Rechercher dans ce blog

lundi 7 octobre 2013

EST-IL ENCORE POSSIBLE DE CROIRE ?


( Luc 17, 5-10)


Luc dans ce texte de l’évangile présente les disciples de Jésus comme des hommes qui tout à coup se rendent compte de leur manque de foi et donc de leur incapacité à s’engager complètement à la suite du Maitre de Nazareth. Alors ils demandent à Jésus d'augmenter leur foi. Pourquoi demandent-ils à Jésus d’augmenter leur foi, et non pas, par exemple, d'accroître leur détachement des biens matériels, leur esprit de sacrifice, leur courage, leur détermination, leur engagement à la réalisation du projet de renouveau du Maitre, leur intelligence de sa parole et de son enseignement, etc.? C’est sans doute parce que, formés à l’école de Jésus, ce mot «foi» était lourd d’une valeur et d’un sens qui pour eux était fondamental, mais qui ensuite a été perdu. Jésus semble leur donner raison, lorsqu’il leur dit, qu’en effet, de foi ils n’en ont même pas le minimum indispensable; et que s’ils en avaient un tout petit peu plus, juste comme une petite graine de moutarde, ils pourraient réaliser l’impossible, faire des merveilles, opérer des miracles, comme déraciner un mûrier sur un simple ordre et le planter en haute mer. Un minimum de foi, leur dit Jésus, lorsqu’elle est authentique, suffit à mettre à la disposition du disciple la puissance de Dieu.

De quelle foi Jésus parle-t-il pour qu’elle soit si puissante? Certainement pas du genre de foi qu’on nous a transmise au catéchisme; ou de la foi qui est couramment exigée par le magistère officiel de l’église lorsqu’il demande aux fidèles d’être des croyants. Cette foi consiste dans une attitude intellectuelle qui pousse le croyant à accepter comme vraies des affirmations doctrinales élaborées par les spécialistes de la religion. Il s’agit habituellement de propositions catégoriques et abstraites concernant la nature de Dieu, Jésus-Christ, la Vierge Marie, l’au-delà, les sacrements, la fonction de l’Église et du pape, etc. Ici croire devient synonyme de conformité à une certaine vision du monde et de la réalité propre à l’Église catholique. Ici croire devient l’équivalent d’une adhésion à une certaine façon de concevoir et d’imaginer Dieu et ses relations avec le monde des humains. Cette façon de parler de Dieu et de raconter l’histoire de ses relations avec le monde des humains que l’église utilise encore aujourd’hui est d’autant plus indigeste pour la mentalité moderne  qu’elle se fonde sur une conception archaïque et primitive de la divinité où le mythe, la légende, le conte, l’imagination, l’anthropomorphisme, ont une part prépondérante, sinon exclusive. Il s’en suit que partager ce genre de foi devient une entreprise de plus en plus difficile, sinon impossible pour les gens de la modernité.

 Pour les croyants catholiques qui réussissent encore à garder la foi, celle-ci se résume finalement à considérer comme vrai tout ce que l’Église enseigne, même si souvent cela va à l’encontre du bon sens; même si cela blesse notre esprit critique et notre rationalité; même si bon nombre d’assertions dogmatiques sont manifestement insensées et irrecevables. 
Quelques exemples: 
- croire en Dieu et à ses anges qui habitent  là-haut, même si l’on sait que là-haut il n’y a aucun Dieu caché derrière les galaxies qui regarde en bas;
- croire que Dieu est venu sur terre incarné dans un homme qui a historiquement existé;
- croire qu’une femme a mis au monde un enfant avec le sperme de Dieu;
- croire que Jésus de Nazareth, après sa mort, est sorti vivant du tombeau avec son corps;
- croire que sa mère a été transportée au ciel corps et âme;
- croire que le pape est infaillible;
- croire que Dieu intervient avec des miracles pour permettre la canonisation des saints…

On dirait que dans son enseignement l’église encourage les chrétiens à penser que la plus grande preuve que Dieu exige d’eux au cours de leur vie consiste à croire en son existence; une existence toutefois qu’il occulte délibérément pour tester notre foi. Comme si Dieu prenait plaisir à jouer à cache-cache avec les humains, question de leur compliquer l’existence.

