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lundi 15 mai 2017

RÉINVENTER L'EUCHARISTIE

RÉFLEXIONS À L’OCCASION DE LA LITURGIE DU JEUDI SAINT

RÉINVENTER   L'EUCHARISTIE 

(2017)

Le jeudi avant la fête des Pâques, les chrétiens célèbrent le souvenir du dernier repas que Jésus de Nazareth a consommé avec ses disciples quelques jours avant d’être exécuté sur une croix. Ce dernier repas est considéré et interprété comme un rite ou un geste sacré, à travers la symbolique duquel Jésus nous a transmis les valeurs d’unité, de communion, de fraternité, de partage et de service, qui sont au cœur de son message.

En effet, lorsque nous mangeons et nous buvons autour d’une table amicale, nous nous transformons en des êtres de relation, qui manifestent, par toute la force de leurs appétits les plus fondamentaux, qu’ils sont dans une dépendance totale du monde qui les entoure et que séparés et abandonnés à eux-mêmes ou renfermés dans leur solitude, ils seraient établis dans un vide, un manque et une pauvreté absolus.

La symbolique du repas porte donc en elle une signification qui va bien au-delà du simple fait de la manducation, pour devenir l’expression humaine d’un phénomène général et spécifique à la structure de l’Univers dans lequel nous vivons. En effet, dans notre Monde, tout ce qui existe a besoin de se constituer dans un état de relation, de connexion, de dépendance, d’unité avec tout le reste, pour subsister et évoluer vers une complexité et un perfectionnement toujours plus grands.

C’est pour cela que, lorsque nous arrivons en ce monde, notre dépendance de lui est totale. Nous y entrons nus et affamés, soumis à un état d’indigence et de manque flagrants et, en même temps, confrontés à l’urgence de sucer, d’ingurgiter et d’avaler tout ce qui est à notre portée et que l’environnement peut nous offrir. Cette dépendance est nécessaire afin de pouvoir vivre, grandir, passer à travers les périples et les périls de l’existence, parcourir notre route et réaliser notre destin. 

C’est une dépendance radicale, qui nous oblige à tendre continuellement nos mains pour nous agripper au monde qui nous porte. C’est une dépendance qui nous pousse à laisser toujours grand ouverte la porte de notre esprit, de notre cœur et de nos sens, pour que puissent se dessiner et se former en nous les plans sur lesquels nous devons construire le projet d’une authentique humanité. C’est pour cela que nous avons continuellement besoin de nous asseoir à la table du repas que l’Univers nous prépare, pour communier avec toutes ses créatures.

 Le repas fraternel est alors la mise en scène la plus emblématique et la plus expressive de cet état fondamental de communion avec le monde qui nous permet de vivre, de nous développer et de nous réaliser. Jésus avais compris cela. C’est la raison pour laquelle il a choisi le geste du repas fraternel comme le rituel qui exprimait et incarnait le mieux les principes et les valeurs du «Royaume de Dieu» qu’il espérait réaliser sur terre, ainsi que les attitudes qu’il voulait voir à l’œuvre dans l’existence de ses disciples.

Jésus rêvait d’un monde diffèrent de celui dans lequel il vivait. Il rêvait d’un monde construit sur les principes de la fraternité universelle, de la liberté, de la justice, du partage, du respect réciproque et du service dans l’amour. Il rêvait d’un monde où le pouvoir et les hiérarchies sont abolis et où tous les humains sont conscients de leur fondamentale égalité, de leur grandeur et de leur dignité. Jésus rêvait d’un monde nouveau, semblable à un grande fête de noces où tous sont invités, sans différence de race, de classe, de sexe, de culture, de croyances, de statut social; où tous peuvent s’asseoir autour de la même table pour partager le même repas, manger à la mesure de leur faim, dans un climat d’acceptation réciproque, de justice et d’amitié.

Même si Jésus n’a fondé aucune religion, d’une certaine façon, on peut dire qu’il a fondé la «religion du repas». Ce qui est sûr, c’est qu’il a personnellement cassé avec la religion de ses ancêtres, à cause du fait que celle-ci, en établissant des normes de sainteté et de pureté, en déclarant impurs certains aliments, en imposant des jeûnes, en créant des castes, des hiérarchies, des classes de purs et d’impurs, rendait difficile, sinon impossible, la réalisation de son rêve, car elle excluait des pans entiers de personnes de la table du repas du Royaume.

