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mardi 4 février 2014

LA DOCTRINE DU PÉCHÉ DANS LA RELIGION CHRÉTIENNE

LE PÉCHÉ, LA CULPABILITÉ ET LA VIOLENCE DANS LA RELIGION CHRÉTIENNE 
(2014)

La religion chrétienne est basée sur le postulat que l’homme est un être perdu et qu’il doit être sauvé. Cet axiome soutient tout l’enseignement théologique et la doctrine morale de l’Église. Ce qui perd l’homme est son «péché». La notion de péché a toujours suscité en moi beaucoup de questions et de perplexités que je veux ici partager avec vous. Il va sans dire qu’il s’agit là de réactions personnelles et que chacun de vous a le droit à ses propres convictions sur cette question.

Aujourd’hui, au lieu de vous faire une homélie, j’ai envie de m’ouvrir à vous et de partager avec vous comment j’ai personnellement réagi au cours de ma vie face à la doctrine chrétienne du péché.

Je commence par vous faire une confession qui peut-être vous surprendra: je  n’ai jamais aimé Dieu. Par là, j’entends le Dieu de ma religion; le Dieu que l’on m’a fait connaître depuis que j’étais jeune enfant et dès que j’ai commencé à fréquenter l’église; le Dieu que, plus tard, mes éducateurs, sans jamais se démentir, m’ont présenté tout au long de ma formation religieuse: au catéchisme, à l’église, au collège, au séminaire, à l’Université en théologie.

Depuis mon enfance ce Dieu m’a toujours intrigué. Il m’a toujours fait problème. Je me suis toujours demandé pourquoi il était comme ça; pourquoi un Dieu pouvait être comme ça, c’est-à-dire, tel que mes éducateurs me le décrivaient. Je n’ai jamais été capable de l’accepter. J’ai même souhaité qu’il n’existe pas. Il m’a toujours fait peur. Je me demande maintenant si je ne suis pas devenu prêtre à cause d’un désir inconscient de me rendre agréable à ses yeux, de lui plaire, de gagner sa sympathie, sa faveur, son amitié et, pourquoi pas, son amour. Je me souviens que lorsque, jeune enfant de 8 ans tout innocent et tout naïf, je me suis présenté au catéchisme, la première chose que sœur Rosa (notre catéchiste) nous a annoncé c’est qu’elle allait avant tout nous préparer à notre première confession. Car il était très important de commencer le catéchisme avec une bonne réconciliation avec Dieu, en allant tout de suite lui demander pardon pour nos péchés. «Les péchés? C’est quoi ça?». Je me souviens comme si c’était hier de ma réaction. «Oui, tes péchés, mon garçon! Nous sommes tous des pécheurs…!» renchérissait  la sœur. 

Pendant toute la catéchèse sœur Rosa a pris tout son temps pour nous introduire dans les horreurs du péché ainsi que dans la peur de Dieu. Je me souviens que j’ai vécu la période de ma catéchèse sous l’impression que la sœur prenait un plaisir malin à nous surprendre et à nous effrayer avec ses descriptions des dangers et des catastrophes qui menaçaient continuellement notre âme. Elle n’arrêtait pas de nous répéter que le péché nous le portions en dedans de nous, qu’il nous collait à la peau; qu’il faisait partie de nous, de notre nature, que nous étions fondamentalement des  pécheurs, nés dans et avec le péché. Devant nos bouches ouvertes par l’étonnement et nos yeux écarquillés comme des plats par l’horreur, la sœur renchérissait: «Oui les bébés naissent tous avec le péché. Ils paraissent beaux et adorables à l’extérieur, mais au dedans, mes chers amis, quel affreux spectacle! Ils sont pourris par le mal qui les ronge et les contamine. Ils sont comme de petits monstres. Dieu ne réussit ni à les accepter ni à les aimer, tant qu’ils ne sont pas guéris et libérés de ce terrible virus appelé le péché originel par le baptême… et si par hasard un bébé meurt sans le baptême, Dieu refuse de l’accepter dans son paradis». «Mais attention!! - nous disait la sœur dans un souci de faire de nous des chrétiens avertis et  vigilants - le baptême tue le virus du péché originel, mais vous restez toute votre vie des personnes affaiblies par les dégâts qu’il a causé à votre système immunitaire…Ce virus a déposé en vous le goût, l’attrait du péché. Il vous a inoculé le penchant, la tendance, la propension à faire le mal. Il vous a rendu méchants. C’est pour cela  que les humains restent toujours des pécheurs et qu’ils se précipitent vers le mal dès qu’ils en ont  l’occasion, s’ils ne sont pas retenus par la grâce de Dieu et la peur de sa sainte justice…».

