LE PÉCHÉ, LA CULPABILITÉ ET LA
VIOLENCE DANS LA
RELIGION CHRÉTIENNE
(2014)
La religion
chrétienne est basée sur le postulat que l’homme est un être perdu et qu’il
doit être sauvé. Cet axiome soutient tout l’enseignement théologique et la doctrine morale de l’Église. Ce qui perd l’homme
est son «péché». La notion de péché a
toujours suscité en moi beaucoup de questions et de perplexités que je veux ici
partager avec vous. Il va sans dire qu’il s’agit là de réactions personnelles et
que chacun de vous a le droit à ses propres convictions sur cette question.
Aujourd’hui,
au lieu de vous faire une homélie, j’ai envie de m’ouvrir à vous et de partager
avec vous comment j’ai personnellement réagi au cours de ma vie face à la doctrine
chrétienne du péché.
Je commence
par vous faire une confession qui peut-être vous surprendra: je n’ai jamais aimé Dieu. Par là, j’entends le
Dieu de ma religion; le Dieu que l’on m’a fait connaître depuis que j’étais
jeune enfant et dès que j’ai commencé à fréquenter l’église; le Dieu que, plus
tard, mes éducateurs, sans jamais se démentir, m’ont présenté tout au long de
ma formation religieuse: au catéchisme, à l’église, au collège, au séminaire, à
l’Université en théologie.
Depuis mon
enfance ce Dieu m’a toujours intrigué. Il m’a toujours fait problème. Je me
suis toujours demandé pourquoi il était comme ça; pourquoi un Dieu pouvait être comme ça, c’est-à-dire, tel que mes éducateurs me le décrivaient. Je n’ai
jamais été capable de l’accepter. J’ai même souhaité qu’il n’existe pas. Il m’a
toujours fait peur. Je me demande maintenant si je ne suis pas devenu prêtre à
cause d’un désir inconscient de me rendre agréable à ses yeux, de lui plaire,
de gagner sa sympathie, sa faveur, son amitié et, pourquoi pas, son amour. Je
me souviens que lorsque, jeune enfant de 8 ans tout innocent et tout naïf, je
me suis présenté au catéchisme, la première chose que sœur Rosa (notre catéchiste) nous a annoncé c’est
qu’elle allait avant tout nous préparer à notre première confession. Car il
était très important de commencer le catéchisme avec une bonne réconciliation
avec Dieu, en allant tout de suite lui demander pardon pour nos péchés. «Les
péchés? C’est quoi ça?». Je me souviens
comme si c’était hier de ma réaction. «Oui, tes péchés, mon garçon! Nous sommes
tous des pécheurs…!» renchérissait
la sœur.
Pendant toute la
catéchèse sœur Rosa a pris tout son temps pour nous introduire dans les horreurs du péché ainsi que dans la
peur de Dieu. Je me souviens que j’ai vécu la période de ma catéchèse sous
l’impression que la sœur prenait un plaisir malin à nous surprendre et à nous
effrayer avec ses descriptions des dangers et des catastrophes qui menaçaient
continuellement notre âme. Elle n’arrêtait pas de nous répéter que le péché
nous le portions en dedans de nous, qu’il nous collait à la peau; qu’il faisait
partie de nous, de notre nature, que nous étions fondamentalement des pécheurs, nés dans et avec le péché. Devant
nos bouches ouvertes par l’étonnement et nos yeux écarquillés comme des plats
par l’horreur, la sœur renchérissait: «Oui les bébés naissent tous avec le
péché. Ils paraissent beaux et adorables à l’extérieur, mais au dedans, mes
chers amis, quel affreux spectacle! Ils sont pourris par le mal qui les ronge
et les contamine. Ils sont comme de petits monstres. Dieu ne réussit ni à les
accepter ni à les aimer, tant qu’ils ne sont pas guéris et libérés de ce
terrible virus appelé le péché originel
par le baptême… et si par hasard un bébé meurt sans le baptême, Dieu refuse de
l’accepter dans son paradis». «Mais attention!! - nous disait la sœur dans un
souci de faire de nous des chrétiens avertis et
vigilants - le baptême tue le virus du péché originel, mais vous restez
toute votre vie des personnes affaiblies par les dégâts qu’il a causé à votre
système immunitaire…Ce virus a déposé en vous le goût, l’attrait du péché. Il
vous a inoculé le penchant, la tendance, la propension à faire le mal. Il vous
a rendu méchants. C’est pour cela que
les humains restent toujours des pécheurs et qu’ils se précipitent vers le mal
dès qu’ils en ont l’occasion, s’ils ne
sont pas retenus par la grâce de Dieu et la peur de sa sainte justice…».
