(Luc 5,1-11)
Voyons un peu ce que ce vieux texte d’évangile de
Luc cherche à nous dire, à nous les hommes et les femmes d’aujourd’hui. Ce récit nous
transporte dans un petit village de Galilée. La vie y coule tranquille,
routinière, monotone. Chacun a ses petites activités, son petit métier, ses
petites occupations; chacun construit sa vie comme il l‘entend: selon ses
capacités, ses moyens... et tout compte fait, chacun y trouve son gagne pain,
sa raison de vivre et, finalement son petit bonheur. Une vie donc bien
tranquille, sans soubresauts, sans trop de problèmes... sans trop de
prétentions non plus... des gens qui ont appris à se contenter de ce qu'ils ont; à ne pas se
créer des besoins inutiles; à ne pas avoir de grandes aspirations, car ils
savent que la vie est souvent cruelle et qu’elle se charge bien souvent de nous
désenchanter et de nous rabattre si nous avons de grandes attentes.
Des gens qui vivent donc au jour le jour... la
pêche de nuit... presque toujours de maigres prises, car le lac est trop
exploité, et les quelques sous qu’on retire de la vente du poisson suffisent
pour faire vivre la famille... et le jour on se repose, on bavarde avec les
copains, on répare les filets. On n’attend rien d’autre de la vie. D’ailleurs
qu’est-ce que la vie pourrait offrir de plus à ces gens sans culture, sans
ressources, sans moyens, sans influence, sans pouvoir ? Ils savent qu’ils sont
destinés à vivre dans la pauvreté, dans la médiocrité et dans l’anonymat le
reste de leur existence. Ce sont des gens, d’une certaine façon, satisfaits,
tout en étant, en même temps, des gens désabusés et résignés. Mais précisément à
cause de cela, ils sont aussi des gens sans futur, sans avenir, sans
aspirations; bloqués sur le rivage du lac, inexorablement liés à leurs barques,
prisonniers de leurs habitudes et de leurs routines, de leurs préjugés; des
gens qui n’auront jamais la hardiesse ou la pensée de prendre le large, de
partir à l’aventure pour découvrir de nouveaux paysages, pour voir de nouveaux
horizons, pour faire de nouvelles
expériences, pour enrichir autrement leur vie misérable.
Comme ils nous ressemblent ces pêcheurs peureux
et résignés assis au bord du lac de Génésareth! Ces pêcheurs c’est nous autres !
Incapables de nous déraciner ! Collés à nos rivages. Attachés à nos modes de
vies, à nos idées établies, à notre bonne vieille religion, à nos confortables croyances,
à notre foi si rassurante, à nos illusions de vérité. Incapables d’ouverture,
de souplesse, de tolérance. Terrorisés par tout changement. Satisfaits de ce
que nous sommes et de ce que nous faisons, de ce que nous avons et de ce que
nous croyons. Enfermés dans nos petites routines, nos habitudes, nos égoïsmes;
bien blottis dans la chaleur de notre petit nid bien confortable et bien
douillet.... nous avons depuis longtemps renoncé à l’aventure, au désir de voir
d’autres mondes, de découvrir d’autres rivages, de connaître un autre Dieu et
de vivre peut-être un mode de vie différent.
Le texte de l’Évangile vient nous dire que dans
la vie il faut être toujours prêts à partir vers une autre direction et à
s’embarquer sur un nouveau bateau, si cela sert à nous faire croître en
humanité et à donner plus de qualité, d’épanouissement et d’accomplissement à
notre existence. Voilà pourquoi il présente Jésus qui vient tout à coup
interpeller ces gens assis autours de leurs filets. Il les invite à écouter une
parole nouvelle, à voir le monde autrement, à regarder plus loin, à se mettre
debout, à quitter le rivage et à prendre la voie du large: ”Avance au large”
dit-il à Simon. Il les invite à avancer sur la mer (symbole de l’inconnu, des profondeurs menaçantes et de danger ), à vaincre et à sortir de leurs peurs, à
lâcher leurs sécurités, à s’éloigner de leur pays, de leurs maisons, du cercle
étroit de leur clan, de leurs amis et à regarder plus loin, au-delà des limites
étroites dans lesquelles se joue tout le sens de leur vie. Le monde est plus
vaste que leur village et l’humanité ne si limite pas aux seules personnes qui
les entourent et la vérité aux quelques croyances ou convictions surfaites sur
lesquelles ils ont construit le sens de leur existence. A travers l’attitude de
Jésus, l’évangile veut nous conduire à sortir de nos peurs, de nos méfiances,
de nos gestes égoïstes et à nous ouvrir à la nouveauté du message de Jésus, à
l’accueil du nouveau visage de Dieu qu’il nous révèle, à faire confiances aux
autres, à nous rendre sensibles aux besoins des autres et aux attentes de
l’humanité toute entière. Gare à nous si nous nous replions sur nous-mêmes, si
nous réduisons notre vie à la seule recherche de notre confort et de notre
intérêt personnel; si nous nous enfouissons dans notre trou; si nous ne faisons
que creuser des tranchées autour de nous pour nous défendre des autres, parce
que nous présumons qu’ils pourraient être de potentiels ennemis et agresseurs.
C’est pour cela que dans l’Évangile, Jésus
presse les siens non seulement à prendre le large, mais aussi à jeter les
filets confiants dans la parole de Jésus qui nous pousse à le faire. Jeter les
filets sur la parole du Seigneur signifie: créer des relations. Le
disciple de Jésus est essentiellement un être de relations, c’est-à dire une
personne qui œuvre pour mettre sur pied des réseaux de solidarité humaine; pour
établir des contacts, des rapprochements, pour faire tomber les barrières des
préjugés, de la méfiance et des différences; pour réaliser de l’amitié, de la
fraternité, de la communion, pour semer de l’amour. Au milieu des vagues
menaçantes de la mer qui, dans la
Bible , représentent les dangers d’un monde égoïste, méchant, cruel
et violent, les disciples de Jésus sont appelés à jeter les filets qui
permettent à d’autres, perdus et malheureux dans la solitude fatale du large, de
s’accrocher à la barque d’où vient leur salut.
L’Évangile veut finalement nous assurer que
ceux qui dans leur vie sont capables de devenir, par la grâce de Dieu, des êtres
de relations, des êtres ouverts et accueillants, des bâtisseurs de ponts, des
jeteurs de filets, des créateurs de réseaux, des disciples animés et inspirés
par l’amour et la confiance et non par la peur, la méfiance et le préjugé... et
bien, ceux-ci, affirme l’évangile, réussiront pleinement leur vie, car ils
auront la joie d’avoir toujours leur barque remplie de poissons. Ce qui veut
dire que leur existence sera comblée, réussie, pleine de sens ; ils seront des
personnes aimées, appréciées, recherchées; ils seront toujours entourés d’une
multitude d’amis et gratifiés par l’amitié, l’attachement et la reconnaissance
de ceux et celles qui auront été peut-être sauvés, grâce à eux, de la solitude,
de la pauvreté, de la détresse, de l’angoisse et du désespoir.
En un mot, l’Évangile d’aujourd’hui veut nous
faire comprendre que le salut et le bonheur de l’homme sont dans sa capacité de
sortir de lui-même, dans l’accueil de l’autre et dans la quantité et la qualité
d’amour qu’il est capable de répandre autour de lui.
Que le Seigneur nous donne d’être de telles personnes !
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