De leur côté, les autorités religieuses juives accuseront Jésus de fréquenter et de « manger avec les publicains et les pécheurs ». Ils le critiqueront et ils le dénigreront à cause de l’importance qu’il accordait à l’atmosphère conviviale du repas et du plaisir qu’il retirait à s’assoir à une bonne table, chaque fois qu’il en avait l’occasion ou qu’il était invité.

Jésus a  donc choisi le  rituel  du repas, image du Royaume de Dieu et d’un monde nouveau, établi sur les valeurs de la communion avec tous les hommes, de la dépendance des fruits de la Terre, Mère nourricière qui nous a enfanté et qui nous nourrit, comme  le signe par excellence du partage, de  la fraternité, de l’égalité,  de l’amitié dans la joie, la louange et l’action de grâce,  pour illustrer, d’une côté, les valeurs de base de son message et, de l’autre, pour les transmettre concrètement à ses disciples comme une nourriture que les fasse grandir vers le plein épanouissement de leur humanité.

Jésus, sentant sa mort approcher, c’est donc par un repas pris avec ses disciples qu’il a voulu faire ses adieux. C’est en mangeant avec eux, qu’il leur a demandé de continuer à faire cela en mémoire de lui. «Chaque fois que vous ferez cela - leur a-t-il dit - chaque fois que, comme une grande famille, vous vous rassemblerez autour d’une table pour vous nourrir et pour nourrir ceux qui ont faim, dans l’unité et l’amour, en oubliant les différences, en abolissant les classes et les divisions, en vous considérant tous égaux et fils du même Père, c’est mon esprit que vous ferez revivre; c’est un nouveau style de vie que vous implanterez; c’est une nouvelle société que vous construirez; c’est ma présence que vous continuerez; c’est la transformation du monde en mouvement et en énergie de communion que vous réaliserez; c’est mon rêve que vous accomplirez.»

Fidèles à cette consigne du Maître, c’est dans leurs maisons, au cours d’un repas, que les premiers disciples se réunissaient pour parler de Jésus; pour se remémorer ce qu’il avait fait; pour se confronter à son mode de vie; pour se laisser toucher pas son exemple; pour découvrir les valeurs qu’il avait vécues; pour s’émerveiller et réfléchir sur l’extraordinaire nouveauté de son message; pour méditer sur ses paroles; pour s’imprégner de son esprit… Et cela afin de continuer son œuvre et faire en sorte qu’il ne soit pas mort inutilement.
Ces repas étaient appelés « Agapes » (du grec «agapè»-amour gratuit), «Fraction du pain» ou, tout simplement, « Repas du Seigneur ».

Pendant les trois premiers siècles, le Repas du Seigneur était consommé dans la spontanéité et la simplicité d’une fidélité qui ne peut pas oublier, mais qui veut faire revivre et donner consistance à cette partie de la personne du Crucifié disparu qui ne pourra jamais mourir: son Esprit. Au cours de trois premiers siècles, il n’y avait pas de cathédrales, ni d’églises, ni de prêtres, ni de consécrations, ni de transsubstantiations, ni de «victime immolée sur l’autel du sacrifice eucharistique». Il n’y avait que des disciples en mal d’amour qui, en mangeant ensemble, comme Jésus l’avait fait et comme il le leur avait suggéré, cherchaient à s’aider afin de vivre selon l’esprit de leur Maître.

À partir du quatrième siècle les choses se sont gâtées. La paix constantinienne et la transformation subséquente du mouvement spirituel issu du Prophète de Nazareth en religion et en système de pouvoir, est en grande partie responsable autant de la déformation de la pensée de Jésus sur la symbolique du repas, que de la disparition progressive des formes originelles sous lesquelles le « Repas du Seigneur » était pratiqué et vécu dans les communautés chrétiennes de trois premiers siècles.

Dix-huit siècles plus tard, nos « Messes » ne sont plus qu’une piètre pantomime du Repas du Seigneur. Les maisons se sont transformées en églises ; la nourriture en « sacrifice »; le pain, en hosties plastifiées; la table, en autel; les convives de jadis vifs, ardents, enthousiastes et affamés dans l’âme et dans le corps, se sont métamorphosés en rassemblements de spectateurs indolents, apathiques, distraits, pressés, sans motivation, si ce n’est celle de l’obligation et de la peur du péché. 

