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vendredi 21 février 2014

UNE NOUVELLE FAÇON DE COMPRENDRE L’INCARNATION DE DIEU

NOËL - LA MANIFESTATION DE DIEU DANS LE MONDE

UNE NOUVELLE FAÇON DE COMPRENDRE L’INCARNATION DE DIEU


Le monde occidental à partir du XVIIe siècle a subi une révolution culturelle d’une portée sans précédent qui l’a fait basculer de l’enfance à l’âge adulte; du Moyen-âge à l’époque moderne; d’une culture mythique à une culture scientifique; d’un univers dominé par la religion et la foi à un univers guidé par la rationalité, la technique et la science. Aujourd’hui, grâce au progrès des sciences et des connaissances, on n’a plus besoin de recourir, comme dans le passé, à l’«hypothèse-Dieu» pour expliquer le monde, la nature et les phénomènes naturels. Le monde moderne a pris conscience de l’autonomie du cosmos et de l’être humain. Il a donc définitivement abandonné la croyance en un monde mythique et surnaturel qui existerait au-dessus et au-delà de notre monde humain et où habiterait la divinité.

 Nous savons aujourd’hui qu’y il y quinze milliards d’années une explosion fulgurante (le big-bang) a donné naissance à l’Univers, au temps et à l’espace. Depuis lors se poursuit sans arrêt l’ascension du monde vers la complexité. À partir d’un vide subatomique initial se sont formés successivement les quarks et les électrons, les protons et les neutrons, les atomes, les étoiles et les galaxies. Une immense tapisserie cosmique tissée, composée de centaines de milliard de galaxies, faites chacune de centaines de milliards d’étoiles. Dans la banlieue d’une de ces galaxies, sur une planète proche d’une petite étoile, apparut l’homme, doué de conscience et d’intelligence, capable de comprendre l’Univers et de s’émerveiller devant son harmonie et sa fantastique beauté.
Nous savons maintenant que cet univers est régi par des lois physiques qui lui sont propres et qui surgissent de la nature même de sa constitution.

Les découvertes modernes de l’astronomie et de l’astrophysique nous ont appris que dans l’univers il n’y a ni de haut ni de bas, ni de droite ni de gauche et qu’il ne fait plus aucun sens de parler d’un Dieu en-haut, ni d’un enfer en-bas, ni d’une terre coincée entre les deux, comme le croyaient nos ancêtres. Pour les gens de la modernité, il n’y a donc plus de place pour un Dieu conçu comme un puissant monarque qui, du lieu secret de sa demeure, ferait tourner les huit sphères célestes (d’Aristote et de Ptolémée) autour d’une terre au centre de l’univers, aidé par une cohorte d’anges. Depuis longtemps la modernité a abandonné l’idée d’une super-entité «paternaliste», aux attributs humains poussés à l’infini, qui du haut de son trône veillerait sur le bien-être des humains. Cette conception anthropomorphique de Dieu est le produit d’une culture primitive dans laquelle l’ignorance, la peur et le besoin de sécurité ont joué un rôle prépondérant. Cette image de Dieu a joué son rôle. Elle a longtemps servi à satisfaire la curiosité et l’anxiété humaine; mais elle était une image provisoire, insuffisante et destinée à être inévitablement dépassée par les rythmes de l’évolution.

       Il n’y a plus de place aujourd’hui pour un Dieu conçu comme un gardien austère de la moralité et qui passerait son temps à surveiller les humains pour les punir ou les récompenser, selon la bonne ou la mauvaise qualité de leurs actions. Il n’y a plus de place pour un Dieu auquel il faut offrir adoration, culte et sacrifices pour en recevoir en échange protection et sécurité. La conception d’un Univers à trois étages chapeauté par la majesté d’un Dieu tout-puissant qui assure le bon fonctionnement de l’ensemble s’est effondrée à partir du XVIe siècle avec Galilée, Copernic et l’arrivée des sciences modernes. Cet effondrement est aussi le prélude de l’écroulement incontournable des religions traditionnelles qui ne sont finalement que la forme humaine et historique (organisée et guidée par des spécialistes) que la vénération de ce Dieu a pris au cours de l’histoire.

