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dimanche 28 octobre 2012

Confiance, il t'appelle !

DE JERICHO À JÉRUSALEM –  LA TRAJECTOIRE D’UN  HOMME AVEUGLÉ

Marc 10, 46-52


Dans ce récit de l’aveugle de Jéricho tout a une valeur symbolique. Tous les détails sont là pour nous dire quelque chose. L’épisode se déroule aux portes de Jéricho. Jéricho se trouve sur la route qui même à Jérusalem. Pour la voyageur qui vient du Nord de la Palestine et qui se dirige à Jérusalem, Jéricho est un passage obligé. Dans la Bible (livre de l’Exode), Jéricho est la ville qui s’est opposée à l’entrée de Hébreux dans la Terre Promise. Donc, dans la mémoire collective juive, cette ville était le symbole de l’opposition à Dieu et à son plan, comme Jérusalem était le symbole de la présence de Dieu et de l’accomplissement de toutes les meilleures attentes du peuple élu.

Si le récit de Marc parle de l‘aveugle de Jéricho accroupi au bord de la route qui va à Jérusalem, cela est sans doute pour insinuer que cet homme vit dans un état  d’opposition au plan de  Dieu dans sa vie et que quelque chose l’empêche de prendre la route vers le pays de sa liberté intérieure et vers le lieu où il pourrait expérimenter la présence aimante de Dieu et la réussite de son existence.

Dans l’évangile, cet aveugle  n’a pas de nom à lui, il est simplement identifié comme le «fils de Timée. Il est le « fils d'Honoré » car Timê en grec signifie « honneur ». Cet homme porte le nom d'un père qui a été célèbre et honoré et qui a eu sans doute une forte personnalité. Le fait que cet aveugle soit toujours  indiqué comme «le fils de son père» (Bar-Timée), manifeste tout le poids que la figure paternelle a dû exercer et exerce peut-être encore sur l’évolution de la vie de cet homme. C’est un homme qui a vécu sous l’emprise et l’autorité directive et obsédante de son géniteur et dans son sillage. Un père exigeant, jamais satisfait de lui, avec des attentes exorbitantes pour les capacités et les forces limitées de cet enfant hésitant, timide et craintif. Un père qui l’a rendu passif et dépendant. C’est homme a passé sa vie à plaire à son père et aux  personnes qui vivaient  autour de lui. On dirait que cet homme n’a fait que mendier toute sa vie. Il a mendié l’approbation, l’estime et l’amour de son entourage. Il n’a vécu que grâce à la permission et au consentement de ses proches. Il n’a vécu qu’en fonction des autres et dans la crainte des autres. Les autres lui dictaient quoi faire et quoi penser. Pour se conformer aux exigences d’un père despote et envahisseur, aux  attentes de sa mère, de sa conjointe, de ses supérieurs, des autorités constituées, il n’a jamais  pu choisir sa vie et avoir une existence à lui: faire des plans, voir de ses  propres yeux, marcher dans la direction qu’il aurait souhaité, choisir son chemin. Ainsi pour ne pas décevoir, pour plaire, pour mériter l’affection et le droit de vivre, il a étouffé ses aspirations, renié ses goûts, sacrifié ses projets, cessé de vivre. Cet homme ne s’est jamais senti aimé pour  lui-même; mais seulement  accepté ou enduré à cause de la gratification que  sa dépendance et sa docilité suscitait  dans l’ego et la vanité de son entourage.

Cet homme, moulé par les autres, modelé sur les attentes des autres, ne sait pas qui il est vraiment.  Et ce que de lui apparaît à l’extérieur, ce n’est que le manteau sous lequel se cache sa vraie personnalité. Cet homme est et reste aveugle, car le manteau que les autres ont tissé autour de sa personne et qu’il s’est laissé imposer,  l’empêche de voir sa véritable identité, la grandeur de son destin, la valeur de sa personne et  les merveilles  que l’amour de Dieu a caché  dans les  profondeurs de son être. Dans le texte de  l’évangile  il est dit que cet homme  «était assis sur le bord de la route». Le verbe grec utilisé par Marc se traduirait mieux en disant que cet homme «gisait» sur le bord du chemin. C’est le même verbe utilisé en grec pour dire que quelqu’un «gît»  dans son tombeau. Cet homme est en effet comme mort, car il n’a jamais vécu sa propre vie.