J’étais jeune quand la sœur nous tenait ces propos, mais mon petit cerveau fonctionnait à pleines capacités, et je me souviens que je levais souvent la main pour demander des explications: «Ma sœur, mais pourquoi Dieu n’aime pas les bébés? Pourquoi Dieu a besoin d’attendre le jour du baptême pour leur ôter le péché originel ? N’aurait-il pas été beaucoup plus simple s’il avait empêché que les bébés soient contaminés en tout premier lieu?». «Tais-toi, petit je-sais-tout, veux en savoir plus que le bon Dieu?» me répondait agacée la sœur. Oh, que cela m’agaçait, moi aussi, quand elle parlait de Dieu en l’appelant le «bon Dieu», alors qu’il faisait naître les bébés infectés par le péché et refusait de leur donner le paradis, même si ce n’était de leur faute! Je trouvais que notre voisine Dora était bien meilleure et bien plus géniale que Dieu. Elle au moins était pleine d’amour envers son fils Reno, même s’il était né les yeux tous croches et avec une maladie qui le faisait baver tout le temps et l’empêchait de parler comme nous autres. Dora faisait tout pour qu’il soit heureux. C’est pour cela que ça sentait toujours bon dans sa maison. Dora faisait souvent de la pâtisserie appelée «chiacchiere» ou «frappe» que Reno aimait beaucoup et moi aussi. Dora disait toujours: «Mon Reno ne sera jamais un docteur, mais il est le plus fin et le plus beau de tous les enfants!». Pourquoi Dieu ne pouvait-il  pas être  au moins comme Dora ?

Je me souviens que j’avais beaucoup de difficulté à m’imaginer la nature de ce «péché» que Dieu m’avait injecté à ma naissance; qui avait abîmé pour toujours mon âme; avec lequel je me retrouvais sans le vouloir et qui m’avait rendu mauvais et haïssable à ses yeux. Sœur Rosa nous expliquait que les responsables de ce dégât étaient Adam et Ève, nos arrière arrière arrière grands-parents. Ils avaient désobéi à Dieu au tout début du monde, en mangeant une pomme que Dieu voulait toute pour lui, et alors Dieu, pour se venger, avait mis le virus du péché originel dans leur âme et dans l’âme de tous leurs descendants. Maintenant et pour toujours. La sœur nous disait aussi que Dieu, depuis la désobéissance d’Adam et Ève, avait été pendant longtemps fâché contre tous les humains, au point qu’il avait décidé de ne plus faire entrer personne  dans son paradis et qu’il avait même construit l’enfer avec le feu et les démons pour y jeter les plus méchants  pécheurs et les torturer pour l’éternité…».

 Je me souviens que plus la sœur parlait et plus je sentais croître mon animosité et mon dégoût envers ce Dieu qui se mettait en colère pour une niaiserie pareille (qu’est-ce qu’il y avait de si terrible que de manger un pomme, même en cachette !) et qui punissait  avec des châtiments aussi disproportionnés. C’est à ce moment-là que je me suis convaincu que ce Dieu dont on me parlait au catéchisme était un Dieu que jamais je n’aurais pu aimer. Et c’est aussi au catéchisme que, pour la première fois, surgit dans mon esprit d’enfant  le premier doute sur l’existence réelle d’un tel Dieu. La suite de mon éducation religieuse n’a fait  que renforcer cette conviction et augmenter ce doute.