J’étais jeune
quand la sœur nous tenait ces propos, mais mon petit cerveau fonctionnait à
pleines capacités, et je me souviens que je levais souvent la main pour
demander des explications: «Ma sœur, mais pourquoi Dieu n’aime pas les bébés?
Pourquoi Dieu a besoin d’attendre le jour du baptême pour leur ôter le péché
originel ? N’aurait-il pas été beaucoup plus simple s’il avait empêché que les
bébés soient contaminés en tout premier lieu?». «Tais-toi, petit je-sais-tout,
veux en savoir plus que le bon Dieu?» me
répondait agacée la sœur. Oh, que cela m’agaçait, moi aussi, quand elle parlait
de Dieu en l’appelant le «bon Dieu», alors qu’il faisait naître les bébés infectés
par le péché et refusait de leur donner le paradis, même si ce n’était de leur
faute! Je trouvais que notre voisine Dora était bien meilleure et bien plus géniale
que Dieu. Elle au moins était pleine d’amour envers son fils Reno, même s’il était
né les yeux tous croches et avec une maladie qui le faisait baver tout le temps
et l’empêchait de parler comme nous autres. Dora faisait tout pour qu’il soit heureux.
C’est pour cela que ça sentait toujours bon dans sa maison. Dora faisait souvent
de la pâtisserie appelée «chiacchiere» ou «frappe» que Reno aimait beaucoup et
moi aussi. Dora disait toujours: «Mon Reno ne sera jamais un docteur, mais il
est le plus fin et le plus beau de tous les enfants!». Pourquoi Dieu ne pouvait-il
pas être au moins comme Dora ?
Je me souviens
que j’avais beaucoup de difficulté à m’imaginer la nature de ce «péché» que
Dieu m’avait injecté à ma naissance; qui avait abîmé pour toujours mon âme;
avec lequel je me retrouvais sans le vouloir et qui m’avait rendu mauvais et
haïssable à ses yeux. Sœur Rosa nous expliquait que les responsables de
ce dégât étaient Adam et Ève, nos arrière arrière arrière grands-parents. Ils
avaient désobéi à Dieu au tout début du monde, en mangeant une pomme que Dieu
voulait toute pour lui, et alors Dieu,
pour se venger, avait mis le virus du péché originel dans leur âme et dans
l’âme de tous leurs descendants. Maintenant et pour toujours. La sœur nous
disait aussi que Dieu, depuis la désobéissance d’Adam et Ève, avait été pendant
longtemps fâché contre tous les humains, au point qu’il avait décidé de ne plus faire entrer personne dans son paradis et qu’il avait même
construit l’enfer avec le feu et les
démons pour y jeter les plus
méchants pécheurs et les torturer pour l’éternité…».
Je me souviens que plus la sœur parlait et
plus je sentais croître mon animosité et mon dégoût envers ce Dieu qui se mettait en colère pour une niaiserie
pareille (qu’est-ce qu’il y avait de si terrible que de manger un pomme, même
en cachette !) et qui punissait avec des
châtiments aussi disproportionnés. C’est à ce moment-là que je me suis
convaincu que ce Dieu dont on me parlait au catéchisme était un Dieu que jamais
je n’aurais pu aimer. Et c’est aussi au catéchisme que, pour la première fois,
surgit dans mon esprit d’enfant le
premier doute sur l’existence réelle d’un tel Dieu. La suite de mon éducation
religieuse n’a fait que renforcer cette conviction
et augmenter ce doute.