Cette représentation primitive et mythique de Dieu est pourtant celle qui est à la base de la formation des dogmes les plus fondamentaux de la religion chrétienne. Ces dogmes définissent la nature de Dieu et de Jésus de Nazareth. Ils ont été élaborés et fixés au cours des cinq premiers siècles, sous la pression des empereurs romains. Proclamés vérités divinement révélées et inaltérables, ils on été imposés de force par l’autorité impériale à tous les chrétiens, sous peine de bannissement, d’excommunication et de mort. La fixité et la rigidité des dogmes, gardés sous stricte surveillance par les autorités religieuses pendant plus de vingt siècles, ont rendu impossible une évolution dans la compréhension et l’expression de la foi chrétienne. Cela explique pourquoi dans l’Église officielle, il a été et il est si difficile de passer du Moyen-Âge à l’époque moderne, sans donner l’impression d’être un hérétique ou un subversif qui veut tout chambarder. Cela explique pourquoi, aujourd’hui encore, il y a tant de chrétiens qui continuent à garder dans le portefeuille de leurs croyances la vieille monnaie d’antan, même si elle a perdu depuis longtemps toute valeur. Cela explique pourquoi il y encore tant de chrétiens qui font semblant de croire à la vérité des énoncés dogmatiques, même si leur intelligence et leur esprit critique ne réussissent plus à les accepter. Se pourrait-il que dans la religion les croyants cherchent plus la sécurité que la vérité; et que la religion soit plus une affaire de sécurité que de vérité ?

Malgré les efforts considérables que les autorités ecclésiastiques ont déployés jusqu'à récemment pour sauver la présentation et la compréhension traditionnelles de la foi, le temps fait quand même son œuvre dans l’esprit des chrétiens. Les croyants des temps modernes, enrichis par les conquêtes de la technique, informés par les découvertes et éclairés par les connaissances des sciences modernes, ne sont plus capables d'adhérer à l’ancienne conception de Dieu que la religion a sédimentée dans ses dogmes. Leur nouvelle éducation les pousse maintenant à concevoir Dieu d’une toute autre manière; à l’exprimer avec d’autres concepts et d’autres représentations, qu’ils tirent du bagage de leurs nouvelles connaissances.

Ils préfèrent penser que Dieu n’est pas une entité, un être, mais qu’il est l’Être ou l’Énergie de l’être. Les croyants modernes sont maintenant plus enclins à penser que «ce» que nous appelons « Dieu», si Dieu il y a, n’a pas d’existence en dehors de ce qui existe. Et puisque, de toute évidence, cet Univers, visible et invisible est toute la réalité qui existe, ils en concluent que c’est dans cet Univers que Dieu est et que c’est dans cet Univers et non pas en dehors de lui qu’il faut le chercher. Mieux encore, ils soupçonnent que «Dieu» est ce qui existe et que donc l’Univers est, peut-être, la forme que Dieu prend pour exister; et que Dieu devient «reconnaissable» et «dicible » lorsque dans le cosmos apparaît une structure intelligente capable de le penser et de le dire.

      Ils préfèrent donner à Dieu des noms qui sont plus conformes à leur perception de la réalité et qui expriment, sans doute mieux leur nouvelle façon de ressentir et de comprendre sa nature, son action et sa présence dans le monde. Pour ces nouveaux croyants, Dieu est le «Mystère Originel», la «Réalité Spirituelle Originelle», «le Prodige ou Miracle Originel», «l’Essence profonde de ce qui existe», «la Source de l’être et de la vie», «le Fondement de l’être», la «Profondeur de la réalité», «Énergie ou Esprit d’Amour». Ils préfèrent concevoir Dieu surtout comme Énergie Amoureuse qui serait au fond de toute réaction, de tout mouvement, de toute transformation, de toute l’évolution de la réalité qui aboutit, grâce à la stupéfiante force de l’amour (union et attraction), à la naissance de la matière, de la vie, de l’homme, de l’esprit dans des êtres intelligents capables de tendresse et d’amour. La présence de l’amour est alors vue et comprise comme la plus stupéfiante incarnation du Mystère Originel dans notre monde. Le cosmos serait alors l’auto-expression du Mystère Originel. La création serait alors l’auto-révélation continuelle et progressive d’un Esprit  transcendant le cosmos, mais dans la forme duquel il se révèle. La création ne serait pas alors une intervention qui viendrait de l’extérieur donner naissance au monde, mais l’auto-manifestation du Miracle Originel qui agit de l’intérieur.


            À cause de l’impossibilité de penser Dieu avec les concepts d’autrefois, les gens de la modernité ne réussissent plus à prendre au sérieux le discours religieux qui persiste à considérer Dieu comme une entité singulière, personnelle et toute puissante qui intervient de l’extérieur ou de là-haut pour régler les problèmes de notre monde. Cette notion de Dieu est aujourd’hui totalement périmée.
La difficulté de prendre au sérieux les données traditionnelles de la foi chrétienne se manifeste d’une façon particulièrement aiguë lorsqu’il s’agit de prendre position face à la doctrine chrétienne concernant la nature divine de Jésus de Nazareth. En se basant sur les récits évangéliques de la naissance de Jésus, le chrétien devrait croire que Dieu serait descendu du ciel sur terre pour prendre un corps humain dans le ventre d’une femme qu’il aurait préalablement fécondée par son Esprit. L’enfant né de cette divine intervention, serait alors l’incarnation de Dieu sur terre. Cet événement merveilleux Dieu l’aurait accompagné d’apparitions d’anges, de chants célestes, de mouvement extraordinaire d’astres dans le ciel.