La sœur cherchait à nous rassurer, en nous contant que Dieu n’a cependant pas laissé les choses comme cela. Il a envoyé sur terre son Fils, pour qu’il répare les conséquences du péché. Voilà comme les choses se sont passées. Dieu était en colère envers les humains à cause de leurs péchés. Mais, malheureusement, aucun humain n’était assez important pour demander pardon à Dieu et pour lui offrir des cadeaux dignes de sa grandeur et de sa majesté. Pour que Dieu puisse oublier sa colère et devenir à nouveau amical et bienveillant envers les hommes pécheurs, ça prenait quelqu’un capable de lui offrir en cadeau quelque chose qui lui fasse vraiment plaisir. Mais où trouver une telle personne et un tel cadeau? Dieu alors décida d’envoyer sur terre son Fils en le transformant en homme, pour qu’il lui offre en cadeau sa vie. Sur terre, son Fils devait  payer pour tous; réparer pour tous; demander pardon à Dieu pour tous; intercéder en faveur de tous, en sacrifiant volontairement sa vie sur la croix. En recevant en cadeau la vie de son Fils, Dieu s’est comme ému, sa colère s’est  comme apaisée; il  n’a  plus été en furie envers les humains; il s’est montré prêt à leur pardonner et disposé à les traiter avec plus d’amitié et de sympathie, en ouvrant à nouveau les portes de son paradis. « Voilà pourquoi, nous exhortait la sœur, nous devons être reconnaissants envers Jésus. C’est grâce à lui que Dieu est devenu notre ami !».

Si la sœur pouvait se sentir satisfaite de la tournure des choses, moi, je trouvais le remède plus aberrant que le mal. Cette divinité qui contamine, qui rend les humains méchants; qui monte en colère à cause du péché alors que c’est elle la responsable et la cause du péché; cette divinité sans  amour qui a besoin de tuer et de verser le sang de son fils pour se calmer, n’avait pour moi absolument rien d’un Dieu. Ce Dieu n’était pour moi qu’un monstre sanguinaire, une caricature absurde et blasphématoire de la divinité.   

            «Il faut aimer Dieu», nous disait la sœur, si vous voulez entrer un jour  dans sa maison». Je n’osais pas dire à la sœur que, quant à moi, je ne tenais absolument pas à me retrouver dans la même maison que ce Dieu corrupteur  de bébés, tueur de son fils et inventeur de l’enfer pour y punir et y faire souffrir les pécheurs pour l’éternité…ce que moi, tout pécheur que j’étais, je n’aurais jamais eu ni l’idée ni le cœur de faire subir même au pire de mes ennemis. Quant à l’aimer, cela m’était impossible! Aucune personne normale n’aurait pu aimer un tel Dieu. Je me suis toujours demandé si la sœur qui, elle, nous assurait d’aimer beaucoup le «bon» Dieu, était sincère ou si elle faisait semblant, juste pour nous impressionner. Je suis plus tard arrivé à la conclusion que sœur Rosa ne devait pas être toute là avec sa tête et que, peut-être, étant pas mal âgée, elle ne devait pas se rendre compte des absurdités qu’elle nous racontait. La preuve de cela  je la trouvais dans le fait qu’elle appelait toujours ce monstre de Dieu: le «bon Dieu». Ce qui me faisait sursauter à chaque fois.

L’Église n’a jamais rien fait pour corriger cette image de Dieu et pour propager une meilleure image des humains. Au contraire, on dirait qu’elle a tout mis en œuvre pour entretenir et même augmenter leur culpabilité, en parsemant leur  chemin de pièges  et d’obstacles afin de les rendre encore plus pécheurs. Quel est le but de toute cette panoplie de prohibitions, de commandements, de lois, des préceptes, de normes que l’Église entretient, si ce n’est pour créer artificiellement des occasions supplémentaires de transgressions, de faute de péché? Déjà sœur Rosa nous avertissait au catéchisme que le Diable est toujours à l’œuvre autour de nous et qu’il éprouve un malin plaisir à nous provoquer et à nous attirer vers le mal. Mais l’Église ne faisait-elle pas la même chose?  Je me souviens avec dégoût de ce chapitre sur le diable à mon catéchisme. Je n’en revenais pas que le «bon » Dieu de la sœur puisse pousser sa malveillance envers nous au point de se faire aider par le Diable, afin de nous rendre encore plus mauvais et plus pécheurs. Plus tard, j’ai compris que le diable aurait eu beaucoup moins de jeu s’il y avait eu moins de prohibitions, de lois, de règles fabriquées par l’Église et si l’on faisait plus confiance au bon sens des gens. À un certain moment, j’en étais même arrivé à la conclusion que, finalement, dans ma religion, Dieu, le Diable, l’Église c’était tout du pareil au même; qu’ils appartenaient tous à la même ''gang'' et qu’ils avaient tous conspiré ensemble pour agresser, braquer et perdre l’humanité.