La sœur
cherchait à nous rassurer, en nous contant que Dieu n’a cependant pas laissé
les choses comme cela. Il a envoyé sur terre son Fils, pour qu’il répare les
conséquences du péché. Voilà comme les choses se sont passées. Dieu était en
colère envers les humains à cause de leurs péchés. Mais, malheureusement, aucun humain n’était assez important pour demander pardon à Dieu et pour lui offrir des
cadeaux dignes de sa grandeur et de sa majesté. Pour que Dieu puisse oublier sa
colère et devenir à nouveau amical et bienveillant envers les hommes pécheurs,
ça prenait quelqu’un capable de lui offrir en cadeau quelque chose qui lui
fasse vraiment plaisir. Mais où trouver une telle personne et un tel cadeau? Dieu
alors décida d’envoyer sur terre son Fils en le transformant en homme, pour
qu’il lui offre en cadeau sa vie. Sur terre, son Fils devait payer pour tous; réparer pour tous; demander
pardon à Dieu pour tous; intercéder en faveur de tous, en sacrifiant volontairement
sa vie sur la croix. En recevant en cadeau la vie de son Fils, Dieu s’est comme
ému, sa colère s’est comme apaisée; il n’a
plus été en furie envers les humains; il s’est montré prêt à leur pardonner
et disposé à les traiter avec plus d’amitié et de sympathie, en ouvrant à
nouveau les portes de son paradis. « Voilà pourquoi, nous exhortait la
sœur, nous devons être reconnaissants envers Jésus. C’est grâce à lui que Dieu
est devenu notre ami !».
Si la sœur
pouvait se sentir satisfaite de la tournure des choses, moi, je trouvais le
remède plus aberrant que le mal. Cette divinité qui contamine, qui rend les
humains méchants; qui monte en colère à cause du péché alors que c’est elle la
responsable et la cause du péché; cette divinité sans amour qui a besoin de tuer et de verser le
sang de son fils pour se calmer, n’avait pour moi absolument rien d’un Dieu. Ce Dieu n’était pour moi qu’un monstre sanguinaire, une caricature absurde et
blasphématoire de la divinité.
«Il
faut aimer Dieu», nous disait la sœur, si vous voulez entrer un jour dans sa maison». Je n’osais pas dire à la
sœur que, quant à moi, je ne tenais absolument pas à me retrouver dans la même
maison que ce Dieu corrupteur de bébés,
tueur de son fils et inventeur de l’enfer pour y punir et y faire souffrir les
pécheurs pour l’éternité…ce que moi, tout pécheur que j’étais, je n’aurais
jamais eu ni l’idée ni le cœur de faire subir même au pire de mes ennemis. Quant
à l’aimer, cela m’était impossible! Aucune personne normale n’aurait pu aimer
un tel Dieu. Je me suis toujours demandé si la sœur qui, elle, nous assurait
d’aimer beaucoup le «bon» Dieu, était sincère ou si elle faisait semblant,
juste pour nous impressionner. Je suis plus tard arrivé à la conclusion que
sœur Rosa ne devait pas être toute là avec sa tête et que, peut-être, étant pas
mal âgée, elle ne devait pas se rendre compte des absurdités qu’elle nous racontait. La preuve de cela je la trouvais dans le fait qu’elle appelait
toujours ce monstre de Dieu: le «bon Dieu». Ce qui me faisait sursauter à chaque
fois.
L’Église n’a
jamais rien fait pour corriger cette image de Dieu et pour propager une
meilleure image des humains. Au contraire, on dirait qu’elle a tout mis en œuvre
pour entretenir et même augmenter leur culpabilité, en parsemant leur chemin de pièges et d’obstacles afin de les rendre encore plus
pécheurs. Quel est le but de toute cette panoplie de prohibitions, de
commandements, de lois, des préceptes, de normes que l’Église entretient, si ce
n’est pour créer artificiellement des occasions supplémentaires de
transgressions, de faute de péché? Déjà sœur Rosa nous avertissait au
catéchisme que le Diable est toujours à l’œuvre autour de nous et qu’il éprouve
un malin plaisir à nous provoquer et à nous attirer vers le mal. Mais l’Église ne
faisait-elle pas la même chose? Je me
souviens avec dégoût de ce chapitre sur le diable à mon catéchisme. Je n’en
revenais pas que le «bon » Dieu de la sœur puisse pousser sa malveillance
envers nous au point de se faire aider par le Diable, afin de nous rendre
encore plus mauvais et plus pécheurs. Plus tard, j’ai compris que le diable
aurait eu beaucoup moins de jeu s’il y avait eu moins de prohibitions, de lois, de
règles fabriquées par l’Église et si l’on faisait plus confiance au bon sens
des gens. À un certain moment, j’en étais même arrivé à la conclusion que,
finalement, dans ma religion, Dieu, le Diable, l’Église c’était tout du pareil
au même; qu’ils appartenaient tous à la même ''gang'' et qu’ils avaient tous
conspiré ensemble pour agresser, braquer et perdre l’humanité.