Ce récit évangélique n’est évidemment plus recevable aujourd’hui dans sa formulation littérale. Cependant, cela ne signifie pas qu’il ne nous transmette pas, dans un langage mythique, poétique et symbolique, une vérité qui, peut-être, gît et fermente depuis toujours au fond de la psyché humaine et qui cherche par tous les moyens à naître à la conscience.

            C’est ma foi en la réalité du mystère de l’incarnation de Dieu dans notre monde que je voudrais essayer d’expliquer et de présenter ici à partir d’une nouvelle perspective en m’appuyant sur les intuitions des chrétiens modernes et en réfléchissant sur les données qui nous viennent des acquis des sciences modernes.

Disons tout de suite que le concept d’«incarnation» de divinités est assez courant dans les cultures et les religions de l’humanité. L’universalité et la fréquence de ce mythe donne à penser que, peut-être, la notion d’un dieu qui devient homme est une intuition, une perception confuse mais réelle d’une réalité qui est comme encodée dans nos gènes, qui fait partie de l’inconscient collectif et des archétypes formés dans le cerveau humain aux origines de l’humanité. Il se peut que l’idée d’un Dieu qui se fait homme soit comme l’écho capté par notre cerveau d’une «mélodie secrète» qui se joue depuis longtemps dans l’univers et qui finalement a trouvé sa résonnance dans une structure vivante (l’homme) que l’Univers s’est expressément fabriqué dans ce but. Il existe aujourd’hui un courant de pensée (qui remonte aux philosophes de XVIe siècle et, en particulier, à Spinoza) qui voit dans le concept d’incarnation de Dieu non pas tant un article de foi religieuse, mais plutôt la réalité d’un processus physique à travers lequel le Mystère Originel (Dieu) prend corps dans l’Univers. Pour ces penseurs l’apparition d’une structure matérielle vivante, pensante et auto-consciente (l’homme ou autres créatures intelligentes sur d’autres planètes) est la conquête la plus spectaculaire de la transformation et de l’évolution de la matière vers la manifestation et l’incarnation du Mystère de Dieu dans le Cosmos (Cf. Philosophie Processuelle de Alfred North Whitehead)

Ces penseurs et ces philosophes croyants pensent découvrir dans les Forces qui bâtissent l’univers la présence d’une «Énergie» à travers laquelle Dieu ou la Source de l’être, se manifeste. Dieu serait cette «Énergie» qui, en se communiquant, prend corps, en «créant» l’Univers. Celui-ci apparaît alors comme une matérialisation de la nature profonde de Dieu, Énergie-Amour-qui se répand et crée des relations et des liens, ainsi que les formules mathématiques d’Einstein le confirment. Les équations d’Einstein nous révèlent en effet une équivalence parfaite entre l’Énergie et la Matière. Tous les phénomènes de physique atomique et quantique montrent également que la matière, dans ses ultimes composantes, n’est que relation, vibration, onde, éclat, lumière, force et énergie. Dans cette conception, Dieu serait l’essence la plus profonde et la loi ultime du cosmos et de l’être humain.