Comme si cette déformation n’était pas suffisante, et pour ajouter une dose supplémentaire d’incongruité, voilà que la gestion et l’actuation de ces «messes-sacrifices» sont maintenant confiée à l’action des «prêtres», une nouvelle caste de «sacrificateurs» attitrés, inconnue dans le christianisme des  trois premiers siècles, créée expressement pour accomplir,  l’acte sacrificiel de la mort de Jésus en croix au cours de la messe et pour «consacrer» le pain et le vin qui, par l’effet miraculeux des pouvoirs sacerdotaux, transforment leur «substance» dans celle du corps immolé et le sang répandu du Christ, victime innocente, sacrifiée sur l’autel de la Croix.

Le Repas du Seigneur s’est ainsi définitivement transformé en « sacrifice de réconciliation pour le pardon des péchés et le salut du monde »[1]. Les convives de jadis heureux, ardant de foi et reconnaissants d’appartenir à la famille des disciples du Nazaréen, se sont transformés en des assemblées de misérables pécheurs, écrasés sous le poids de la condamnation, de la faute et de la culpabilité, car accusés d’être les principaux responsables de la mort du Seigneur. «C’est à cause de vos fautes et de vos péchés que le Christ a dû subir le sacrifice de la croix!». Voilà l’encourageant refrain que depuis des siècles l’Église ne cesse de faire retentir aux oreilles de ses fidèles.

Or, ce n‘est pas en criant à tous vents que le bercail est infecté et que les brebis sont inexorablement empestées, que le berger fera prospérer son troupeau et son entreprise!

Faut-il alors s’étonner si nos messes sont aujourd’hui systématiquement désertées? Qui aurait envie de se présenter à des assemblées liturgiques si l’on sait que l’on va participer à un «sacrifice de réconciliation» pour le pardon de nos péchés ? Qui aurait envie d’aller à la messe où, dès le début, on te fait sentir que tu es un bon à rien; que tu n’es qu’un être misérable qui ne peut qu’implorer la pitié de Dieu?

Où on te demande de te frapper la poitrine et de confesser devant Dieu et tes frères que tu as beaucoup péché, en pensées en parole, en action et par omission ; et cela par simple perfidie de ta part, sans aucune circonstances atténuantes, mais uniquement par ta faute,  par ta pure faute, par ta très grande faute?   

Où on te pousse à avouer que tu n’es pas digne de manger à la table du Seigneur, parce qu’on suppose à priori que tu es une mauvaise personne, foncièrement ancrée dans le mal et le péché ?

Où, dans presque tous les textes et prières utilisés dans le rite de la messe, on ne fait que demander à Dieu, avec une monotonie pathétique, de nos pardonner, d’avoir pitié de nous, de nous racheter de l’esclavage du péché, de nous libérer des ténèbres du mal et de la mort dans lesquelles nous nous sommes enfoncés à cause de notre perversité?

Où on nous exhorte sans cesse à nous convertir, à faire pénitence, à reconnaître notre misère, à lutter contre l’esprit du mal qui est en nous; et, faute de mieux, à nous abandonner à la miséricorde de Dieu.

Une liturgie imprégnée d’une telle attitude dépressive; d’une perception aussi défaitiste, hypocondriaque, alarmiste et pessimiste de notre nature humaine, peut-elle encore attirer des gens aux messes dominicales ?

En plus, quel individu, aujourd’hui, pourrait être intéressé à assister à la Messe, s’il sait (et il devrait le savoir s’il a été au catéchisme de l’Église catholique !) que cette mise en scène rituelle a comme but principal de rendre présente l’exécution barbare d’un condamné sur une croix?

Peut-on concevoir une déformation plus totale ? Nos messes actuelles n’ont donc plus rien à voir avec les agapes fraternelles organisées par les communautés chrétiennes des origines. Elles sont devenus un amalgame de rites et des gestes figés, fossilisés, anachroniques, incompréhensibles ; soutenus par une fausse théologie ; expression d’une spiritualité révolue, doloriste, culpabilisante, élitiste, exclusiviste, qui n’admet que les bons, les justes, les conformes, que ceux qui sont en «état de grâce».

Nos messes se sont donc transformées en le contraire de ce que Jésus souhaitait. Ne voulait-il pas que les portes de la salle de repas du Royaume soient ouvertes sur les carrefours du monde, afin que les bons et les méchants, les justes et les pécheurs, les sains et les malades, les maganés de la vie, les divorcés remariés, les femmes qui ont avorté, les transgenres, les gais et les lesbiennes, tous puissent se sentir accueillis et invités à s’asseoir et à se réjouir ensemble à la table du même banquet ?

