclus.

Les problèmes, les besoins et les détresses d’une grande partie de l'humanité ne seront jamais résolus par les stratégies de la concurrence, par les politiques du pouvoir, les ententes économiques, les lois du marché, ou par les règles d’une stricte justice, mais seulement par les attitudes plus humaines de la sensibilité, de la cordialité, du partage, de la générosité et de l’amour qui devraient toujours habiter le cœur de l’homme, déterminer ses décisions et orienter ses actions. Nous trouvons le même enseignement dans la parabole des talents (Mt. 25) où le patron donne à chacun de ses administrateurs un montant d’argent différent à gérer selon leurs capacités. Ensuite il se félicite avec chacun, non pas pour les résultats obtenus, mais pour la fidélité, l’engagement et l’effort qu’ils ont déployés pour le faire fructifier. Pour le patron de la parable, ses employés sont tous également admirables: non pas à cause des résultats de leur travail, mais a cause de la valeur et de la qualité de leur personne.

Pour Jésus l’égale dignité et donc la fondamentale égalité de tous les êtres humains est basée sur le fait que nous sommes tous les enfants d’un même Dieu, qui nous est Père, et que nous sommes donc tous des frères, des sœurs, des égaux, même dans nos différences.
Il faut malheureusement constater que même l’Institution ecclésiastique qui se considère pourtant l’«exécutrice testamentaire» attitrée de l’héritage de Jésus, est loin d’avoir assimilé et d’avoir vécu selon les principes d’égalité proposés par le Maître de Nazareth. Tout au contraire. À partir du VIe siècle, avec la paix constantinienne, les papes et les autorités religieuses du temps, n’ont pas hésité à s’approprier la structure hiérarchique de l’empire romain pour l’introduire dans celle ecclésiale et construire un système religieux extrêmement hiérarchisé. C’est à partir de ce temps que dans Église on a commencé à parler de hiérarchie, d’ordre, de rang, d’autorité, de pouvoir, de clercs qui ont le pouvoir et de laïcs qui n’en ont aucun. Ce pouvoir, (s’est ainsi que les autorités religieuses le conçoivent), est directement conféré par Dieu à des personnes qu’il a lui même choisies et appelées à une fonction de direction et de sanctification dans l’Église. Ce pouvoir est donc «sacré» et il est donné à des privilégiés, appartenant à une classe supérieure; tandis que les «simples fidèles» constituent la masse du peuple chrétien de classe inférieure qui n’existe que pour obéir et se soumettre aux clercs en autorité. La société de l’Église, par volonté divine, est donc formée de personnes inégales. Comme l’a ouvertement et formellement reconnu le pape Pie X qui, dans son encyclique Vehementer Nos (11 fév. 1906), déclare: « Il en résulte que cette Église est par essence une société inégale, c'est-à-dire une société comprenant deux catégories de personnes: les pasteurs et le troupeau, ceux qui occupent un rang dans les différents degrés de la hiérarchie et la multitude des fidèles; et ces catégories sont tellement distinctes entre elles, que, dans le corps pastoral seul, résident le droit et l'autorité nécessaires pour promouvoir et diriger tous les membres vers la fin de la société. Quant à la multitude, elle n'a pas d'autre devoir que celui de se laisser conduire et, troupeau docile, de suivre ses pasteurs
 L’Église officielle a donc depuis longtemps reniée et mis de côté l’enseignement de Jésus sur l’égalité fondamentale de tous les humains devant Dieu.

Aujourd’hui il faudrait avoir la sagesse d’abolir dans le langage ecclésiastique la parole «hiérarchie», entendue comme «pouvoir sacré». Car dans la pensée de Jésus ce n’est pas le «pouvoir» qui compte, mais le «service». Et lorsque dans les évangiles on attribue à Jésus le «pouvoir», ce mot ne désigne jamais une faculté en vue de dominer ou soumettre les autres, mais il indique toujours la capacité que Jésus a de guérir, de chasser le mal, de libérer les humains de tout ce qui les opprime et les empêche de vivre pleinement. Le pouvoir de Jésus est une force qui libère et qui sauve. Cela signifie alors que tout pourvoir, toute autorité, toute structure hiérarchique qui n’est pas libératrice, n’est pas conforme à l’évangile de Jésus: elle est donc antiévangélique.
Le «pouvoir» crée les inégalités; seulement le service est capable de rendre les hommes égaux.

C’est ce que Jésus dans l’évangile d’aujourd’hui (Mc.10, 42-45) veut faire comprendre à Jacques et Jean, ces deux disciples fougueux et autoritaires (qu’il avait surnommés les fils du tonnerre) qui aspirent à occuper de hautes places de pouvoir: «Vous savez, leur dit Jésus, que les chefs des nations commandent en maître; que les grands de ce monde font sentir leur pouvoir; mais parmi vous il ne doit pas en être ainsi. Celui que veut devenir grand doit se faire votre serviteur».

À la volonté de pouvoir, Jésus oppose la volonté du service. Le véritable disciple doit aspirer non pas à voir du pouvoir sur les autres, mais à être au service des autres.
Selon le Maître, c’est dans cette attitude de service que réside la vraie grandeur de l’homme; et c’est encore à travers elle qu’il se manifeste comme véritable enfant de Dieu. Par contre, celui qui profite de son pouvoir pour se dresser au-dessus des autres, pour créer des inégalités et pour opprimer les autres, se transforme en être méprisable et insignifiant dans lequel la ressemblance avec Dieu a été complètement déformée.

Et c’est ainsi que dans la générosité, le partage, l’amour et le service envers les autres sont mises en place, dans la pensée de Jésus, les forces de salut qui ont le «pouvoir» de bâtir un monde plus juste, plus égalitaire et finalement plus humain.




BM

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