En grandissant, je me suis rendu compte que, dans ma religion, non seulement nous étions des pécheurs depuis la naissance, mais que tout autour de nous était organisé pour que pécheurs nous le devenions toujours davantage. Déjà au catéchisme la sœur s’évertuait à nous énumérer les péchés qui nous guettaient et à nous mettre en garde. Par exemple, c’était un péché manquer au catéchisme, se montrer nonchalant, distrait, parler ou raconter des blagues pendant la classes, rire ou se moquer  de nos professeurs, dire des gros mots, se battre, désobéir, aller au lit sans dire nos prières, chahuter ou parler pendant la messe, manger avant la communion, toucher l’hostie consacrée avec nos dents… et j’en passe. La liste des fautes susceptibles d’enlaidir notre âme candide d’enfant était déjà considérable au temps de mon catéchisme. Mais plus je vieillissais, plus mes éducateurs se chargeaient de l’allonger et de me faire découvrir de nouvelles souches d’infection, de nouvelles sources de culpabilité: péché était alors tout ce qui avait une relation quelconque avec le plaisir, la femme, l’amour et la sexualité. C’est ainsi que je me suis rendu compte que le virus du péché, en contaminant les pulsions les plus profondes et les plus fondamentales de l’homme, venait automatiquement polluer la source la plus importante de son bonheur et envelopper d’une ombre triste et grisâtre toute sa vie.

Bien sûr, tous les péchés n’étaient pas pareils. Il y en avait qui n’étaient pas trop dangereux; cependant, dans le tas, il y en avait quand même beaucoup qui étaient létaux, comme la morsure d’un mamba noir, nous disait sœur Rosa qui, dans son jeune temps, avait été missionnaire en Afrique: par malchance, une piqûre de ce serpent  et zac… tu étais fini, mortellement affecté, l’enfer assuré. La sœur appelait cela le «péché mortel». Je me souviens que moi, qui ai toujours eu une peur folle des serpents, j’ai tout de suite paniqué devant la perspective de rencontrer un  de ces «péchés mortels» sur ma route. Et pour empirer encore plus les choses, sœur Rosa nous assurait qu’il en circulait plus que l’on pensait. Dans ma petite tête d’enfant je me demandais alors, avec angoisse, qui avait bien pu lâcher ''loose'' et mettre en circulation de tels tueurs. La réponse me vint subitement, sûre et claire comme un éclair: le coupable était encore Dieu et les curés qui agissaient sous ses ordres. Pour contribuer à notre sécurité et à notre salut, sœur Rosa avait pris alors la peine de nous initier à la connaissance des plus communs de ces dangers mortels qui nous guettaient. C’était un péché mortel de ne pas aller à la messe le dimanche, manger de la viande le vendredi, sacrer contre Dieu ou la Vierge Marie, se saouler, voler les poires dans le verger du curé, se toucher là et avoir du plaisir, regarder les filles quand elles vont faire pipi…

C’est au catéchisme que j’ai découvert que, non seulement j’étais continuellement en danger de tomber moi même dans le péché, mais que j’étais entouré d’une foule de pécheurs qui vivaient tranquillement dans le péché mortel comme si de rien n’était, au risque, (les irresponsables!) de se faire torturer pour l’éternité. En même temps j’ai réalisé, avec horreur et tristesse, que toutes les personnes que j’aimais le plus au monde, étaient des pécheurs invétérés, donc des individus détestés par Dieu et destinés à brûler dans le feu de l’enfer. Mon père, lorsqu’il était en colère, sacrait comme un bûcheron contre Dieu, Marie et tous les saints; maman n’allait presque jamais à la messe le dimanche; grand-mère mangeait volontiers du poulet le vendredi et grand-père se saoulait régulièrement, au moins une fois par semaine...

