(Marc 10,2-16)
Dans la culture juive du temps de Jésus personne ne
contestait le fait qu’un homme marié pouvait pendre unilatéralement la décision
de répudier sa femme. C’était une pratique presque normale. S’il y avait une
certaine discussion à propos de cette pratique, cela ne concernait pas le
principe de la répudiation en tant que tel, mais les raisons valables pour
prendre une telle décision. Dans les faits, en ce temps-là, un homme pouvait
chasser sa femme de la maison pour n’importe quel motif. Il suffisait qu’elle
fasse quelque chose de désagréable à monsieur: comme un repas mal cuisiné; des
mets brulés; une épouse surprise à parler avec un inconnu en dehors de la
maison, ou sans voile avec les cheveux au vent…
En ce temps, être abandonnée par son mari, était pour
une femme la pire des catastrophes. Une femme chassée de la maison était une
femme déshonorée et destinée à la mort sociale et, souvent aussi, à la mort
physique, car elle se retrouvait sans statut social, sans support, sans
protections et sans moyens de subsistance. Il ne faut pas oublier qu’en ce
temps, la femme était totalement dépendante et à la merci de son mari. On était
encore loin du mouvement de libération de la femme, de la parité des droits, des
droits de la personne, de l’égalité des sexes. Dans la société juive du temps
de Jésus, comme d’ailleurs encore aujourd’hui dans la majorité des pays
musulmans, les femmes ne sortaient pas seules et s’occupaient exclusivement du
foyer, du mari et des enfants. Elles étaient soit les servantes, soit les esclaves
de leur conjoint qui avait plein pouvoir sur elles. Elles n’étaient pas considérées
comme des personnes adultes et responsables, mais comme des mineurs qui ont
toujours besoin d’être surveillés, dirigés et commandés. Seul le mari était capable
de raison. Il pouvait donc les réprimander, les châtier, les punir, les battre
et, finalement, les expulser de sa maison si cela lui convenait.
Ici Jésus s’érige avec toute la force de son autorité
pour condamner cette mentalité machiste et oppressive. Dans ce texte d’évangile
Jésus pose les bases de la lutte pour la libération de la femme. Il condamne toute
forme de domination, de supériorité, d’hégémonie et de prééminence de l’homme
sur la femme. Il affirme que si la loi mosaïque semblait avantager les hommes,
en leur donnant le pouvoir de sévir contre leurs épouses, cela était à cause d’une
concession faite à la brutalité incurable des mâles et à la dureté de leur
cœur. La Loi mosaïque
préférait envisager une voie d’issue pour la femme mariée, lui laisser une
porte de sortie, plutôt que de la contraindre à subir indéfiniment les sévices
ou la violence de son mari et la condamner ainsi à une vie d’enfer. Jésus affirme
que la Loi mosaïque
est un moindre mal, une concession faite à la barbarie de ces hommes primitifs,
mais que ce n’est pas ainsi que Dieu voit et veut les relations entre homme et
femme. «Au début, lorsque Dieu créa l’homme et la femme, ce n’était pas ainsi
que les choses devaient se passer», remarque le Maître.
Jésus se lève donc contre cette absurdité juridique, inventée
par des hommes et pour les hommes, qui leur permet de renvoyer d’une façon unilatérale
leur épouse et qui ne permet pas à celle-ci d’en faire autant. Jésus cherche à
faire comprendre aux machos de son temps, que cette Loi mosaïque ratifie la
pire des injustices, car devant Dieu, affirme Jésus, l’homme et la femme ont la
même nature, la même dignité, la même grandeur humaine et donc les mêmes droits
et les mêmes obligations. Dieu aux débuts a fait l’être humain homme et femme, avertit
Jésus. Ils sont en même temps semblables et différents. Ils sont comme les deux
parties d’une même médaille. Il n’y a pas un côté qui vaut plus que l’autre ou
qui est plus important que l’autre. Les deux côtés ont exactement la même
valeur. On ne peut pas les penser séparés. Ils ne sont pas deux, mais un,
insiste Jésus. Ils existent pour être et rester ensemble, pour se compléter,
pour payer ensemble le prix de la vie et le bonheur de vivre.
