LES PAUVRES QUI SONT A NOTRE PORTE
(Luc, 16, 19-31)
Un lecteur superficiel pourrait interpréter cette parabole comme si elle voulait
tout simplement enseigner que les riches
vont en enfer et que les pauvres vont au paradis et qu’ainsi la justice divine est finalement rétablie. Interprétée de cette façon, la
parabole serait une invitation adressée aux pauvres à endurer leur indigence et leurs malheurs en ce monde parce que, dans
l’autre, ils auront un jour leur récompense. La parabole serait donc un appel aux pauvres à se résigner à leur
sort, à accepter patiemment leur situation, puisqu’il est normal que dans ce
monde il y ait des gens plus futés qui s’enrichissent et des gens moins doués qui ne réussissent
pas à sortir de leur indigence.
Je pense, cependant, que le sens de la parabole est beaucoup plus profond.
Le Maître en racontant cette parabole n’a aucunement l’intention de cautionner
la pauvreté et l’exploitation d’une grande partie des habitants de la terre par
une minorité de riches et de puissants. Il veut, au contraire, nous faire
comprendre ce qui va arriver à ceux qui,
par commodité, par égoïsme ou par intérêt, vivent en faisant semblant de ne pas voir la laideur de la misère et de la
souffrance qui frappent une grande partie du genre humain. Cet évangile, en effet,
ne parle pas de l'au-delà, mais de l'ici-bas. Il dit ce qui va nous arriver
dans cette vie si nous vivons comme des riches insensibles au respect de la terre
et fermés aux besoins du prochain.
La parabole
présente deux personnages: le riche et le pauvre. L'homme riche a tout; le
pauvre n’a rien. La seule chose que le
pauvre possède c’est son nom. Le riche,
par contre, n’a pas de nom. Chose symptomatique, dans l’évangile de Luc, les riches n’ont jamais de nom (12,13-21
; 16:19-31 ; 18:18-23).Or, dans la
Bible , le nom indique le destin ou la mission d'une
personne. Il indique la nature de sa vie, les caractéristiques fondamentales de
sa personnalité. Lazare s’appelle «Dieu aide» (El ‘azar) parce que tout au
long de sa vie il aura besoin de quelqu'un pour l'aider. Il aura besoin que
Dieu prenne soin de lui et le sauve de
sa condition de misère.
Le riche n’a pas de nom, parce que
lui, Dieu ne l'aide pas. Dieu ne l’aide pas tout simplement parce qu’il ne ressent pas le besoin d’être aidé. Il n’a besoin de personne. Il a l’argent. Il a tout. Il a déjà son dieu.
L'homme riche n'a pas de nom pour signifier que, malgré sa richesse, il n'est
rien, ni personne. Car tu es une personne lorsque tu es un être de relations ; lorsque les autres comptent pour toi et que tu
comptes pour les autres; lorsque tu as besoin des autres pour construire ton bonheur et que les autres ont besoin de toi pour bâtir le leur. Tu es une personne quand tu
vis en harmonie avec le monde autour de toi
et quand tu vibres en syntonie et que tu
communiques par l’esprit et surtout par le cœur sur les ondes de la
compréhension, de l’attention, de l’intérêt, de l'empathie, de la sympathie, de la compassion, de
l’admiration, de l'émerveillement, du désir d'aider, de partager, d'aimer. Tu
n’es plus humain si tu vis déconnecté des autres ; si tu te recroquevilles
sur toi-même; si tu ne t’intéresses qu’à toi et qu’au petit monde que tu as
édifié en fonction de toi. En te coupant de tes frères humains, tu te sépares de
la source de ton humanité. Tu deviendras alors inévitablement «inhumain» et par
conséquent sourd et indifférent aux cris des pauvres et des malheureux qui se pressent de toute part aux portes de ta maison.
L'homme riche ne se rend pas compte du Lazare à sa porte qui mendie son attention et qui crie sa détresse. C’est
en cela que consiste le drame, la faute et la réprobation du riche: ne pas
voir, ne pas remarquer. L'homme riche n'est pas condamné pour sa richesse, mais
pour son indifférence totale envers le pauvre Lazare. C'est fondamentalement sur ce point que la parabole veut attirer l’attention.
Vous remarquerez que dans la parabole, le riche n’est pas décrit comme un homme méchant. Il ne
fait rien de mal; il n'insulte pas le pauvre; il ne le maltraite pas ; il
n’est ni agressif, ni oppressif envers lui. Il ne le voit tout simplement pas. Cette indifférence est le gouffre qui
sépare l'un de l'autre. C’est l'abîme infranchissable creusé par la
superficialité et l'arrogance du riche jouisseur. C’est sur ce point que la
parabole veut attire notre attention:
-
sur le minimalisme qui nous habite; sur l'arrogance, le mépris et la suffisance qui
nous gonflent jusqu'à faire disparaître les personnes qui nous entourent;
-
sur la superficialité qui nous rend vides et terriblement myopes;
-
sur l’angoisse de l’accumuler et de l’avoir qui finit par nous appesantir
au point que nous ne faisons que ramper, alors que nous sommes faits pour voler
-
sur le trop avoir qui détruit la
qualité de notre être (humain), jusqu’à nous rendre parfois terriblement inhumains.
Dans l'évangile, Jésus condamne le riche non pas parce qu'il était mauvais,
mais parce qu'il n'a pas vu la souffrance de son prochain et ne l’a pas
secouru. L'homme riche est condamné pour son aveuglement et son indifférence.
Cela, dit l'Évangile, c'est ce qui arrivera à vous-aussi, si vous vivez sans
voir Lazare à votre porte. Vivez comme ce riche, soyez insensibles, ne vous laissez pas toucher par
ceux qui réclament votre attention, votre compassion et votre soutien…et vous
vous condamnerez à une vie humainement insignifiante, superficielle et inutile,
qui aura déjà, dès maintenant, le goût de l’enfer.
Débarrassons-nous alors de la myopie
et de la hâte qui nous tiennent en otage ;
ne permettons pas aux choses de nous alourdir et de nous figer dans notre marche
vers une meilleure humanité. Demandons à Dieu un cœur attentif qui sache aimer avec passion et compassion. Un jour quelqu’un m’a dit « Celui qui aime beaucoup, voit beaucoup de pauvres; celui
qui aime peu, voit peu de pauvres; celui qui n'aime pas, n’en voit aucun».
MB
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