Il y avait en outre des mécanismes dans la production du péché dont j’ai toujours eu beaucoup de difficulté à saisir le fonctionnement. Je n’ai jamais compris, par exemple, pourquoi, si un couple fait l’amour une heure avant de se marier, cela constitue un péché mortel, punissable avec des peines éternelle; mais s’il fait l’amour une heure après son mariage, cette même et identique action devient un acte vertueux qui rend gloire à Dieu et procure des mérites pour le paradis. Qu’est-ce qui a bien pu changer dans la nature de leur acte ou dans la nature de leur amour dans un temps aussi bref? Personne n’a jamais pu me l’expliquer.
Aussi, je n’ai jamais compris pourquoi un homme qui divorce de sa femme pour en épouser une autre, d’après l’Église vit en état de concubinage et est considéré un pécheur public. Mais il suffit que sa première femme meure, pour que son état de pécheur public cesse et que le monsieur en question devienne subitement une personne respectable et irréprochable. Qu’est-ce qui a changé dans le comportement du monsieur? Absolument rien. Pourtant, quand sa première femme vivait, il était un pécheur, quand  sa femme meurt, il ne l’est plus et il devient, ipso facto, un homme honnête. Son état de pécheur ne dépendait donc pas de lui, mais de l’existence de sa femme. Qui peut comprendre, qu’il comprenne!

Bref, à un certain moment de ma vie, je suis arrivé à la conclusion que dans ma religion la notion de péché était souvent quelque chose de bien arbitraire qui servait surtout les intérêts des autorités. Je me suis rendu compte que ma religion faisait de Dieu un tyran irascible et vindicatif, de Jésus une victime et de nous tous des coupables incurables, continuellement en quête de miséricorde et de pardon. La religion avait transformé le message du salut de Jésus en l’annonce de notre corruption foncière qui nous affecte et qui affecte toute notre vie sans guérison possible. J’ai réalisé qu’il n’y avait plus aucune «bonne nouvelle» dans la proclamation d’une Dieu fâché, qui a besoin de sacrifier son Fils pour se calmer et pour ne pas céder à l’impulsion de condamner à l’enfer la «massa damnata» que nous étions tous, pour emprunter une expression de Saint Augustin. L’Évangile de Jésus n’était plus l’annonce exaltante d’un amour gratuit qui nous est offert, qui nous accepte tels que nous sommes et qui nous projette dans la vie pleins de joie et de confiance. Dans ma religion la bonne nouvelle de l’Évangile avait été déformée et transformée en l’annonce d’une corruption universelle et d’un «courroux» (cf. Minuit, chrétiens) que Jésus pouvait aider, certes, à neutraliser, mais que nous ne pourrons jamais tout à fait esquiver.

Je me suis demandé alors comment, dans notre société moderne, on jugerait un père qui agirait envers ses fils comme le Dieu de ma religion agissait envers nous. Que dirait-on d’un parent qui ne ferait que s’indigner, crier, gronder, menacer, terroriser ses enfants? Quelle opinion aurait-on d’un père qui rabaisserait continuellement ses enfants en leur criant qu’ils sont méchants, qu’ils sont mauvais, qu’ils sont des pourris depuis leur naissance; qu’ils sont des bons à rien; qu’ils ne sont capables que de bêtises et de mauvais coups? Comment de tels enfants pourraient-ils aimer un tel père? Comment un tel père pourrait-il espérer de se faire aimer par de tels enfants? Comment de tels enfants pourraient-ils affronter la vie avec assurance et sérénité? Ces enfants n’auront certainement qu’un seul désir dans la tête: sacrer leur camp le plus vite possible de la maison pour s’en aller le plus loin possible d’un tyran qu’ils détestent. Ce père n’a rien d’un père. Il est un énergumène irresponsable, un être immoral, un abuseur d’enfants qui devrait être dénoncé, emprisonné et déclaré à tout jamais inapte à élever des enfants.