D’où l’urgente nécessité non seulement d’abandonner, une fois pour toutes, l’absurde théologie sacrificielle subjacente à nos eucharisties actuelles, mais aussi de changer de fond en comble leur structure rituelle et symbolique, afin de récupérer le sens originel du Repas du Seigneur.

Lorsque je parle de récupérer la véritable nature du repas du Seigneur, je ne me réfère pas seulement à la nécessité de récupérer la signification que lui donnaient les chrétiens des origines, qui interprétaient et vivaient la symbolique du repas dans le contexte de leur culture et selon la vision et la compréhension du monde qu’ils avaient. Dans leur mentalité, la communion, vers laquelle le Maître, par ce geste, voulaient les orienter, était surtout et avant tout réalisée par l’attitude intérieure de l’accueil indiscriminé qui s’explicitait dans la bienveillance, l’amitié, le pardon et l’amour qui les mettaient en relation profonde et « en union » avec tous les frères humains, surtout ceux qui étaient les plus difficiles à aimer.

Lorsque je parle ici de récupérer la véritable nature du repas du Seigneur, je veux surtout attirer l’attention sur un autre genre de « communion », bien plus étendue et bien plus globalisante et à laquelle les gens de la modernité sont devenus très sensibles. Je m’explique.
Pour nous, les gens de la modernité, qui vivons à plus de vingt siècles de distance des premières communautés chrétiennes, qui avons une mentalité et une cosmovision totalement différentes, car enrichies des connaissances fournies par les apports multiples des sciences et des découvertes modernes, pour nous, ce devoir de communion avec nos frères humains, exprimé par la symbolique du Repas du Seigneur, s’il est important, n’est plus suffisant pour exprimer toute la gamme des relations que nous devons entretenir, vivre et cultiver dans notre monde.

Aujourd’hui, nous savons que la seule et unique façon que nous avons de nous mettre en relation avec nos semblables et d’assurer leur condition de vie, leur bien-être et leur salut, c’est de nous établir dans une communion constante et indispensable avec toutes les autres structures animées et inanimée qui composent la réalité globale de notre Univers. Cette communion à l’Univers dans lequel nous vivons, est faite d’une relation et d’une connexion essentielles d’interdépendance et d’unité, dans laquelle l’émerveillement, le respect, de soin, la prise en charge amoureuse de chacune de ses composantes, va de pair avec la prise de conscience que chaque partie du Tout Cosmique ne peut subsister, évoluer et s’épanouir que dans la sauvegarde d’un rapport d’interaction, d’échange et donc, finalement, de profonde communion avec toutes les autres parties.

Aujourd’hui, nos eucharisties devraient donc être célébrées avec cet esprit et être soutenues par une symbolique totalement renouvelée et inspirée par cette nouvelle vision et cette nouvelle compréhension de la Réalité, afin de pouvoir exprimer le désir, ainsi que la nécessité de réaliser et d’expérimenter dans notre vie toutes ces nouvelles formes de communion.

Il faut reconnaître que la religion judéo-chrétienne a parcouru une toute autre direction. Elle s’est bâtie et s’est développée dans une totale indifférence et même dans une hostilité congénitale envers la nature et le monde matériel et donc dans une totale méconnaissance des liens essentiels qui unissent les humains à l’ensemble du Cosmos. Pour cette religion, l’homme, étant sorti directement des mains de Dieu et étant destiné à retourner à Lui, non seulement ne doit pas s’attacher au monde matériel, foncièrement mauvais, mais il ne lui doit absolument rien non plus, si non le devoir de le «mépriser»[2], de le dominer, de le soumettre, de l’utiliser et de l’exploiter pour satisfaire ses désirs et ses besoins.

La religion judéo-chrétienne a toujours été exclusivement occupée à gérer, d’un côté, les relations des humains entre eux et, de l’autre, à organiser et entretenir les relations de ces derniers avec le monde surnaturel de Dieu. Mais jamais, cette religion, a été intéressée à cultiver la relation de l’homme avec le monde matériel ou naturel, qu’elle a, au contraire, toujours considéré comme indigne de l’intérêt et de l’amour de l’homme.

Aujourd’hui les hommes du XXIe siècle ne trouvent plus dans le langage mythique et dans le bagage symbolique élaboré depuis trois millénaires, par cette religion, les signes et les symboles adéquats pour exprimer leurs nouvelles sensibilités, leurs nouvelles préoccupations, leurs nouvelles connaissances, leur nouvelle vision du monde, ainsi que leur nouvelle façon de concevoir Dieu. Les gens de la modernité sont incapables d’accepter la présentation traditionnelle de Dieu avancée par la religion : un Dieu anthropomorphique, un genre de monarque suprême, seigneur des seigneurs, qui habite là-haut, dans le ciel, en dehors du monde, dans une transcendance absolue, qui dirige tout, qui surveille tout, qui exige adoration et totale soumission, sous peine de châtiment et de condamnation.

La grande majorité des gens de notre époque savent et sentent que ce Dieu, proposé et imposé par le christianisme traditionnel, est autant le produit d’une imagination primitive, que des exigences dominatrices et autoritaires des instances religieuses. Le Dieu de la modernité ne parle plus à travers les oracles des prophètes ; ne se révèle plus à travers les théophanies des Saintes Écritures, ni à travers les miracles de Jésus, ni à travers l’autorité, les dogmes et les sacrements de l’Église.

Pour les gens de la modernité, c’est uniquement l’Univers le lieu de la vraie et de l’unique révélation de Dieu. Le Dieu qui se manifeste dans l’Univers a complètement perdu sa connotation anthropomorphique. Il est maintenant perçu comme le Mystère Ultime de la Réalité ; comme la dimension la plus profonde du Cosmos ; comme le Cœur qui le fait battre ; comme l’Énergie Ultime qui le supporte ; comme l’Esprit et l’Âme qui le maintiennent vivant ; comme une Attraction autour de laquelle tout gravite, qui attire tout, envahi tout, relie tout, afin d’élaborer l’immense architecture cosmique composée de centaines de milliards de galaxies.

Les astrophysiciens sont de plus en plus enclins à penser que l’être humain représente l’apothéose du processus de naissance et d’évolution de l’Univers et sa récapitulation la plus complète. Ils croient, qu’à travers l’Homme, l’Univers a réussi à prendre conscience de lui-même et à s’émerveiller devant son sublime harmonie et sa stupéfiante beauté.

Nous aussi, les chrétiens modernes, nous sommes portés à croire que l’être humain est apparu dans notre Monde comme le lieu d’un présence particulièrement intense et d’une manifestation particulièrement saisissante des forces et des champs originels d’attraction qui sont à l’origine de la structuration, de la complexité et de la diversités de la matière. Il nous plaît alors d’imaginer que, dans l’homme, ces forces cosmiques qui attirent et qui unissent tous les champs énergétiques, se sont sublimées en mouvements spirituels de relation et de communion conscients et libres, responsables du jaillissement du sentiment de l’Amour dans notre monde.

Si la science nous pousse à admettre que, que la Réalité Ultime (que nous appelons Dieu) exprime toute sa puissance et sa grandeur à travers les péripéties évolutives d’un Univers qui se déploie sans limites dans l’espace-temps, nous pensons que c’est surtout dans les profondeurs de cœur humain qu’Elle a réussi à donner aux forces qui soutiennent l’Univers le parfum de la tendresse et le visage de l’Amour.

Si la religion chrétienne veut aujourd’hui offrir à ses adeptes de véritables eucharisties de «communion», elle n’aura d’autre choix, que de se débarrasser de l’ancien bagage symbolique et d’en inventer un nouveau, conforme à la sensibilité et à la mentalité moderne. Cette nouvelle symbolique devra être cherchée là où les gens de la modernité voient et trouvent les signes d’une Présence bénévole et amicale qui les attire et les inspire à s’ouvrir, à leur tour, sur un monde qui ne peut s’accomplir et évoluer correctement que soutenu et secondé par les forces spirituelles de l‘amour.
Je pense donc que seulement les gestes qui nous mettent en relation autant avec la beauté de l’Univers, qu’avec l’unité et interdépendance de tout ce qu’il contient, ou encore avec le mystère de l’amour posé dans les profondeurs de l’âme humaine, seront capables de toucher notre cœur et notre esprit et de nous établir dans un état d’émerveillement, d’adoration, d’appartenance, de fusion et, finalement, de communion amoureuse avec Dieu et toutes les créatures.

Pour dire cela en quelques mots : la personne religieuse d’aujourd’hui ne découvre et ne trouve plus Dieu dans les églises et leurs rites; mais premièrement dans la globalité de la création (le Cosmos – la Nature), devenue pour les humains l’unique « Livre Sacré » de la révélation de Dieu ; ensuite, dans les profondeurs de son âme où réside le secret de sa véritable identité; et, en enfin, dans les expressions et les réalisations de l’amour qui jaillissent de son cœur.