En
grandissant, je me suis rendu compte que, dans ma religion, non seulement
nous étions des pécheurs depuis la naissance, mais que tout autour de nous
était organisé pour que pécheurs nous le devenions toujours davantage. Déjà au
catéchisme la sœur s’évertuait à nous énumérer les péchés qui nous guettaient
et à nous mettre en garde. Par exemple, c’était un péché manquer au catéchisme,
se montrer nonchalant, distrait, parler ou raconter des blagues pendant la
classes, rire ou se moquer de nos
professeurs, dire des gros mots, se battre, désobéir, aller au lit sans dire
nos prières, chahuter ou parler pendant la messe, manger avant la communion,
toucher l’hostie consacrée avec nos dents… et j’en passe. La liste des fautes
susceptibles d’enlaidir notre âme candide d’enfant était déjà considérable au
temps de mon catéchisme. Mais plus je vieillissais, plus mes éducateurs se
chargeaient de l’allonger et de me faire découvrir de nouvelles souches
d’infection, de nouvelles sources de culpabilité: péché était alors tout ce qui
avait une relation quelconque avec le plaisir, la femme, l’amour et la
sexualité. C’est ainsi que je me suis rendu compte que le virus du péché, en
contaminant les pulsions les plus profondes et les plus fondamentales de
l’homme, venait automatiquement polluer la source la plus importante de son
bonheur et envelopper d’une ombre triste et grisâtre toute sa vie.
Bien sûr, tous
les péchés n’étaient pas pareils. Il y en avait qui n’étaient pas trop
dangereux; cependant, dans le tas, il y en avait quand même beaucoup qui
étaient létaux, comme la morsure d’un mamba noir, nous disait sœur Rosa qui,
dans son jeune temps, avait été missionnaire en Afrique: par malchance, une piqûre de ce serpent et zac… tu étais
fini, mortellement affecté, l’enfer assuré. La sœur appelait cela le «péché
mortel». Je me souviens que moi, qui ai toujours eu une peur folle des
serpents, j’ai tout de suite paniqué devant la perspective de rencontrer
un de ces «péchés mortels» sur ma route.
Et pour empirer encore plus les choses, sœur Rosa nous assurait qu’il en
circulait plus que l’on pensait. Dans ma petite tête d’enfant je me demandais
alors, avec angoisse, qui avait bien pu lâcher ''loose'' et mettre en
circulation de tels tueurs. La réponse me vint subitement, sûre et claire comme
un éclair: le coupable était encore Dieu et les curés qui agissaient sous ses
ordres. Pour contribuer à notre sécurité et à notre salut, sœur Rosa avait pris
alors la peine de nous initier à la connaissance des plus communs de ces
dangers mortels qui nous guettaient. C’était un péché mortel de ne pas aller à
la messe le dimanche, manger de la viande le vendredi, sacrer contre Dieu ou la Vierge Marie, se saouler, voler
les poires dans le verger du curé, se toucher là et avoir du plaisir, regarder
les filles quand elles vont faire pipi…
C’est au
catéchisme que j’ai découvert que, non seulement j’étais continuellement en
danger de tomber moi même dans le péché, mais que j’étais entouré d’une foule
de pécheurs qui vivaient tranquillement dans le péché mortel comme si de rien
n’était, au risque, (les irresponsables!) de se faire torturer pour l’éternité.