Il est facile de comprendre que des enfants sortis d’un tel milieu familial et d’une telle éducation ne pourront jamais affronter la vie en personne adultes et indépendantes. Ayant été continuellement écrasés, anéantis et dévalorisés, ils porteront toujours en eux le sentiment de leur médiocrité et de leur inaptitude qui les empêchera de grandir sereinement, de devenir des personnes libres et indépendantes, confiantes en leur potentiel et conscientes de leur valeur. Dans la meilleure des hypothèses, ces enfants resteront des individus dépendants, qui chercheront sans cesse la permission des autres pour entreprendre quoi que ce soit. Ils auront toujours besoin qu’une autorité leur dicte les normes et les règles à suivre pour être sûrs d’être sur le bon chemin, de ne pas se tromper et de ne pas déplaire. Ils seront toujours des mineurs craintifs, épeurés et insécurisés, qui passeront leur temps à chercher à plaire, à se faire accepter, à demander pardon, à s’excuser, à quémander l’approbation et la bonne grâce des autres et surtout de l’autorité, pour se sentir en droit d’exister. Dans la pire et la plus probable des hypothèses, ils deviendront à leur tour des individus violents et des abuseurs d’enfants, en perpétuant ainsi le modèle paternel.

Avec le recul et la réflexion qui vient de l’âge, je réalise maintenant que ma religion ne m’a jamais aidé à bâtir mon aplomb, mon assurance, mon auto-estime, la confiance en moi, la prise de conscience de ma dignité, de ma valeur et de ma grandeur. Au contraire, ma religion a tout fait pour me rabattre, pour me culpabiliser, pour me faire sentir une nullité, pour me pousser à ramper continuellement devant Dieu comme un coupable et un minable qui n’est pas digne des bonnes grâces de son seigneur. 

C’est pour cela que je ne me suis jamais senti vraiment adulte dans mon Église. En elle je n’ai jamais pu prendre des initiatives, exprimer des idées personnelles ou différentes. En elle j’ai toujours dû suivre, répéter, m’adapter à l’enseignement du magistère, me conformer à «la saine orthodoxie»; obéir aux ordres; m’en tenir aux règles; marcher sur des chemins déjà tracés et déterminés à l’avance. Il était strictement défendu de s’éloigner de la «tradition», de renifler ailleurs; de toute façon il n’y avait rien de bon ailleurs. Et c’est seulement ainsi, en obéissant aux lois et en me soumettant aux instances supérieures qui représentent l’autorité de Dieu, que j’étais assuré d’être dans la vérité et de mériter la bienveillance de Dieu et d'obtenir mon salut. Dans le cas contraire, c’était la punition, l’exclusion, la condamnation.

J’ai grandi, j’ai accédé à l’indépendance et à la liberté de l’âge adulte, j’ai retrouvé la confiance en moi, ainsi que la joie de vivre, le jour où j’ai quitté le Dieu de la religion pour adopter le Dieu de Jésus de Nazareth. Mais cela c’est une autre histoire.

Mon éducation chrétienne non seulement m’a transmis une idée inacceptable de Dieu, mais elle m’a aussi délégué une vision négative et pessimiste de la nature humaine. En effet, pour ma religion, je suis foncièrement un pécheur et donc quelqu’un de coupable. Même racheté par le sang du Christ, même pardonné, je reste quelqu'un de fondamentalement mauvais, qui vit sous l’emprise du mal, incliné au mal, faiseur de mal et donc un disgracié toujours dans la nécessité d’invoquer et d’implorer la miséricorde, la pitié, le pardon et la grâce de Dieu pour échapper à la condamnation et pour obtenir le droit de vivre dans une relative tranquillité. Dans les formules des ses rites et de ses prières ma religion se charge de me rappeler continuellement cette «vérité».

