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jeudi 11 juin 2015

LE CHRISTIANISME EST UN HUMANISME NON PAS UNE RELIGION



 1 - Un Dieu élaboré par l’homme


Dans les milieux religieux et cléricaux de l’Occident on entend souvent dire que nous vivons dans un monde qui a chassé Dieu de l’horizon de l’existence humaine; que la foi en Dieu a disparue ou qu’elle n’a plus aucune influence sur la vie ordinaire de la majorité des gens. Dans les milieux cléricaux on a pris l’habitude d’attribuer cette «exécution» ou cette «mort» de Dieu au fait d’une société moderne devenue laïque, séculière, hédoniste, matérialiste, relativiste. On accuse la mentalité scientifique et technique qui n’a plus besoin de recourir à l’hypothèse «Dieu» pour expliquer les phénomènes physiques du monde naturel. S’il y a une certaine vérité dans cette description des raisons de la désaffection moderne face à l’idée traditionnelle de Dieu, en réalité ces raisons semblent avoir été avancées par les responsables religieux plus pour se donner bonne conscience, que pour se questionner sur la validité de leurs doctrines. De fait, ce qui semble être mort, ce n’est pas Dieu, mais l’idée ou l’image de Dieu élaborée et transmise par la religion et qui s’avère aujourd’hui inacceptable.

Quelle est cette image inacceptable de Dieu ?

 Un Dieu conçu comme un Super-Individu avec qui on peut entrer en relation personnelle; à qui on peut demander faveurs et protection; que l’on peut adorer, prier, offenser. Un Dieu anthropomorphique, conçu à l’image de l’homme, qui peut ressentir bienveillance et amour, mais aussi avoir des réactions de rancune, de colère, d’agressivité, de vengeance. Un Dieu que l’on imagine situé «là-haut», dans le «ciel» séparé de la réalité du monde.
Un Être imaginaire donc, produit de l’ignorance, de la peur et de l’angoisse de l’homme lorsque ce dernier prend conscience de sa finitude et cherche à justifier son existence perçue comme éphémère et non-nécessaire. Un Dieu qui sert à combler un besoin de sécurité lorsque l’individu est confronté à sa fragilité, à sa vulnérabilité et à l’inévitabilité de sa fin.
Une Superpuissance qui est le vis-à-vis rassurant de la faiblesse humaine et l’explication des phénomènes naturels qui autrement resteraient mystérieux et énigmatiques.
Une Entité Surnaturelle aux pouvoir illimités qui, dûment traîtée, par des rites, des prières et des sortilèges, est capable de protéger les humains des calamités de l’existence, guider leur vie et récompenser leur soumission.

Sur ce Dieu, les humains ont projeté toutes les qualités et les attributs qu’ils auraient voulu eux-mêmes posséder, mais qui leur font inéluctablement défaut: durabilité, pouvoir, puissance, bonté, sagesse, bonheur … et cela à un degré infini. Donc, un Dieu infiniment parfait, face à une humanité extrêmement imparfaite. Une divinité toute-puissante, conçue à l’image des pouvoirs absolus des grands de ce monde, face à une humanité faible, fragile, indigente et dépendante. Cette divinité immensément équipée, a été appelée Dieu, l’Infini, l’Absolu, le Tout-Puissant, l’Éternel, le Transcendent...

Cependant, ce n’est pas parce que les humains ont pensé Dieu de cette façon, que cette façon de penser Dieu correspond à quelque chose de vrai dans la réalité. Ce Dieu est et reste un «produit» et une «projection» de l’imagination humaine. Il n’existe nulle part. Il est le résultat de l’activité cérébrale d’un mammifère particulièrement évolué et  «immergé» dans la réalité physique de cet Univers qui est la seule réalité accessible à la connaissance humaine. En effet, les capacités cognitives qui émergent de la structure neurophysiologique du cerveau humain sont inexorablement conditionnées par le fonctionnement du système nerveux qui ne peut être sollicité et activé que par les stimulations qu’il reçoit du monde extérieur (les cinq sens). Toute connaissance d’une réalité «surnaturelle» qui existerait en dehors de la «nature» de notre monde est donc une absurdité. Toute affirmation sur l’existence ou la nature d’une Réalité «transcendante», «autre» ou d’un «au-delà» de ce monde, est nécessairement une affirmation dénuée de fondements.


2 - Dieu, un produit humain dangereux


Étant une production de l’homme, ce Dieu est nécessairement un produit imparfait qui, à la longue, s’avère contradictoire et même dangereux pour la race humaine. Comment concilier, par exemple, un Dieu tout-puissant et infiniment bon, avec l’état de fait d’un monde qui baigne dans un océan de mal et de souffrance? La présence du mal et de la souffrance à une telle échelle contredit et annule l’existence d’un tel Dieu. Il est en effet évident qu’un tel monde ne peut pas être créé par un Être qui est en même temps infiniment bon et infiniment puissant.