Une comparaison avec une sonate pour piano de Mozart, empruntée à Roger Lenaers, peut aider à mieux saisir cette nouvelle façon de concevoir Dieu comme Mystère Originel et Spirituel qui s’exprime dans le cosmos et qui se manifeste dans l’évolution de l’Univers. Ce magnifique et envoûtant tourbillon de sons et de vibrations de l’air qui constitue la sonate frappe nos tympans et à travers les chemins merveilleux de l’oreille interne et du nerf auditif, converti en impulsions électriques, vient atteindre et solliciter le cerveau humain. Grâce au cerveau, les sons et les vibrations deviennent non seulement audibles, mais ils se métamorphosent en une musique divine qui ravit et transporte. Or, tout ce processus peut être décrit et expliqué scientifiquement (même si cela reste toujours une énigme scientifique d'expliquer comment une excitation matérielle puisse être en même temps un phénomène de conscience). La sonate cependant est plus qu’une succession de vibrations à des fréquences différentes. Elle exprime, manifeste, donne consistance physique à une réalité qui, elle, est toute spirituelle et qui est, de toute évidence, bien existante: l’«inspiration» de Mozart. Dans la sonate pour piano, c’est vraiment l’«esprit» de Mozart qui s’incarne dans la matière. C’est véritablement son intériorité, qui se manifeste dans et sous cette forme de beauté. L’esprit de Mozart n’intervient pas de l’extérieur pour créer la musique, mais la merveille de la musique est l’esprit même de Mozart qui s’exprime et s’«incarne» dans le monde matériel. Personne évidemment ne pense que parler d’inspiration (ou d’esprit) à propos de la musique de Mozart soit quelque chose de fantaisiste ou de farfelu. L’inspiration, qui transforme des sons disparates en musique, c’est-à-dire en un tout harmonieux et absolument merveilleux, existe vraiment. Le miracle du son c’est l’esprit même qui s’exprime dans la matière. Ainsi, personne ne pense que le fait de reconnaître l’existence de cet «esprit» constitue un obstacle à l’explication scientifique du phénomène musical. Semblablement, l’Univers a sa propre structure matérielle et physique gérée par ses propres lois qui peuvent être connues et étudiées, et dont les résultats peuvent être analysés, mesurés, enregistrés. Cependant, cette structure matérielle n’est que la forme dans laquelle se manifeste et se déploie «l’inspiration», c'est-à-dire l’«esprit», l’«intériorité», la «profondeur spirituelle» du Mystère Originel (Dieu) pour être et pour se rendre perceptible à une conscience intelligente capable de tressaillir d’admiration et d’enchantement devant une beauté aussi sublime.

L’apparition de l’homme, créature intelligente dotée d’esprit, serait alors l’aboutissement d’un long travail de gestation de l’Univers, par lequel le Mystère Originel a mis en place les conditions de sa manifestation, de sa compréhension, de sa matérialisation ou, si l’on veut, de son «incarnation» dans le monde. Car à quoi bon Être, si l’on n’Est pour personne? À quoi bon l’existence d’une Énergie d’Amour qui accouche d’un «cosmos» merveilleux et intelligible, si jamais ne surgit, quelque part, l’émerveillement et une réponse amoureuse et intelligente? A quoi bon l’existence d’une Puissance d’Amour, s’il n’existe nulle part un vis-à-vis conscient capable de s’en éprendre et d’exulter de joie et de ravissement devant les manifestations sublimes de tant de beauté?

L’homme serait la forme matérielle la plus accomplie que l’Amour Originel a pu trouver pour se révéler, pour se faire connaître et reconnaître dans le cosmos. L’homme serait  la forme provisoire la plus haute et la plus accomplie de l’auto-expression du Mystère Originel. Dans cette vision, l’homme ferait partie de Dieu et de ce que Dieu est. Dieu serait partie de qui nous sommes et de ce que nous sommes. Dieu serait la dimension la plus profonde et la plus vraie de notre être, celle qui fait en sorte que nous soyons ce que nous sommes. Il se pourrait alors que l’attitude et la capacité humaine à saisir et à prendre conscience de Dieu et d’agir en conséquence constitue l’essence de ce que signifie que d’être humain.

Cette nouvelle façon de concevoir Dieu et son «incarnation» dans le monde semble être aussi la conviction du renommé astrophysicien et divulgateur Trinh Xuan Thuan qui dans son livre Le chaos et l’harmonie écrit ceci: «Je pense que notre capacité à comprendre l’univers n’est pas le résultat d’un heureux hasard. Elle a été «programmée» à l’avance, tout comme l’Univers a été réglé de façon extrêmement précise pour que la vie et la pensé émergent. L’existence de l’Univers n’a de sens que s’il contient une conscience capable d’apprécier son organisation, sa beauté et son harmonie…La capacité de notre cerveau à comprendre les lois naturelles n’est pas simplement un accidente de parcours, mais un reflet de l’intime connexion cosmique entre l’homme et le monde... L’Univers a engendré un être (homme) capable de le comprendre. Nous avons le don de comprendre parce que l’Univers n’est pas qu’une collection de particules de matière inerte. Il est la manifestation d’un principe infiniment plus subtil et élégant. L’Univers a un sens, et c’est l’homme (ou tout autre être intelligent dans d’autres planètes et d‘autres galaxies) qui, en le comprenant, lui confère ce sens…. La cosmologie moderne a découvert l’ancienne alliance entre l’Homme et le Cosmos. L’homme est l’enfant des étoiles, le frère des bêtes sauvages, le cousin des fleurs des champs; nous ne sommes que poussières d’étoiles. L’astrophysique nous révèle que l’apparition de la vie et de la conscience à partir de la soupe primordiale a dépendu d’un réglage extrêmement précis des lois de la Nature et des conditions initiales de l’Univers» (Éd. Fayard 1998, pp.429-430, 444).