Bien sur, l’homme est faible, il est pécheur, il est capable parfois de faire le mal et de commettre des choses horribles; mais est-ce en frappant continuellement sur le clou de sa culpabilité et de sa méchanceté qu’il s’améliorera et que les choses iront mieux ? L’attitude négative de la religion vis-à-vis des humains ne risque-t-elle pas au contraire d’enfoncer davantage dans leur l’esprit la conviction qu’ils n’ont pas le choix d’être ce qu’ils sont et que c’est finalement dans leur nature d’être mauvais? La religion  n'a jamais compris que la culpabilité  fait plus de mal que de bien et  qu'elle  est loin de contribuer à  améliorer  le monde. 

Pour arriver à l’âge adulte dans ma foi j’ai dû non seulement me défaire de la conception de Dieu héritée de la religion chrétienne, mais aussi me poser d’une façon critique face au phénomène de la culpabilité dans mon Église. Je me suis rendu compte que ce phénomène, qui ne semblait inquiéter outre mesure les croyants ordinaires, était loin d’être une expérience anodine, banale ou inoffensive et dont les conséquences se limiteraient tout au plus à une controverse théologique supplémentaire ou à une fréquentation plus ou moins assidue du sacrement de la pénitence. J’ai réalisé que la culpabilité et la culpabilisation dans l’Église, au contraire, ont déterminé et marqué toute l’histoire culturelle, sociale, politique et religieuse de l’Occident. La culpabilité est la cause directe de l’attitude négative, irritée, hargneuse, pessimiste, agressive et finalement violente que l’Institution ecclésiastique a entretenue tout au cours des son histoire vis-à-vis des humains en général et des chrétiens en particulier.

Cela est facilement explicable. Si Dieu est contrarié, vexé par le mal et la faute; si Dieu a en horreur, juge, punit et condamne le transgresseur, le méchant, le «coupable», pourquoi ses représentants sur terre et ses fidèles agiraient-ils différemment? Pourquoi les  «bons» chrétiens ne seraient-ils pas, eux-aussi, aigris et amers envers ceux et celles qui font le mal; qui ne sont pas aussi «bons» qu’eux ; qui n’ont pas les mêmes idées qu’eux et qui ne croient pas aux mêmes «vérités» qu’eux ; qui se rendent «coupables», en transgressant la volonté de Dieu manifestée dans les lois et les directives de la sainte Église? N’est-il pas normal et compréhensible que ceux qui se sentent détestés, détestent? Que ceux qui se sentent coupables, culpabilisent?  Que ceux qui se sentent dénigrés, dénigrent? Que ceux  qui se sentent jugés, jugent? Que ceux qui se sentent condamnés, condamnent? Que ceux qui se sentent punis, punissent? Que ceux qui se sentent corrompus dès avant leur naissance par le mal, voient la corruption du mal partout à l’œuvre dans le monde? Cela explique pourquoi, historiquement, l'Institution chrétienne a fondé sa  foi non pas sur le message d'amour de Jésus ; non pas sur la beauté et la merveille de la présence de Dieu découverte en nous et dans la création, mais sur la présumée corruption et dépravation de la condition humaine.

Cela explique aussi pourquoi l’histoire du christianisme en Occident est en grande partie  l’histoire de la peur, de la suspicion, de la haine religieuse et de la violence. Une violence qui a pris tour à tour les noms d’intolérance, de guerre de religions, de croisades, d’inquisition, de persécutions, d’emprisonnement, de torture, d’exécutions, de chasse aux sorcières, d’excommunication, de prosélytisme forcé, de conquêtes missionnaires …

Aujourd’hui encore cette violence perdure dans l’animosité envers les dissidents et les non-conformes; dans l’hostilité et l’agressivité envers ceux et celles qui sont critiques ou qui ne partagent pas les opinions du magistère; dans le refus de la communion aux divorcés remariés; dans la marginalisation des femmes; dans la diabolisation des homosexuels; dans la condamnation généralisée des utilisateurs des  contraceptifs; dans l’excommunication des femmes qui, les larmes aux yeux et le cœur déchiré, se font avorter…