Beaucoup de fervents et pieux catholiques ne s’étonnent pas de cette difficulté moderne à croire aux assertions dogmatiques de l’Église. Ils pensent que le mérite de la foi consiste justement dans le fait de sa difficulté et dans le tour de force que nous devons imprimer à notre intelligence pour qu’elle accède à l’acceptation d’énoncés qui pourtant la paralysent. Au cours de son histoire, la spiritualité catholique, pour rendre plus acceptable à l’intelligence croyante l’ingestion de dogmes particulièrement indigestes, a inventé le principe du «mérite de la foi» que l’on pleut expliciter ainsi: plus un énoncé dogmatique est difficile à croire, plus le croyant a du mérite devant Dieu. Que l’on pourrait à peine caricaturer de la façon suivante: plus c’est absurde, mieux c’est pour ton salut. Comme si, sur la route qui doit nous conduire à Dieu, Celui qui nous a créés intelligents s’amusait à désavouer notre intelligence, juste pour nous rendre le chemin plus difficile.

Cette foi, que j’appellerais «ecclésiale» ou «catéchétique», n’est finalement qu’un exercice mental d’adhésion forcée à des données proposées et commandées par l’institution religieuse. Le but de cette foi n’est pas tellement d’affecter ou de changer (en mieux)  la personne, mais principalement celui de produire de l’homogénéité doctrinale au sein de l’Institution religieuse. Elle s’apparente plus à l’idéologie qu’à la foi, telle que Jésus la décrit dans son évangile. D’un point de vue humain, cette foi institutionnelle et «ecclésiastique» est presque totalement stérile. Elle ne transforme pas et ne grandit pas intérieurement le croyant. Tout ce qu’elle opère c’est de pousser le fidèle à se soumettre aux instances religieuses et à produire des observances, des pratiques, du culte et des rites. Elle n’a pratiquement aucun impact sur la vie des personnes et de la société. Elle ne contribue pas à améliorer le monde et l’humanité. Elle ne bâtit pas le «Royaume de Dieu » comme voulait le Prophète de Nazareth; elle n’est là que pour assurer la conservation de la structure religieuse, lorsqu’elle ne produit pas les fruits amers de la culpabilité, du dogmatisme, du fanatisme et de l’intolérance.

Jésus savait bien de quoi il parlait lorsqu’il disait que si le disciple avait juste une petite graine de vraie foi, il accomplirait des merveilles en lui et autour de lui. Il voyait le genre de foi qui animait les représentants de la religion officielle de son temps et il ne finissait pas de les critiquer
Il disait aux prêtres, aux scribes, aux pharisiens, grands religieux et grands pratiquants: «Votre foi, votre religiosité c’est de la foutaise. C’est du tape à l’œil. Vous êtes pires que les autres. Vous êtes des fonctionnaires sacrés et des sacrés fonctionnaires, qui utilisent la religion à leur avantage; pour vous hisser sur les autres, pour exploiter les autres, pour opprimer les autres. Vous êtes des hypocrites, des sépulcres blanchis. Vous pensez être croyants, mais vous n’avez pas une once de foi. Vous ne savez même pas ce que cela signifie que d’être des personnes animées par une foi».

La foi est une attitude du cœur. Elle est l’autre mot de l’amour. Elle surgit de l’attachement que vous ressentez pour une personne (Dieu) qui est entrée dans votre vie et  pour laquelle vous êtes prêts à vous perdre, à vous oublier, à tout laisser, pour mieux vous donner à elle et pour qu’elle puisse trouver plus facilement le chemin de votre cœur. La foi, c’est la confiance que vous ressentez envers la personne que vous aimez, car vous savez qu’elle vous aime à un point tel que tout ce qu’elle fera et entreprendra ne pourra être qu’en vue de votre bien et de votre bonheur. Alors vous êtes prêts à vous abandonner à elle, sans hésitations, sans limites. La foi  est ce bouquet qui se forme dans votre vie lorsque vous êtes capable de mettre ensemble les fleurs de la confiance, de l’admiration, de l’émerveillement et de l’amour. Cette foi, faite de confiance et d’abandon, est aussi certitude profonde que désormais cette personne est indispensable à votre bonheur et à la réussite de votre existence. La foi dont parle Jésus est cet événement intime, résultat d’une rencontre qui bouleverse et change une vie. Il n’y a pas de foi s’il n’y a pas de bouleversement et de transformation.