Si à ce Mystère Originel, à cette Énergie-Amour-Profondeur-Créatrice-de-la Réalité nous convenons de donner le nom de «Dieu», alors nous pouvons dire, en toute vérité, que c’est Dieu lui-même qui cherche à prendre forme et à s’exprimer dans l’être humain. Et voilà que nous arrivons alors, mais par un autre chemin, à l’«incarnation» de Dieu dans le monde que nous trouvons exprimée dans les évangiles. Mais cette fois-ci l’incarnation de Dieu est comprise d’une façon totalement différente de celle proposée par la religion. Dans la religion chrétienne l’incarnation de «Dieu» est l’exécution d’un plan divin qui s’est réalisé en un jour bien précis de l’histoire, une fois pour toutes et en un seul représentant de la race humaine. Dans la nouvelle vision cosmique, le Mystère Originel est continuellement en procès de matérialisation et d’«incarnation», autant dans le cosmos que dans l’être humain. De sorte que dans l’être humain il s’incarne, non pas en unissant la structure biologique d’un corps animal à son mystère, comme s’il unissait à lui quelque chose qui existerait déjà en dehors de lui, mais c’est son Être Mystérieux qui, de l’intérieur, prend progressivement forme dans tous les êtres humains. C’est alors l’humanité dans son ensemble qui devient l’expression physique, matérielle, corporelle la plus perfectionnée du Mystère Originel dans le monde. 

On est donc devant une réelle «incarnation» de Dieu dans l’humanité et, par conséquent, dans l’Univers. Nous, les humains, nous ne sommes pas une âme spirituelle qui habiterait dans un corps, comme nous l’a enseigné la théologie classique, mais nous sommes une étincelle de la forme avec laquelle Dieu s'exprime soi-même dans la Réalité. Dieu appartient ainsi à la définition de notre être. Nous existons seulement dans la mesure de sa présence dans nos profondeurs et donc dans la mesure de notre capacité à aimer, puisque le Mystère Originel est essentiellement Amour. Si cela est vrai, il s'en suit que la fonction de notre apparition dans l’Univers n’est pas seulement celle d’être la conscience que le Mystère Originel a de lui-même, mais d’être aussi la forme auto-consciente que l’Énergie Originelle d’Amour s’est donnée dans le Cosmos ainsi que le moyen par lequel l’Amour Originel cherche à s’exprimer, à se propager et à transformer sa Création.

Devons-nous alors abandonner le récit évangélique de la naissance de Jésus présenté comme l’Emmanuel, le Dieu-avec-nous? Pas du tout! Au contraire! La nouvelle vision de l’incarnation de Dieu dans l’Univers permet de donner au récit chrétien de la naissance de l’enfant-Dieu dans la crèche de Bethléem, non seulement une portée symbolique d’une ampleur et d’une puissance extraordinaire, mais aussi une consistance existentielle bien plus réelle que celle qui nous parvient de l’interprétation catholique du conte de Noël. Dans cette nouvelle vision, la naissance de Jésus de Nazareth peut être considérée comme un des plus beaux accomplissements de Mystère Originel qui prend corps dans l’Univers et comme une des plus parfaites manifestations de la prise de conscience que l’humanité a eue de sa présence.

Pour les chrétiens modernes, cette nouvelle manière de comprendre l’Incarnation de Dieu fait de l’Homme de Nazareth une des pointes les plus sublimes dans l’histoire de l’évolution cosmique. Elle leur permet de voir aussi sous une toute autre lumière la figure de Jésus, de mieux saisir le mystère de sa personne et de réagir autrement devant le contenu de son message, puisqu’ils savent de quelle Source il jaillit et de quelle musique il leur transmet la mélodie. À la lumière de cette nouvelle compréhension, l’Homme de Nazareth apparaît au chrétien comme le franchissement d’une étape décisive et fondamentale du long voyage du Cosmos vers la prise de conscience de l’existence dans ses entrailles d’un Mystère d’Amour qui lui donne tout son sens. Jésus apparaît comme une réalisation admirable de ce Mystère qui, en lui et à travers lui, se dit et s’exprime dans le monde de la façon la plus claire et la plus complète. En effet, lorsque Jésus parle de Dieu; il ne parle que de cet Amour qui l’habite, qui le transfigure et qu’il appelle Dieu-Père, parce qu’il sait qu’il l’a généré, ainsi qu’il a généré tous les autres humains, ses frères.