Les études sociologiques qui ont analysé l’influence des religions dans le monde occidental concordent pour dire que les préjugés culturels qui ont le plus affecté l’Occident, comme  l’esclavage, le racisme, l’antisémitisme, l’homophobie, l’infériorité des femmes ont été (et sont encore) entretenus et cultivés surtout par des personnes religieuses qui lisent la Bible et fréquentent les églises. J’ajouterais que toutes les conquêtes relatives  au respect des droits et libertés inaliénables et fondamentaux des 'hommes et des femmes en Occident (comme la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789; La Déclaration universelle des droits de l'homme adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le10 décembre 1948; la Charte canadienne des droits et libertés, insérée  dans la Constitution Canadienne en 1982 ) sont le fruit de la sécularisation et de la laïcisation des États modernes et ont été possibles grâce à la séparation de l’Église et de l’État.

Avant de terminer cette réflexion, j’aimerais ajouter quelques dernières observations. Il a été souvent question dans cet article de sœur Rosa. Je ne voudrais pas que le lecteur  reste sur une mauvaise impression. Je veux qu’il sache que mon hostilité et mes emportements enfantins envers l’enseignement de sœur Rosa, ainsi que mes préjugés sur son état mental, étaient totalement injustes et infondés. J’ai compris et j’ai appris plus tard, qu’en réalité, sœur Rosa était une croyante exemplaire, une de ces chrétiennes qui croyait dur comme fer, les yeux fermés, sans jamais douter, totalement confiantes dans la vérité de ce que la religion enseigne. Elle était aussi une pédagogue de première qualité, une catéchiste compétente et responsable, qui ne faisait que nous transmettre la pure, la saine et la sainte doctrine catholique, avec l’unique souci d’introduire des jeunes enfants dans la compréhension des dogmes les plus sacrés et les plus essentiels de la foi catholique. Dans son enseignement, sœur Rosa ne mentait en rien, ne déformait rien, n’exagérait rien. Elle était seulement fidèle à la bonne et vielle orthodoxie. Dans son esprit elle ne faisait que nous communiquer la «vérité». Ce que sœur Rosa m’a appris au catéchisme en des mots très simples, c’est ce que, plus tard, en des mots très compliqués, mes professeurs de théologie de l’Université ont continué à m’enseigner. Fondamentalement, le contenu de l’enseignement est toujours resté le même.

Mon séjour dans le catholicisme m’a fait comprendre que les fidèles ne restent pas dans la religion pour chercher et trouver la vérité, mais pour chercher et trouver la  sécurité. Mon expérience au sein de l’Église m’a aussi appris, qu’en général, les membres de la hiérarchie ne sont pas tellement intéressés par la vérité, mais par la reconnaissance de leur l’autorité et de leur pouvoir de la part des fidèles infantilisés et rendus dépendants. Je me suis rendu compte aussi que dans cette religion tout (la doctrine, les rites, les normes et dispositions juridiques, etc.) a été conçu et organisé pour entretenir, fomenter et accroître le sentiment de culpabilité des fidèles. Je suis arrivé à la conclusion que la culpabilisation des fidèles est ce qui garde en vie l’Institution religieuse et que sans la culpabilité la religion  ne survivrait  pas.

J’aimerais pouvoir dire et écrire que la religion chrétienne (et catholique), dans laquelle j’ai été élevé, m’a aidé à être heureux et à affronter l’existence avec confiance autant dans ma valeur que dans la présence d’un Amour qui m’est toujours assuré malgré et au-delà de mes défaillance …malheureusement cela n’a pas été le cas!

Aujourd’hui, si je reste chrétien, et si je suis un homme relativement heureux,  ce n’est pas parce que j’adhère encore à la religion, mais parce qu’un jour j’ai eu la chance de découvrir et d’être fasciné par Jésus de Nazareth. J’ai abandonné sans regrets la religion de mon enfance pour suivre mon nouveau Maître. Maintenant c’est avec lui que je reste.  



BM




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