L’ARGENT QUI NOUS PERDRA
(Luc 12,13-21 - 18e dim. ord.
C )
C’est un fait que, dans
notre société capitaliste, l’argent est tout. Il est l’unique mètre sur lequel on mesure le
calibre et l’importance d’une personne. Si tu as de l’argent tu es quelqu’un, si tu
n’as pas d’argent, tu n’es personne. Il
est le but ultime de toute activité, la valeur absolue pour laquelle on est
prêt à sacrifier toutes les autres valeurs qui deviennent secondaires et sans
véritable importance: la justice, l’équité, le bien commun, la considération des
autres, le respect envers la nature, les écosystèmes, les ressources naturelles
de la planète. Il n’y a plus rien aujourd’hui
qui échappe à la logique farouche des lois du marché, gérées par un système
capitaliste conçu pour assouvir l’avidité et la cupidité humaine, pour enrichir
quelques surpuissants et laisser dans la misère le reste du genre humain. Dans
ce système capitaliste, tout devient monnayable, négociable, exploitable. Ainsi, les êtres de notre monde perdent leur
identité, leur nature, leurs caractéristiques, leur beauté, leur poésie, leur
âme. Ils ne sont que marchandise ou
objet, article, denrée dont l’unique valeur est monétaire ou, au mieux objet
d’investigation dans le but de produire
encore plus d’argent. Le bœuf, le veau,
la génisse, le cochon, le mouton, le poulet ne sont que viande à consommer: ils
sont côtelette, filets mignon, faux-filet, ti-bone, beefsteak, surlonge,
bavette, jambon, cuisse, poitrine…les forêts, que du bois à construction; la
mer et les fonds marins, que du poisson à extraire, que des gisements de gaz et
de pétrole à exploiter… Ici, fini le
sentiment, la sensibilité, la compréhension symbolique ou une certaine vision
idyllique et poétique de la réalité qui humanisent le regard et donnent la
possibilité de regarder les choses autrement et d’y découvrir la présence d’un
esprit. Un grain de sable, une fleur, une goutte de rosée au matin, un papillon, une
libellule, ne sont pas simplement des « choses ». Ils sont de
merveilleux miracles qui devraient nous remplir de commotion et d’émerveillement.
Cette mentalité capitaliste uniquement basée sur l’argent et le profit
risque de nous déshumaniser et de nous abrutir au point de nous vider de notre âme.
En effet elle nous fait perdre le sens
du surnaturel, du magique, du sacré, du merveilleux qui est à l’origine de l’émerveillement,
du ravissement, du respect que les hommes primitifs ressentaient et ressentent devant
la nature et pour qui tous les êtres (animaux, arbres, plantes, fleuves, sources,
rivières, roches, montagnes…) sont porteurs d’un mystère; sont caractérisés par
une identité unique; possèdent une âme, sont animés par un esprit qu’il faut reconnaitre,
invoquer, apprivoiser, tout étant expression d’une Puissance qui nous dépasse et
manifestation d’un Grand Esprit qui finalement anime et donne vie à tout ce qui
existe.
Nous sommes devenus
rationnels, cartésiens; nous sommes les fils du progrès scientifique, de la
technique; nous vivons à l’ère de la physique quantique, de la biotechnologie,
de la nanotechnologie, de l’informatique, des découvertes astronomiques, des
vols spatiaux. Nous nous vantons d’avoir définitivement abandonné la vision animiste
ou sacrée du monde, vision que nous qualifions de mythique et d’archaïque. Nous
nous vantons aussi de n’avoir plus besoin, comme dans le passé, de recourir à
l’hypothèse de l’existence de Dieu pour expliquer le monde et ses phénomènes. Contrairement
aux anciens, nous ne voyons plus Dieu à l’œuvre dans la nature et, pour nous, son
esprit n’est plus nulle part. Cependant,
(et voici le paradoxe !), nous les modernes, les intelligents, les savants, les
cultivés, les éclairés, qui refusons de voir Dieu partout, comme
faisaient nos ancêtres… nous nous sommes
fabriqué notre propre Dieu, le Dieu argent, que nous voyons partout, devant lequel
nous sommes en constante adoration et pour lequel nous sommes prêts à tout
sacrifier, tout détruire, tout saccager, tout abîmer tout polluer dans une
folle hystérie d’accumulation d’argent qui, si elle n’est pas arrêtée, conduira
l’humanité à sa disparition. Robert Muller, ce grand homme qui été longtemps adjoint-secrétaire général aux
Nations Unies avait raison de dire: « We must fear that
capitalism will bring this world to an end ( Idea 1125 , 9 August 1997).
L’évangile d’aujourd’hui
nous invite, nous, les chrétiens à relativiser l’argent, à réfléchir sur les
dangers qu’il comporte; à en faire un moyen et non pas une fin. Il nous invite aussi à récupérer la vision sacrée,
symbolique, poétique, spirituelle du monde que l’humanité avait à ses débuts et
à traiter la nature (animée et inanimée) avec amour, respect, compassion, en
comprenant que nous devons lui être solidaires, amis, car elle nous est nécessaire,
car elle fait partie de nous-mêmes et nous faisons partie d’elle dans une
connexion tellement profonde et essentielle que nous ne pouvons briser sans
courir inévitablement vers notre perte.
Le texte évangélique
d’aujourd’hui nous dit que ce qui est «divin» n’est pas l’argent et le profit
indiscriminé, qui sont proprement diaboliques car ils divisent l’humanité entre
riches et pauvres et sont source d’inégalité, d’injustice, de violence, d’exploitation, de corruption, de pollution,
de destruction et de souffrances. Par
contre, l’évangile nous dit que ce qui est divin, c’est le cœur de l’homme lorsqu’il
est guéri et transformé par l’amour qui éclaire son regard et le rend apte à percevoir
la beauté et le miracle de ce monde qui déploie de partout les signes et les
traces de la présence de l’Esprit de Dieu.
BM
I cannot understand why love is not inundating our Earth. Why must it be business, money, 'freedom of enterprise', more and more merchandises and 'goods', running around the world and endless activities and agitations? How about love for our beautiful Earth and her nature, love for peace and tranquillity, love for our neighbours and our environment, love for the depth and genial meaning of our individual, miraculous human life? (Robert Muller, Idea 4930)
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