Si l’apparition de l’homo-sapiens sur une minuscule planète a été un accomplissement important de l’auto-révélation du Mystère Originel dans la matière; et si Jésus de Nazareth constitue, pour les chrétiens, un prototype particulièrement signifiant de la présence et de l’action de ce Mystère dans le monde, il faut cependant dire que le Nazaréen n’en est pas l’unique prototype. L’Énergie d’Amour qui a été capable de conduire l’évolution de l’Univers jusqu'à l’apparition d’une humanité capable de la reconnaître et de la contenir, agit maintenant en elle avec un tel déchaînement, une telle impétuosité, une telle frénésie et une telle exubérance de manifestations, qu’elle donne l’impression d’être comme empressée de faire surgir un peu partout les signes de sa richesse et les traces de sa présence. C’est comme si cette magnifique symphonie, cachée depuis la nuit des temps dans les profondeurs du cosmos, se réjouissait d’avoir finalement trouvé les artistes capables de l’exécuter et de la faire retentir. C’est comme si «la mélodie secrète» de l’Univers avait finalement produit les oreilles capables de l’écouter et les cerveaux capables de l’interpréter. C‘est comme le débordement d’une surabondance dans un récipient trop exigu pour la contenir.

Ce débordement a fait surgir toutes ces personnalités extraordinaires qui ont marqué l’histoire de l’Humanité et qui constituent des crêtes sublimes à travers lesquelles se rend particulièrement visible, tangible et intelligible la présence du Mystère Originel qui imprègne tout de ses virtualités. Ces phénomènes humains, pour n’en nommer que quelques uns, s’appellent Siddhartha Gautama, Platon, Paul de Tarse, Dante Alighieri, Giordano Bruno, Galileo, Leonardo, Jean de la Croix, Thérèse d’Avila, Spinoza, Isaac Newton, Pascal, Mozart, Beethoven, Darwin, Louis Pasteur, James Maxwell, Max Planck, Albert Einstein, Martin Luther King, Gandhi, Teresa de Calcutta, Mandela ….

Ces hommes et ces femmes ont été pour l’humanité comme l’explosion d’une supernova qui a ensemencé le monde du contenu fabriqué dans ses profondeurs, en permettant ainsi au Mystère Originel d’accomplir des avancées nouvelles sur le chemin de son auto-révélation et de son incarnation dans l’Univers. Ces maîtres ne sont pas hors du Mystère Originel; ils sont dans, ou plutôt, ils sont le Mystère Originel. Dans ces chefs-d’œuvre d’humanité, le Mystère Originel montre à notre monde quelques-uns des traits les plus caractéristiques de son visage et quelques facettes de la richesse infinie de son Esprit. Il écarte brièvement le voile qui le cache, pour que, grâce à ces modèles d'humanité, tous puissent s’étonner des merveilles qu’ils ont entrevues. A travers les humains le Mystère Originel se donne à connaître comme Esprit, Énergie, Lumière, Intelligence, Ordre, Loi, Poésie, Harmonie, Mélodie, Symphonie, Beauté… Mais pour nous, les chrétiens, c’est surtout à travers Jésus de Nazareth que le Mystère Originel que nous appelons Dieu a fait connaître la caractéristique la plus constitutive de son Être, en se manifestant comme Amour.


Le phénomène «Jésus de Nazareth» assume pour les chrétiens modernes une fonction et une importance fondamentales. Il existe pour nous faire comprendre que c’est dans la perfection de notre humanité que Dieu s’exprime. Il nous enseigne que dans la mesure où nous sommes capables de construire notre humanité, dans cette même mesure nous manifestons la présence de Dieu dans l’Univers. Jésus nous dit que plus nous sommes humains, plus nous sommes semblables à Dieu; et inversement, que plus nous sommes semblables à Dieu, plus nous sommes humains. Jésus nous annonce que Dieu est part de nous et que nous sommes part de Dieu. C’est grâce à lui que nous savons maintenant que le rôle de la religion n’est pas de nous rendre plus pieux, plus religieux ou de nous établir dans un état de sécurité et de confort face aux angoisses et aux peurs de l’existence, mais de nous rendre plus humains. C’est grâce à Jésus que nous avons compris que la fonction de la foi n’est pas de nous pousser à croire à l’incroyable, mais de nous pousser à vivre pleinement notre humanité. Après Jésus, le but de la foi n’est plus de convertir, mais de transformer le monde afin que chaque vie puisse avoir une meilleure chance d’être vécue pleinement pour être ainsi en communion avec la Source de la Vie. Après Jésus, le but de la foi est d’entraîner le croyant à aimer, toujours, sans calculer, pour être en communion avec la Source de l‘Amour qui aime gratuitement et avec profusion. Après Jésus, le but de la foi est de pousser le croyant à trouver le courage d’être ce qu’il doit être, fin qu’il soit en communion avec la Source de l’être.