Paradoxalement, le drame de cet homme aveugle a été son souci et son obsession d’être «bien vu» par les autres. Il ne trouvera la vue et la véritable intelligence de sa valeur que lorsqu’il abandonnera sa préoccupation maladive de «bien paraître  et de donner une bonne image de soi-même, symbolisée ici par son manteau. Alors, ce moquant enfin de l’opinion et des reproches des  autres (pour  qu’il rentre dans le  rangs et retrouve sa place de soumis qu’il a toujours occupée  au bord du chemin), se débarrassant de son manteau, il se dressera d’un bond et il se lancera, enfin libre et indépendant, vers Jésus qui l’avait appelé et invité à se mettre débout. Il faudra que cet aveugle fasse la rencontre de Jésus pour que celui-ci lui révèle le secret de sa totale liberté et de sa parfaite et saisissante humanité. Jésus apprend à cet homme aveuglé la seule attitude intérieure qui pourra lui permettre de voir clair dans le fatras de ses dépendances et de découvrir sa valeur fondamentale et la vérité de son être: la confiance. Confiance en Dieu et confiance en lui-même. «Confiance, lève-toi…-lui dit Jésus- la confiance te mettra debout, te rendra indépendant, te redonnera ton identité».

On pourrait creuser ces paroles de Jésus et expliciter davantage leur sens profond de la sorte: «Avant tout, confiance en Dieu qui t’aime le premier, sans conditions; qui te veux et t’accepte parce que tu es, comme tu es, tel que tu es, sans manteau, sans apparences, sans besoin de t’angoisser pour bien paraître, de te mettre à plat ventre devant les autres; de t’anéantir pour gagner leur acceptation, leur approbation, leur amour. Tu as une grande valeur à ses yeux, tu es «un fils de Dieu». Dieu t’aime donc comme un père. Dieu t’aime de toute façon, toujours, malgré toi, sans toi, sans tes mérites, quoi que tu fasses. Sois donc toi-même; tu es unique, tu es différent, tu es très bien ainsi. Ne laisse personne t’avilir ou t’humilier. Mais ne t’en fais pas trop lorsque quelqu’un cherche à t’inférioriser ou à te caler, car en te dépréciant, c’est plutôt son image et sa personne qu’il salit et qu’il rabaisse. Ne laisse personne te dire quoi penser, quoi faire; ne laisse personne dicter ton chemin, t’imposer ses idées, ses vérités, ses options, ses goûts  Tu as le droit de contester, de critiquer, de t’opposer. Tu as droit d’être différent. Tu as le droit de mener ta vie comme tu l’entends, car, en t’introduisant dans ce monde, Dieu t’a assigné un destin unique ; il t’a confié une tâche exclusive et il n’y a que toi qui puisses la réaliser. Alors, lève la tête, marche droit, sois fier de toi, de ce que tu es, de ton existence, de ta condition. Accepte-toi avec tes ombres et tes lumières, avec tes qualités et tes défauts, avec ta misère et ta grandeur. Dieu sait que tu es un être humain et que donc tu es faible, fragile, limité, défectueux; il sait que tu peux te tromper, faire le mal, souffrir et faire souffrir… qu’importe! C’est comme cela que tu es. C’est comme cela que Dieu t’a voulu.  C’est comme cela que Dieu t’aime! Alors, plus de ventre à terre, plus de «rampage» devant les autres. Tu as de la grandeur, tu as de la dignité; tu es aimé de Dieu;  tu es son enfant ! Aie donc de l’estime pour toi. Aie confiance en toi-même. Fais confiance aux trésors de ressources secrètes que l’amour de Dieu a déposées dans les profondeurs de ton être…»

Ce récit évangélique  veut nous faire  comprendre qu’il y a un espoir pour tous le mendiants, les aveuglés, les découragés,  les éprouvés de la vie,  dans la mesure où ils ne se résignent pas à  leur malheur et où ils sont disposés à assumer les coûts reliés à  l’exercice de leur liberté. Le mendiant de Jéricho a pu  récupérer la vue et la vie parce qu’il s’est débattu, parce qu’il s’est battu et parce qu’il a crié à l’aide. Il a eu la chance de tomber sur Quelqu’un de vraiment extraordinaire qui, en lui faisant connaître l’amour de Dieu, l’a ouvert à la confiance. Ainsi ce récit veut dire à chacun de nous que tant que nous ne serons pas capables  d’abandonner  notre vie entre les mains de Dieu dans un acte de totale confiance, nous ne pourrons jamais nous croire assez bons, assez fins, assez valables pour envisager une vie vécue dans la liberté, l’équilibre, l’harmonie et la sérénité et pour courir dans la joie vers l’accomplissement  de notre destin.



MB



(30e dim ord. B  - 2012)

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