En même temps j’ai réalisé, avec horreur et tristesse, que toutes les personnes
que j’aimais le plus au monde, étaient des pécheurs invétérés, donc des individus
détestés par Dieu et destinés à brûler dans le feu de l’enfer. Mon père,
lorsqu’il était en colère, sacrait comme un bûcheron contre Dieu, Marie et tous
les saints; maman n’allait presque jamais à la messe le dimanche; grand-mère
mangeait volontiers du poulet le vendredi et grand-père se saoulait
régulièrement, au moins une fois par semaine...
Il y avait en
outre des mécanismes dans la production du péché dont j’ai toujours eu beaucoup
de difficulté à saisir le fonctionnement. Je n’ai jamais compris, par exemple,
pourquoi, si un couple fait l’amour une heure avant de se marier, cela
constitue un péché mortel, punissable avec des peines éternelle; mais s’il fait
l’amour une heure après son mariage, cette même et identique action devient un
acte vertueux qui rend gloire à Dieu et procure des mérites pour le paradis.
Qu’est-ce qui a bien pu changer dans la nature de leur acte ou dans la nature
de leur amour dans un temps aussi bref? Personne n’a jamais pu me l’expliquer.
Aussi, je n’ai jamais compris pourquoi
un homme qui divorce de sa femme pour en épouser une autre, d’après l’Église vit en état de concubinage et est considéré un pécheur public. Mais il suffit
que sa première femme meure, pour que son état de pécheur public cesse et que
le monsieur en question devienne subitement une personne respectable et
irréprochable. Qu’est-ce qui a changé dans le comportement du monsieur? Absolument
rien. Pourtant, quand sa première femme vivait, il était un pécheur, quand sa
femme meurt, il ne l’est plus et il devient, ipso facto, un homme honnête. Son
état de pécheur ne dépendait donc pas de lui, mais de l’existence de sa femme.
Qui peut comprendre, qu’il comprenne!
Bref, à un
certain moment de ma vie, je suis arrivé à la conclusion que dans ma religion la
notion de péché était souvent quelque chose de bien arbitraire qui servait
surtout les intérêts des autorités. Je me suis rendu compte que ma religion
faisait de Dieu un tyran irascible et vindicatif, de Jésus une victime et de
nous tous des coupables incurables, continuellement en quête de miséricorde et
de pardon. La religion avait transformé le message du salut de Jésus en
l’annonce de notre corruption foncière qui nous affecte et qui affecte toute
notre vie sans guérison possible. J’ai réalisé qu’il n’y avait plus aucune
«bonne nouvelle» dans la proclamation d’une Dieu fâché, qui a besoin de
sacrifier son Fils pour se calmer et pour ne pas céder à l’impulsion de
condamner à l’enfer la «massa damnata»
que nous étions tous, pour emprunter une expression de Saint Augustin. L’Évangile
de Jésus n’était plus l’annonce exaltante d’un amour gratuit qui nous est
offert, qui nous accepte tels que nous sommes et qui nous projette dans la vie
pleins de joie et de confiance. Dans ma religion la bonne nouvelle de
l’Évangile avait été déformée et transformée en l’annonce d’une corruption universelle
et d’un «courroux» (cf. Minuit, chrétiens)
que Jésus pouvait aider, certes, à neutraliser, mais que nous ne pourrons
jamais tout à fait esquiver.
Je me suis
demandé alors comment, dans notre société moderne, on jugerait un père qui
agirait envers ses fils comme le Dieu de ma religion agissait envers nous. Que
dirait-on d’un parent qui ne ferait que s’indigner, crier, gronder, menacer,
terroriser ses enfants? Quelle opinion aurait-on d’un père qui rabaisserait continuellement
ses enfants en leur criant qu’ils sont méchants, qu’ils sont mauvais, qu’ils
sont des pourris depuis leur naissance; qu’ils sont des bons à rien; qu’ils ne sont
capables que de bêtises et de mauvais coups? Comment de tels enfants
pourraient-ils aimer un tel père? Comment un tel père pourrait-il espérer de se
faire aimer par de tels enfants? Comment de tels enfants pourraient-ils affronter
la vie avec assurance et sérénité? Ces enfants n’auront certainement qu’un seul
désir dans la tête: sacrer leur camp le plus vite possible de la maison pour
s’en aller le plus loin possible d’un tyran qu’ils détestent. Ce père n’a rien
d’un père. Il est un énergumène irresponsable, un être immoral, un abuseur
d’enfants qui devrait être dénoncé, emprisonné et déclaré à tout jamais inapte
à élever des enfants.