La nouvelle façon de concevoir et de comprendre Dieu permet de voir la personne et la mission de Jésus de Nazareth sous une toute autre lumière et d’avoir aussi une toute autre compréhension, bien plus profonde et existentiellement plus enrichissante, du sens de sa naissance et de sa présence dans notre monde. Le chrétien moderne voit en Jésus la manifestation concrète de ce que Dieu veut réaliser dans le mode; son expression humaine la plus réussie. L’humanité de Jésus devient exemplaire, modèle et source d’inspiration pour tous ceux qui aspirent à atteindre un comportement humain de qualité. Jésus ne nous apparaît plus comme la forme humaine d’une divinité venue d’ailleurs visiter provisoirement notre monde sous un semblant d’humanité; mais plutôt comme un homme exceptionnel qui plus que quiconque et, sans doute, mieux qui quiconque, a pris conscience que tout son être, toute sa personne, toute sa vie n’étaient que la manifestation d’une Énergie d’Amour qu’il appelle «Dieu-Père» et qui est partout à l’œuvre dans le monde, mais surtout à l’intérieur de chaque être humain.

C’est surtout l’évangéliste Jean qui a été capable de nous transmettre et de nous décrire la conscience que Jésus de Nazareth a eu du mystère divin qui l’habitait et qu’il a ressenti et découvert dans les profondeurs de son être. Dans les écrits de Jean, Jésus apparaît comme le premier individu de notre race qui a pris pleinement conscience qu’en lui Dieu se révélait, se manifestait, parlait, se disait, au point qu’il en était comme la Parole devenue «chair». Le Jésus de Jean est l’homme qui a pris conscience d’avoir été comme généré par Dieu, d’en posséder l’Esprit et de pouvoir ainsi se considérer son «fils» et l’appeler « Père!»; et de pouvoir affirmer que lui et le Père ne font qu’un, étant donné que Dieu était en lui et que lui était en Dieu. C’est pour souligner cette unité et cette intimité de Jésus avec Dieu, que l’évangile de Jean attribue à Jésus des caractéristiques presque divines. Le Jésus de Jean nous assure que ce que lui est, tous le sont également; que ce qui se passe en lui, peut également se passer en tous, car son Dieu est aussi notre Dieu; son Père est aussi notre Père. L’Esprit qu’il possède est pareillement donné à tous, agit en tous et tous peuvent s’en abreuver, s’ils sont capables de descendre en eux-mêmes et de puiser à la source divine qui jaillit dans les profondeurs de leur personne.

D'après Jean, Jésus a compris que Dieu n’est pas une Réalité extérieure, mais intérieure à l’homme et que de sa vitalité et de sa richesse celui-ci peut retirer toute l’énergie spirituelle et la lumière dont il a besoin pour se bâtir et pour grandir en tant que personne humaine et fils de Dieu. Ici, Jésus est le premier homme qui a compris et qui a enseigné que la mesure de notre humanité est celle de notre attention et de notre ouverture aux appels du Mystère Divin qui nous habite.

Si Jésus apparaît donc au chrétien moderne comme le lieu d’une manifestation toute particulière du Mystère Originel dans l’Univers, il faut toutefois souligner que tout être humain est également le lieu de l’incarnation de Dieu dans le monde. Le chrétien moderne croit alors que dans le Maître de Nazareth la présence du Mystère Divin a déclenché une réaction, une vibration et une résonance d’une puissance exceptionnelle et unique qui ont fait de lui l’homme parfait qu’il a été. Jésus a été capable de se laisser emporter totalement et sans réserve par le courant d’Énergie Divine qui le possédait. C’est pourquoi en Jésus cette Énergie Divine a accompli des merveilles. De sorte que l’on peut dire, qu’en Jésus, Dieu a produit son plus beau chef-d’œuvre, a pris son plus beau visage et a créé la meilleure réalisation de son incarnation. En Jésus, Dieu a créé, pour ainsi dire, un des modèles les plus accomplis d’humanité dans lequel il a pu se révéler de la façon la plus pleine et la plus complète. Il est l’homme à l’état le plus parfait parce qu’il incarne la présence de Dieu dans l’Univers de la façon la plus parfaite.

Si Dieu, Mystère Originel, est essentiellement Énergie d’Amour qui cherche à se communiquer et à produire dans l’Univers une conscience intelligente capable de se rendre compte et de se laisser affecter par sa présence; si l’humanité est la forme matérielle que le Mystère Originel se donne dans l’Univers,  ne peut-on pas alors en conclure que l’être humain est la forme matérielle que l’Amour se donne pour s’exprimer et pour se diffuser d’une façon consciente dans le Cosmos? Ne peut-on pas dire que dans l’être humain l’amour acquiert une force et une prépondérance tellement grandes qu'il semble n’être là que pour aimer? Et que s’il échoue à cette tâche, il perd autant son humanité que la raison de son existence dans le monde? Ne peut-on pas dire que sans l’Amour, l’humain devient un non-humain et donc un avorton inutile que l’Univers n’hésitera pas à éliminer? Ne peut-on pas affirmer alors que plus intensément nous aimons, plus profondément nous nous encrons en Dieu? Et que plus nous manifestons Dieu dans notre vie, plus parfaitement nous bâtissons notre humanité? Ne peut-on pas en conclure que, par contre, dans la mesure où nous n’aimons pas ou nous aimons mal ou pas assez, nous n’agissons plus selon notre nature et qu’alors nous nous détruisons en tant qu’humains, avec le milieu que nous habitons ? Ne peut on pas dire aussi que c’est en Jésus de Nazareth que Dieu a produit le capteur, le catalyseur, le condensateur le plus puissant de cette Énergie d’Amour et le miroir le plus transparent à travers lequel elle se réfléchit, s’irradie et se diffuse dans notre monde?