Ici Jésus nous dit que la force qui fait en sorte qu’un
homme et une femme soient capables de briser les liens du sang qui les
attachent à leurs parents pour s’unir à un partenaire étranger et ne faire
qu’un seul être, qu’en seul corps avec lui, n’est évidemment pas celle de l’opportunisme,
des alliances de clan ou de parti, ni la pulsion de la passion, ni l’attrait du
plaisir ou la recherche de la sécurité, mais uniquement la puissance de l’amour.
L’amour est le plus sublime et le plus extraordinaire des élans spirituels dont
les humains soient capables; et c’est uniquement à cette Énergie intérieure,
qui coule en nous de la Source
de tout être que nous appelons Dieu, qu’est confiée la tâche de souder ensemble
le couple humain. Jésus nous enseigne non seulement que c’est la force divine
de l’amour qui, dans le couple humain, transforme l’union des corps en union
des cœurs et des âmes, mais aussi que cet amour, que nous devons
continuellement déployer, est aussi celui qui marque la fin de ces rapports de
couple vécus à l’enseigne de la discrimination, du pouvoir, de la domination,
de la supériorité, de l’humiliation, de l’exploitation et de la violence.
Jésus est donc venu nous révéler que, en tant qu’humains,
nous sommes les vecteurs privilégiés de l’énergie divine de l’amour. Mais il est
venu nous dire aussi que cet amour est difficile à vivre à cause de la «dureté de notre cœur»; c’est-à-dire, à
cause le l’état d’imperfection de notre nature qui n’a pas encore atteint la
perfection évolutive nécessaire pour réaliser une telle qualité d’amour. Sur le
chemin de notre évolution humaine, nous sommes encore aux débuts. Nous sommes encore
des êtres primitifs, rustres, à peine ébauchés, pas encore pleinement formés et
donc incapables de jouer sur le piano de notre vie, avec succès, aisance et
brio, la merveilleuse partition de l’amour que Dieu nous a confiée. Nous
pianotons, et alors l’amour se gâche et se perd. Et le couple se décompose: par
les circonstances de la vie, par l’instabilité de nos sentiments, et par la
faiblesse de notre condition humaine exposée aux aléas de nouvelles rencontres
et de notre transformation intérieure. Alors la séparation et le divorce
deviennent inévitables et même nécessaires; et toute société doit les envisager,
les accepter et légiférer sur une telle possibilité, afin que la vie à deux (et
le mariage) ne se transforme pas en une horrible prison dans laquelle le couple
risque d’être exposé à une vie insupportable et parfois d'enfer.
Ce texte de l’évangile n’est donc pas une apologie de l’indissolubilité
du mariage, comme souvent une certaine exégèse catholique a voulu le faire
croire, mais une apologie de la condition féminine. Ici Jésus se lève contre la
discrimination, l’oppression et la violence auxquelles les femmes sont soumises
de la part des hommes. Ici le Maître de Nazareth plaide en faveur de l’amour
tendre, fidèle, respectueux et durable dans le couple. Ici le Nazaréen abolit
et condamne toutes ces lois, toutes ces pratiques et toutes ces coutumes patriarcales
inventées par les hommes et qui ne servent qu’à justifier leur comportement oppressif,
égoïste et dominateur. Ici Jésus veut redonner dignité, noblesse,
respectabilité, valeur et droits aux femmes. Il en fera ses meilleures amies et
ses meilleures collaboratrices. C’est pour cela que les femmes l’aiment et l’entourent.
Dorénavant c’est dans sa doctrine qu’elles
découvriront leur excellence et c’est dans ses paroles qu’elles puiseront à
tous jamais les principes de leur libération et de leur fierté.
MB
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