Il est facile
de comprendre que des enfants sortis d’un tel milieu familial et d’une telle
éducation ne pourront jamais affronter la vie en personne adultes et
indépendantes. Ayant été continuellement écrasés, anéantis et dévalorisés, ils
porteront toujours en eux le sentiment de leur médiocrité et de leur inaptitude
qui les empêchera de grandir sereinement, de devenir des personnes libres et
indépendantes, confiantes en leur potentiel et conscientes de leur valeur. Dans
la meilleure des hypothèses, ces enfants resteront des individus dépendants,
qui chercheront sans cesse la permission des autres pour entreprendre quoi que
ce soit. Ils auront toujours besoin qu’une autorité leur dicte les normes et les
règles à suivre pour être sûrs d’être sur le bon chemin, de ne pas se tromper et
de ne pas déplaire. Ils seront toujours des mineurs craintifs, épeurés et
insécurisés, qui passeront leur temps à chercher à plaire, à se faire accepter,
à demander pardon, à s’excuser, à quémander l’approbation et la bonne grâce des
autres et surtout de l’autorité, pour se sentir en droit d’exister. Dans la
pire et la plus probable des hypothèses, ils deviendront à leur tour des
individus violents et des abuseurs d’enfants, en perpétuant ainsi le modèle
paternel.
Avec le recul
et la réflexion qui vient de l’âge, je réalise maintenant que ma religion ne
m’a jamais aidé à bâtir mon aplomb, mon assurance, mon auto-estime, la
confiance en moi, la prise de conscience de ma dignité, de ma valeur et de ma
grandeur. Au contraire, ma religion a tout fait pour me rabattre, pour me
culpabiliser, pour me faire sentir une nullité, pour me pousser à ramper
continuellement devant Dieu comme un coupable et un minable qui n’est pas digne
des bonnes grâces de son seigneur.
C’est pour
cela que je ne me suis jamais senti vraiment adulte dans mon Église. En elle je
n’ai jamais pu prendre des initiatives, exprimer des idées personnelles ou différentes.
En elle j’ai toujours dû suivre, répéter, m’adapter à l’enseignement du
magistère, me conformer à «la saine orthodoxie»; obéir aux ordres; m’en tenir
aux règles; marcher sur des chemins déjà tracés et déterminés à l’avance. Il
était strictement défendu de s’éloigner de la «tradition», de renifler ailleurs;
de toute façon il n’y avait rien de bon ailleurs. Et c’est seulement ainsi, en
obéissant aux lois et en me soumettant aux instances supérieures qui
représentent l’autorité de Dieu, que j’étais assuré d’être dans la vérité et de
mériter la bienveillance de Dieu et d'obtenir mon salut. Dans le cas contraire,
c’était la punition, l’exclusion, la condamnation.
J’ai grandi,
j’ai accédé à l’indépendance et à la liberté de l’âge adulte, j’ai retrouvé la
confiance en moi, ainsi que la joie de vivre, le jour où j’ai quitté le Dieu de
la religion pour adopter le Dieu de Jésus de Nazareth. Mais cela c’est une
autre histoire.
Mon éducation
chrétienne non seulement m’a transmis une idée inacceptable de Dieu, mais elle
m’a aussi délégué une vision négative et pessimiste de la nature humaine. En
effet, pour ma religion, je suis foncièrement un pécheur et donc quelqu’un de coupable. Même racheté par le sang du
Christ, même pardonné, je reste quelqu'un de fondamentalement mauvais, qui vit
sous l’emprise du mal, incliné au mal, faiseur de mal et donc un disgracié
toujours dans la nécessité d’invoquer et d’implorer la miséricorde, la pitié,
le pardon et la grâce de Dieu pour échapper à la condamnation et pour obtenir
le droit de vivre dans une relative tranquillité. Dans les formules des ses
rites et de ses prières ma religion se charge de me rappeler continuellement
cette «vérité».