C’est cela que beaucoup de gens ont expérimenté au contact de Jésus:  une nouvelle vie, une nouvelle force, une nouvelle énergie, une guérison intérieure, une nouvelle liberté, une confiance absolue en un Amour qui subitement supprimait de leur vie toute angoisse et toute peur, en les établissant dans une grande paix et une inébranlable confiance. Ce genre de foi-confiance n’est pas une abstraction  intellectuelle, une affirmation doctrinale ou dogmatique à retenir, mais un événement au cœur de la personne, un phénomène intérieur d’une force incroyable qui prend  aux tripes et qui chavire et transforme de fond en comble l’existence. Lorsque Jésus parle de la foi, c’est de ce phénomène là qu’il parle: de la rencontre  de deux amours: de Jésus et son disciple; de  Dieu et l’homme.

 Alors, si toi chrétien, tu sais que tu es dans l’amour de Dieu et que Dieu est dans le tien ; si tu sais que tu es dans le cœur de Jésus et que Jésus est dans ton cœur ; si vos amours se confondent, vos esprits aussi s’unissent et s’identifient. Et si tu possèdes ce genre de foi, alors tu commenceras à sentir, à penser, à agir, à réagir d’une façon totalement différente. Tu assumeras le style et  le mode de vie de tes amours: tu agiras comme Dieu, tu répandras autour de toi «la bonne  odeur du Christ». Par ta foi et à cause de cette foi, tu deviendras lumière, ferment, sel, agent de renouvellement, de changement, de guérison, source de joie, de paix et de bonheur, instrument  béni de Dieu pour la construction d’un  monde meilleur.

Je regarde autour de moi et je pense que quelque chose ne va pas. Tant de chrétiens, tant de catholiques, tant d’institutions chrétiennes, mais combien de croyants ont vraiment ce genre de foi dont Jésus nous parle dans les Évangiles? Nous, les chrétiens  pratiquants, les prêtres et les religieux, les évêques, les cardinaux, le pape, avons-nous la foi? N’avons-nous pas plutôt une dépendance envers des traditions vétustes, des croyances bizarres, des dogmes incompréhensibles que nous nous obstinons à conserver tels quels, à défendre envers et contre tout, à proclamer comme vérités révélées par Dieu. Ne faisons-nous pas cela à l’Eucharistie de chaque dimanche, lorsque nous débitons par cœur ce long et compliqué «Credo», en pensant qu’il contient l’expression authentique  de notre foi, alors qu’il ne fait que la truquer et qu’il n’est que le triste témoin de chicanes théologiques obsolètes et stériles? 

Je regarde autour de moi et je vois toujours une église attachée à ses privilèges, qui côtoie et courtise les pouvoirs des grands de ce monde; qui continue à défendre avec intransigeance son statut d’unique et vraie religion  possédant  l’exclusivité de la Vérité et de la révélation de Dieu.

Je me tourne vers l'évangile et je relis  ces pages : « Vends tout ce que tu as et donne-le aux pauvres, Dieu sera ta richesse, et ensuite suis-moi » (Luc 18,22). «Les renards ont des tanières et les oiseaux ont des nids, mais cet homme n'a pas où reposer sa tête » (Luc 9,58). " Ne vous préoccupez pas  de ce  que vous mangerez, ni pour votre corps en pensant comment vous allez vous habiller » (Luc12, 22) . «Les rois des nations les dominent et ceux qui exercent le pouvoir sont appelés bienfaiteurs. Mais vous fuyez cela. Au contraire, que le plus grand parmi vous se fasse l’égal du plus petit. Et celui qui commande se considère le serviteur de tous » (Luc 22,25-26).

Pauvres, libres, sans sécurité matérielle, sans pouvoir, confiants en l’amour de Dieu qui les anime, tels sont  les disciples de Jésus de Nazareth. Seuls possèdent sa foi ceux et celles qui adhérent à ce style évangélique de vie. Sans leur foi, les disciples seraient des «serviteurs inutiles», car sans elle rien ne peut vraiment être changé ni dans leur vie ni dans le monde.


MB


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire