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lundi 15 mai 2017

LA DIVINISATION DE L'HOMME PAR SON HUMANISATION

(Jn 10,1-10 - 4e dimanche de Pâques, A)

Depuis la nuit des temps, les hommes ont cherché à comprendre le mystère de leur existence et de celle de l’Univers. Pourquoi existe-t-il quelque chose plutôt que rien? D’où vient le monde tel que nous le connaissons? D’où venons-nous? Pourquoi sommes-nous là?

Pour trouver une réponse à ces questions, chaque culture, chaque civilisation, chaque peuple, chaque religion ont élaboré leurs propres histoires et créé leurs propres mythes. Presque tous ces mythes attribuent l’origine du monde et de la vie à une Puissance préexistante et extérieure à notre monde, imaginée comme une Entité personnelle et aimante qui, ne voulant pas être seule à posséder l’existence et la vie, a voulu les partager avec d’autres créatures. Ainsi, sortant de son abyssale solitude, elle s’est déversée hors d’elle-même, en fécondant le vide originel de sa mystérieuse présence et en faisant retentir partout l’extraordinaire mélodie de sa grandeur et de sa beauté. C’est ainsi que, selon les mythes, Dieu a créé le ciel et la terre. Les récits mythiques racontent aussi comment Dieu a mis un soin particulier dans la création de l’homme ; comment, après l’avoir moulé avec la boue de la terre, il lui insuffla son Esprit, pour en faire une créature spéciale, capable d’aimer et portant donc en elle les traits de la ressemblance avec Dieu.

Les mythes anciens ont donc exprimé, à leur façon, une intuition présente sans doute, depuis toujours, dans les structures originelles et les archétypes de la pensée humaine: une sensation qui fait pressentir que les profondeurs de l’homme, là où se trouve sa nature la plus authentique, là où s’ouvrent les «cavernes» et la «source» de son être, là où jaillit sa conscience et où s’est allumée sa capacité d’aimer, sont éclairées à la lumière de Dieu et animées par l’action de son esprit.

Cette même intuition nous l’exprimons maintenant, nous aussi au XXIe siècle, non plus à travers les récits fantastiques des mythes, mais à travers le langage plus précis, plus réaliste et plus assuré des sciences et des découvertes modernes (anthropologie, ethnologie, physique quantique, astrophysique…). La seule différence consiste dans le fait que maintenant Dieu est perçu non plus comme une Entité anthropomorphique, personnelle et surnaturelle, existant en dehors, au-dessus et au-delà du monde matériel duquel elle reste distincte et séparée, mais comme étant l’intérieur même de l’Univers qui en est sa manifestation ; comme étant l’âme et l’esprit de tout ce qui existe ; comme Énergie amoureuse qui, de l’intérieur de la réalité, se manifeste et s’explicite en créant continuellement du nouveau et en faisant évoluer la création vers des formes toujours plus complexe et plus accomplies d’être, jusqu’au surgissement de la vie, de la conscience et de l‘amour dans le cœur de l’homme.

Jésus de Nazareth fut le premier à comprendre et à proclamer que ce que nous appelons Dieu, n’est autre chose qu’une Énergie amoureuse qui cherche à se communiquer et qui trouve dans l’être humain le lieu privilégié de sa présence et de son action dans le monde. La découverte que Dieu est particulièrement présent et agissant dans le cœur de l’homme bouleversera la vie du prophète de Nazareth. Sa conscience et sa conviction d’être, en tant qu’homme, le porteur spécial de la présence de Dieu et de son Esprit d’amour dans le monde, déterminera l’orientation de son existence et le contenu de ses actions. Il se sentira appelé à annoncer à tous cette « bonne nouvelle » ; à conscientiser les gens de leur importance et de leur valeur à cause du trésor qu’ils possèdent et qu’ils doivent partager et à rêver d’un monde et d’une société humaine animés et guidés exclusivement par les forces de l’Amour.

Jésus avait compris que si l’homme est le lieu de la présence de l’amour de Dieu dans le monde, alors il est fait uniquement pour aimer. Et que si, par malheur, il ne réussit pas à aimer, alors il déchoit de sa nature la plus vraie et de la tâche la plus essentielle de sa vie. Il rate le but de son existence et il se condamne à une vie qui n’a plus de sens.

Mais par contre, s‘il réussit à fonder sa vie sur l’amour, alors il se transforme en être de lumière et il sublime son humanité, en élevant le monde. En effet, plus il aime, plus il est ce qu’il doit être. Plus il aime, plus il s’humanise. En même temps, plus il aime, plus il vit de Dieu et plus il incarne les attitudes de Dieu qui est amour. Plus il aime, plus il ressemble donc à Dieu. Par conséquent, plus l’homme aime, plus il se divinise. De sorte que, finalement, on peut affirmer que nous, les humains, ne nous humanisons qu’en aimant ; et ne nous divinisons qu’en nous humanisant.

On comprend alors pourquoi Jésus a toujours été considéré par la tradition chrétienne comme un homme et comme un dieu. En effet, étant donné qu’il a vécu toute sa vie dans l’intimité avec Dieu et sous la mouvance de son Esprit d’amour, il n’a eu d’autres désirs ni d’autres joies que d’être ce «fils d’homme» qui consacre son existence à faire connaître l’amour et à le répandre à pleines mains autour de lui pour en faire bénéficier le plus grand nombre possible.  Il a donc été un chef d’œuvre d’humanité,  «un amour d’homme», une personne humaine «adorable», un homme vraiment «divin», qui a constamment trempé sa vie d’homme dans l’Esprit de Dieu et qui, à cause de cela et grâce à  cela, a pu réaliser un extraordinaire qualité d’humanité. Il a vraiment été un «homme-dieu» !

Pour Jésus donc, Dieu est essentiellement Amour qui se donne et qui, en se donnant, produit plénitude d’être et de vie. C’est pour cela que la meilleure image qu’il a pu trouver pour illustrer sa perception de Dieu a été celle du Père (Abba !). Épris de Dieu et imprégné de son esprit d’amour, Jésus n’a voulu être que le relais de cet amour qui donne la vie, qui guérit, qui rétablit, qui unifie, qui fait vivre en plénitude. Les évangiles, surtout l’évangile de Jean, mettent sur les lèvres de Jésus des phrases surprenantes. Nous ne savons pas si Jésus les a réellement prononcées telles quelles. Elles expriment, sans aucun doute, la conscience qu’il avait de sa familiarité avec Dieu, ainsi que de la mission qu’il pensait être la sienne: aider les gens, surtout les plus démunis, les plus éprouvés, les plus meurtris par la vie, à vivre une existence plus digne, plus décente, plus respectable, plus saine, plus libre, plus heureuse et donc, finalement, plus humaine. Il dira: «Moi et le Père, nous me sommes qu’un. Moi, je vis dans le Père et le Père vis en moi. Qui me voit agir, voit agir le Père. Je suis le bon pasteur, et je donne ma vie pour mes brebis. Je conduis mes brebis vers des bons pâturages où elles pourront trouver tout ce dont elles ont besoin pour prospérer et vivre. Je suis la porte qui les protèges des loups et des agresseurs. Je suis le pain qui nourrit et qui fait vivre. Je suis venu pour donner la vie et la donner en abondance. Je suis prêt à me donner totalement à cette mission, même si je dois y laisser ma peau ».  

            Poussé par cet idéal, le Maître de Nazareth rêvera d’instaurer une nouvelle forme de société à l’abri de l’oppression, de la violence, de l’avidité ; un monde sans domination des plus forts sur les plus faibles ; sans exploitation des plus pauvres et des plus petits  par les plus riches et les plus puissants.

Il est surprenant de voir comment l’Amour de Dieu qui anime la vie de Jésus ne prend jamais des envolées mystiques, mais il se fait toujours action en réponse aux besoins et aux problèmes  concrets et immédiats que les personnes expérimentent dans le quotidien de leur vie. Le théologien espagnol José Castillo fait remarquer que Jésus a eu dans sa vie trois préoccupations fondamentales autour desquelles il a pratiquement tissé toute la trame de son activité publique: la santé, la nourriture et les relations humaines.

 Jésus avait compris que pour être heureux, l’homme n’a fondamentalement besoin que de trois choses bien simples: avoir de la nourriture en suffisance, être en sante et pouvoir se garder en bonne santé et se sentir aimé. Si ces trois conditions ne sont pas réalisées, la personne sombre inévitablement dans la désolation, l’angoisse et le désespoir ; se sentant malheureuse et abandonnée, elle perd toute auto-estime et devient incapable de vivre autant à la hauteur de sa dignité humaine que de sa vocation divine.

Jésus sait que tout discours sur l’amour de Dieu et du prochain que l’on voudrait adresser à de telles personnes est et sera toujours stupide, insensé et irresponsable. Jésus sais qu’avant de vouloir nourrir les gens de Dieu, il faut les nourrir de pain ; qu’avant de vouloir assurer le salut de leur âme, il faut assurer le bien-être et la santé de leur corps.  Et c’est bien pour cela qu’il a consacré toute son activité publique à guérir les malades, à encourager la convivialité, à lutter contre les tabous alimentaires, les lois, les normes religieuses et culturelle qui défendaient l’usage de certains aliments impurs , ou limitaient l’accès ou la consommation de la nourriture et la fréquence des repas ; et a bâtir des relations humaines à l’enseigne de la fraternité, de la bonté, du respect, de la compassion, de la tolérance et du service réciproque dans l’amour.

Jésus est convaincu que le bonheur humain est pour ici et maintenant ; et que c’est dans le présent que chacun doit s’accomplir humainement. Et que c’est donc dans le quotidien de la vie qu’il faut trouver les conditions de notre bonheur, pour être à même de le répandre et de le diffuser autour de nous sous forme d’amour et de don de soi. Comment aimer l’autre, lorsqu’on se sent rejeté soi-même ? Comme être artisans de bonheur, si nous nous nous débattons dans notre malheur ?  Comment infuser de la vie et de l’espoir, si nous sommes angoissés par nos problèmes et que notre vie s’effrite ou nous échappe parce que nous sommes incapables de l’assumer convenablement ? Comment croire en un Dieu d’amour, si nous n’expérimentons que le désamour, l’indifférence, l’égoïsme, l’individualisme, le rejet, la solitude, l’oppression et la haine ?

Jésus avait compris que l’être humain ne peut se réaliser vraiment comme personne et devenir pleinement humain, que s’il devient un être capable de bonté, de don de soi et d’amour. Car c’est pour cela qu’il existe dans cet Univers. La mesure de sa vérité et de son humanité est donc donnée seulement par la mesure de son amour envers les autres.

 Comme di Castillo, Jésus a déplacé le centre de la religion. Ce centre qui nous rend meilleurs, agréables à Dieu et qui accomplit notre humanité, n’est plus dans la soumission aux autorités religieuses, dans la fréquentation du Temple, dans les rites, les sacrements, les observances religieuses, les pratiques de la piété et de la dévotion, mais dans la rue, dans le métro, à la maison, sur les lieux de travail, de vacances, sur les places et les supermarchés… car c’est là que nous rencontrons le monde réel, les personnes qui ont besoin de nous et qui attendent notre sourire, notre affabilité, notre bonté, notre écoute, notre sympathie, notre compréhension, notre amitié, un tout petit geste d’amour...

Si nous considérons que cette attitude nous vient de notre adhésion à Jésus qui pourra nier qu’il est pour nous le meilleur des bergers ? Ne nous a-t-il pas nourri de ses valeurs et uni ensemble avec les liens de la fraternité et la conscience d’un Amour qui nous habite et qui nous stimule à construire une nouvelle sorte d’humanité ?

BM

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