Bien sur,
l’homme est faible, il est pécheur, il est capable parfois de faire le mal et
de commettre des choses horribles; mais est-ce en frappant continuellement sur
le clou de sa culpabilité et de sa méchanceté qu’il s’améliorera et que les
choses iront mieux ? L’attitude négative de la religion vis-à-vis des humains
ne risque-t-elle pas au contraire d’enfoncer davantage dans leur l’esprit la conviction
qu’ils n’ont pas le choix d’être ce qu’ils sont et que c’est finalement dans
leur nature d’être mauvais? La religion n'a jamais compris que la culpabilité fait plus de mal que de bien et qu'elle est loin de contribuer à améliorer le monde.
Pour arriver à
l’âge adulte dans ma foi j’ai dû non seulement me défaire de la conception de
Dieu héritée de la religion chrétienne, mais aussi me poser d’une façon
critique face au phénomène de la culpabilité dans mon Église. Je me suis rendu
compte que ce phénomène, qui ne semblait inquiéter outre mesure les croyants
ordinaires, était loin d’être une expérience anodine, banale ou inoffensive et
dont les conséquences se limiteraient tout au plus à une controverse
théologique supplémentaire ou à une fréquentation plus ou moins assidue du
sacrement de la pénitence. J’ai réalisé que la culpabilité et la
culpabilisation dans l’Église, au contraire, ont déterminé et marqué toute
l’histoire culturelle, sociale, politique et religieuse de l’Occident. La
culpabilité est la cause directe de l’attitude négative, irritée, hargneuse,
pessimiste, agressive et finalement violente que l’Institution ecclésiastique a
entretenue tout au cours des son histoire vis-à-vis des humains en général et
des chrétiens en particulier.
Cela est
facilement explicable. Si Dieu est contrarié, vexé par le mal et la faute; si
Dieu a en horreur, juge, punit et condamne le transgresseur, le méchant, le «coupable»,
pourquoi ses représentants sur terre et ses fidèles agiraient-ils différemment?
Pourquoi les «bons» chrétiens ne
seraient-ils pas, eux-aussi, aigris et amers envers ceux et celles qui font le
mal; qui ne sont pas aussi «bons» qu’eux ; qui n’ont pas les mêmes idées qu’eux
et qui ne croient pas aux mêmes «vérités» qu’eux ; qui se rendent «coupables»,
en transgressant la volonté de Dieu manifestée dans les lois et les directives
de la sainte Église? N’est-il pas normal et compréhensible que ceux qui se
sentent détestés, détestent? Que ceux qui se sentent coupables, culpabilisent? Que ceux qui se sentent dénigrés, dénigrent? Que ceux qui se sentent jugés, jugent? Que ceux qui se
sentent condamnés, condamnent? Que ceux qui se sentent punis, punissent? Que
ceux qui se sentent corrompus dès avant leur naissance par le mal, voient la
corruption du mal partout à l’œuvre dans le monde? Cela explique pourquoi,
historiquement, l'Institution chrétienne a fondé sa foi non pas sur le message d'amour de Jésus ; non pas sur la beauté et la
merveille de la présence de Dieu découverte en nous et dans la création, mais
sur la présumée corruption et dépravation de la condition humaine.