Ils n’ont donc pas tort les penseurs qui affirment qu’aujourd’hui, dans notre monde post moderne et notre société post «religional», l’on ne trouve plus Dieu dans la religion, mais seulement dans la spiritualité. Une spiritualité comprise comme posture intérieure profonde de l’individu, par laquelle celui-ci se rend sensible et vulnérable autant à la beauté qu’à laideur du monde; autant au bonheur qu’au malheur de ses créatures.

Alors, il faudra trouver un jour l’audace de sortir de nos églises, si l'on veut célébrer de véritables eucharisties d’action de grâce et de «communion ». Il faudra créer et inventer des « milieux » plus captivants, inspirants, propices au silence, à la réflexion, au retour sur soi-même, capables de nous aider à parcourir le chemin qui mène à l’intérieur de nous-mêmes, là où été sculptée l’image de notre véritable identité; là où le courant bénévole de l’évolution cosmique a fait jaillir en nous la source de l’Amour.

Il faudra trouver de sites plus « naturels », où les traces de la Réalité Originelle (que nous avions l’habitude d’appeler « Dieu ») sont plus évidentes ; où nous pouvons nous nourrir et nous abreuver au mystère d’une Énergie amoureuse qui s’offre à nous de toute part, qui nous fait signe de partout à travers la beauté magique d’un monde qu’elle a fait surgir du néant et qu’elle habite.

Dans ces nouvelles eucharisties célébrées, (pourquoi pas!) dans la nature, dans les champs, les jardins, les parcs, les bois, aux bords d’une rivière ; sur une plage ; face à l’immensité de l’océan ; au cours d’une randonnée en haute montagne ; au cours d’un lever ou d’un coucher de soleil ; dans le silence d’une nuit étoilée ; dans un laboratoire de recherche ; dans une clinique de maternité… il est possible que nous puissions entendre avec une intensité particulière la voix de cette divine Présence qui parle à notre esprit et à notre cœur, le langage, bien sûr, de l’immensité, de la grandeur, de la beauté, de la fascination; mais aussi celui de l’amour qui se fait attention, soin, respect, responsabilité, solidarité et «communion » avec et envers toutes les créatures cosmiques et non seulement avec nos frères humains.

Je pense que le temps est arrivé pour les chrétiens de récupérer les expressions de la spontanéité et de la liberté de leur adhésion à la personne et à l’esprit de Jésus de Nazareth, qui avait découvert que, autant les misérables de la rue, que les fleurs des champs et les oiseaux du ciel, étaient pris en charge par une Tendresse qui parcourt et qui imprègne tout l’Univers.

Je crois donc que nos eucharisties devraient devenir des célébrations « cosmiques » de communion profonde avec l’ensemble de la création. Je pense qu’à la table de ces repas, les chrétiens devraient non seulement se nourrir de pain, mais remplir leur cœur et leur esprit d’une nourriture autrement plus rassasiante, faite d’extase, de fascination, d’émerveillement, de reconnaissance, d’adoration pour être partie prenante d’un Univers qui se constitue, se déploie et se développe soutenu et guidé par le Mystère d’une Présence Bénévole qui tout enveloppe de sa force, de son amour et de sa beauté.

Je pense que nos eucharisties devraient devenir des occasions et des événements sacrés d’authentique partage, de communion, d’aide et de compassion envers tous ceux qui sont en situation de pauvreté, de détresse, d’injustice, de violence et d’oppression.

Nos eucharisties devraient détruire en nous le conformisme et l’indifférence ; bâtir l’audace et le courage de la lutte contre toutes les formes inhumaines d’exploitations. Elles devraient surtout nous rendre conscients que si elles ne réussissent pas à nous transformer en de meilleures personnes, sensibles aux besoins du monde et prêtes à s’engager, dans la mesure de leurs forces et de leurs possibilités, au service de la planète et de toutes les créatures qui l’habitent, elles ne servent à rien, si non à nourrir l’illusion de notre probité et de notre rassurante et vaine religiosité.


BM





[1] Il peut être est intéressant de relever la fréquence avec laquelle le mot « sacrifice » est utilisé, par exemple, dans les oraisons des messes du temps de Carême de missel catholique, pour indiquer la liturgie eucharistique qui est en train de s’accomplir.
[2] Le fameux contemptus mundi de la spiritualité monastique et de la Devotio Moderna (XVs) dont l’ouvrage le plus représentatif est l’Imitation de Jésus-Christ de Thomas a Kempis (+1471) . 

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