Pour le chrétien, c’est en Jésus que l’Amour a laissé la trace la plus profonde, la plus visible et la plus bienfaisante de sa présence. Jésus est le fils de cet Amour (Col. 1,13). Jésus nous fait comprendre non seulement que l’Amour vient de Dieu et qu’il est l’autre nom de Dieu, mais que l’Amour est aussi la raison de la présence des humains dans l’Univers. C’est encore Jean qui, à partir de sa réflexion sur la personne de Jésus, a eu la meilleure intuition et la meilleure intelligence de la fonction de l’Amour dans la vie du Maître et dans la vie de tout être humain. Il écrit : «L’amour vient de Dieu et quiconque aime est né de Dieu et parvient à la connaissance de Dieu. Qui n’aime pas n’a pas découvert Dieu, puisque Dieu est amour. Voici comment s’est manifesté l’amour de Dieu au milieu de nous: Dieu a envoyé son fils dans le monde… Dieu personne ne l’a jamais vu. Mais si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous et son amour atteint en nous sa perfection… Nous avons reconnu et nous avons cru que l’amour de Dieu est parmi nous. Dieu est amour: celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu et Dieu en lui. Ce que nous sommes dans ce monde est à l’image de ce que Jésus est lui-même…» (1 Jn. 4,11-18).

Jésus s'est donné comme mission d’amener ses disciples à découvrir le Dieu-Amour à l’intérieur d’eux-mêmes, afin, qu’à leur tour, ils puissent se laisser entraîner et transporter par Lui et devenir ainsi porteurs et instruments de l’Amour dans le monde. En priant  Dieu pour ses disciples, Jésus lui dit ceci :«Je leur ai fait connaître ton nom, afin que l’Amour dont tu m’as aimé soit aussi en eux» (Jn.17,26). Lorsque Jésus agit, il ne fait que se laisser conduire par le Mystère d’Amour qui l’habite. C’est pour cela que tout ce qu’il fait porte la marque de l’Amour et en est une manifestation. De sorte que l’on peut vraiment affirmer que dans l’Homme de Nazareth l’Amour a pris corps et qu’en lui le Dieu-Amour s’est véritablement incarné dans notre monde.

 Lorsque les chrétiens célèbrent Noel, c'est tout ce magnifique et merveilleux  mystère qu'ils évoquent. 



MB



P.S.:
Dans cette vision des choses, le Mystère Originel est évidemment compris comme une réalité non-personnelle. Mais réalité non-personnelle ne signifie pas impersonnelle. En effet le concept de «personne» est une catégorie de la pensée humaine qui individualise et limite dans le temps et l’espace un être humain donné. Cette catégorie, de toute évidence, ne peut pas être appliquée à Dieu, si on le conçoit comme Énergie d’Amour, comme Source de Vie qui coule et circule dans tout ce qui est vivant et qui, dans l’Univers, atteint la conscience de soi seulement dans l’être humain. Pour moi, humain, cette vie que je possède, je la vis en Dieu et Dieu vit sa vie en moi et par moi. Et cela n’a rien d’impersonnel; au contraire, cela peut constituer l’expérience personnelle la plus exaltante. De sorte que plus je vis ma vie en plénitude, plus Dieu se manifeste dans ma vie et dans le monde. Et lorsque, au soir de mon existence, la matière de mon corps, affaiblie par l’usure du temps, ne sera plus capable de retenir la vie, celle-ci ne s’échappera pas définitivement; mais elle sera seulement réabsorbée pour toujours par la Source d’où elle a coulé et qu’elle a contribué à rendre plus luxuriante. Ma mort sera comme la feuille qui s’est détachée de la branche, non pas pour se perdre dans le vide ou le néant, mais pour se confondre avec le terreau duquel l’arbre continuera à tirer sa vie. Je serai repris dans le Courant ou la Sève de Vie qui a fait surgir l’arbre ainsi que toute la forêt.


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