Cela explique
aussi pourquoi l’histoire du christianisme en Occident est en grande partie l’histoire de la
peur, de la suspicion, de la haine religieuse et de la violence. Une violence
qui a pris tour à tour les noms d’intolérance, de guerre de religions, de
croisades, d’inquisition, de persécutions, d’emprisonnement, de torture,
d’exécutions, de chasse aux sorcières, d’excommunication, de prosélytisme
forcé, de conquêtes missionnaires …
Aujourd’hui encore cette violence perdure dans l’animosité envers les dissidents et les
non-conformes; dans l’hostilité et l’agressivité envers ceux et celles qui sont
critiques ou qui ne partagent pas les opinions du magistère; dans le refus de
la communion aux divorcés remariés; dans la marginalisation des femmes; dans la
diabolisation des homosexuels; dans la condamnation généralisée des utilisateurs
des contraceptifs; dans
l’excommunication des femmes qui, les larmes aux yeux et le cœur déchiré, se
font avorter…
Les études
sociologiques qui ont analysé l’influence des religions dans le monde
occidental concordent pour dire que les préjugés culturels qui ont le plus
affecté l’Occident, comme l’esclavage, le racisme, l’antisémitisme, l’homophobie,
l’infériorité des femmes ont été (et sont encore) entretenus et cultivés
surtout par des personnes religieuses qui lisent la Bible et fréquentent les églises. J’ajouterais que
toutes les conquêtes relatives au respect des droits et libertés
inaliénables et fondamentaux des 'hommes et des femmes en Occident (comme
la Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen de 1789; La Déclaration universelle des droits de l'homme adoptée
par l’Assemblée
générale des Nations Unies le10
décembre
1948; la Charte canadienne des droits et libertés,
insérée dans la Constitution Canadienne
en 1982 ) sont le fruit de la sécularisation
et de la laïcisation des États modernes et ont été possibles grâce à la séparation
de l’Église et de l’État.
Avant de
terminer cette réflexion, j’aimerais ajouter quelques dernières observations.
Il a été souvent question dans cet article de sœur Rosa. Je ne voudrais pas que
le lecteur reste sur une mauvaise
impression. Je veux qu’il sache que mon hostilité et mes emportements enfantins
envers l’enseignement de sœur Rosa, ainsi que mes préjugés sur son état mental,
étaient totalement injustes et infondés. J’ai compris et j’ai appris plus tard,
qu’en réalité, sœur Rosa était une croyante exemplaire, une de ces chrétiennes
qui croyait dur comme fer, les yeux fermés, sans jamais douter, totalement
confiantes dans la vérité de ce que la religion enseigne. Elle était aussi une
pédagogue de première qualité, une catéchiste compétente et responsable, qui ne
faisait que nous transmettre la pure, la saine et la sainte doctrine
catholique, avec l’unique souci d’introduire des jeunes enfants dans la
compréhension des dogmes les plus sacrés et les plus essentiels de la foi catholique.
Dans son enseignement, sœur Rosa ne mentait en rien, ne déformait rien,
n’exagérait rien. Elle était seulement fidèle à la bonne et vielle orthodoxie.
Dans son esprit elle ne faisait que nous communiquer la «vérité». Ce que sœur
Rosa m’a appris au catéchisme en des mots très simples, c’est ce que, plus
tard, en des mots très compliqués, mes professeurs de théologie de l’Université
ont continué à m’enseigner. Fondamentalement, le contenu de l’enseignement est
toujours resté le même.
Mon séjour dans
le catholicisme m’a fait comprendre que les fidèles ne restent pas dans la
religion pour chercher et trouver la vérité, mais pour chercher et trouver
la sécurité. Mon expérience au sein de l’Église
m’a aussi appris, qu’en général, les membres de la hiérarchie ne sont pas
tellement intéressés par la vérité, mais par la reconnaissance de leur l’autorité
et de leur pouvoir de la part des fidèles infantilisés et rendus dépendants. Je
me suis rendu compte aussi que dans cette religion tout (la doctrine, les
rites, les normes et dispositions juridiques, etc.) a été conçu et organisé pour
entretenir, fomenter et accroître le sentiment de culpabilité des fidèles. Je
suis arrivé à la conclusion que la culpabilisation des fidèles est ce qui garde
en vie l’Institution religieuse et que sans la culpabilité la religion ne survivrait pas.
J’aimerais
pouvoir dire et écrire que la religion chrétienne (et catholique), dans
laquelle j’ai été élevé, m’a aidé à être heureux et à affronter l’existence
avec confiance autant dans ma valeur que dans la présence d’un Amour qui m’est
toujours assuré malgré et au-delà de mes défaillance …malheureusement cela n’a
pas été le cas!
Aujourd’hui,
si je reste chrétien, et si je suis un homme relativement heureux, ce n’est pas parce que j’adhère encore à la religion, mais parce qu’un jour j’ai eu la chance de découvrir et d’être fasciné par
Jésus de Nazareth. J’ai abandonné sans regrets la religion de mon enfance pour suivre
mon nouveau Maître. Maintenant c’est
avec lui que je reste.
BM
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