Cette Divinité est aussi un produit extrêmement dangereux. Car un Dieu conçu comme transcendant, tout autre, séparé, saint, différent, supérieur, dominant, exigeant ... introduit dans la pensée humaine les concepts de séparation, de sacré et de profane, de pur et d’impur, de bien et de mal, de soumission et d’insoumission, de conformité et de non-conformité, de permis et de défendu, de coupable et d’innocent, de juste et de pécheur, de fidèle et d’infidèle. En conséquence, il introduit dans l’esprit de l’homme et dans l’organisation de sa vie et de la société dans laquelle il vit, des comportements et des attitudes discriminatoires qui génèrent préjudices, inégalités, oppositions, hostilités, fanatisme, violences, persécutions …sans parler de l’ambivalence des comportements qualifiées de bons et de mauvais, selon qu’ils correspondent ou pas à la volonté ou aux caprices de la divinité.

Plaire à la divinité qui a le pouvoir de récompenser et de punir, de faire vivre et de faire mourir, de sauver et de perdre, devient alors le souci primordial de la personne «religieuse» et une source continuelle d’angoisse et de culpabilité. Cela explique la «violence» que l’on retrouve dans l’expérience religieuse en général et dans l’expérience religieuse chrétienne en particulier. Les croyants sont continuellement «violentés» par les démons de la tentation, de la faute, du péché, de la transgression; par la hantise de la conformité; le souci du détachement et du sacrifice; par la peur du jugement divin, de la punition éternelle. Ils sont tourmentés par le sentiment de leur incapacité à satisfaire les volontés d’une divinité envahissante, tatillonne, sévère et difficile. Alors ils se culpabilisent; ils perdent la conscience de leur valeur et de leur grandeur. Ils soupçonnent leur corps d’être un mauvais compagnon pour leur âme; ils dénigrent leur humanité, car ils pensent qu’elle s’oppose aux attentes de la divinité. Leur existence subit ainsi une continuelle agression qui les fatigue, les humilie, les avilie, les rabaisse, qui détruit leur confiance, qui les empêche de croire en eux-mêmes, d’être heureux, d’avoir du plaisir, de jouir de la vie, d’assumer une attitude positive et souriante devant la beauté de la création et les valeurs matérielles-temporelles de l’existence. La croyance en ce Dieu inventé par les hommes, empoisonne littéralement la vie des humains.

Aujourd’hui la contagion planétaire des mouvements religieux extrémistes et fondamentalistes, nous place dans une position privilégiée pour constater la vérité des propos exposés plus haut. Mais il y a plus grave: ces mouvements extrémistes nous montrent que Dieu est dangereux même lorsqu’on s’en sert pour fonder sur lui l’égale dignité des humains. Dans ces mouvements extrémistes, les «fidèles» trouvent en Dieu le garant de leur égalité et de leur dignité. Toutefois, cette même dignité et cette égalité, réclamées pour leurs adeptes, sont refusées aux autres, aux «infidèles», c’est-à-dire à ceux qui ne partagent pas leur idée de Dieu ou leur modèle d’humanité. Dans ces mouvements extrémistes, les «fideles» s’identifient à leur Dieu et les «infidèles», considérés des individus «sans Dieu», sont maudits, anathématisés et violemment rejetés.

Cette attitude de violence générée par des formes aberrantes de croyances religieuses, n’est pas une exclusivité des courants extrémistes modernes. Depuis toujours elle a accompagné l’histoire religieuse autant de l’Orient que de l’Occident. L’histoire du christianisme ne fait pas exception. Depuis le Concile de Nicée (313), décrété par l’empereur Constantin, jusqu’au XVI siècle, le christianisme a été une religion basée non pas sur la foi en Dieu « Père plein de tendresse et d’amour » dont nous parlent les évangiles, mais sur la peur de Dieu, Être Transcendant, lointain et tout-puissant (le Dieu «Pantokrator» défini au concile de Nicée), calqué sur le moule des pouvoirs totalitaire et absolus des potentats de ce monde qu’il sert à justifier. Ce n’est pas la place ici de faire l’histoire des dérives de ce pouvoir (et de la violence qu’il a générée) dans la religion chrétienne de Occident. Qu’il suffise de nommer brièvement quelques exemples d’horreurs perpétrées par la violence et la haine rendues possibles par cette conception de Dieu: les croisades, l’inquisition, les guerres de religions, la traque des dissidents et des hérétiques, la chasse aux sorcières, la conquête espagnole (et catholique) des Amériques avec le massacre des indiens, le racisme, les mouvements missionnaires …

Depuis la nuit des temps l’imaginaire humain a identifié la divinité et le divin à ce qui est élevé, grand, puissant; à ce qui exige adoration, respect, obéissance; à ce qui a le droit et l’autorité de s’imposer, de commander, de punir et de récompenser. Ce type de divinité semble être devenue le modèle du comportement humain réussi. De sorte que, non seulement les humains en général aspirent à posséder la grandeur et les pouvoirs des dieux; mais ils réussissent aussi à s’en attribuer les hommages. Ainsi en fut-il, par exemple, des pharaons d’Égypte, des rois assyro-babyloniens, des empereurs romains, des rois de France et des représentants des grandes dynasties précolombiennes en Amérique latine. C’est généralement sur le paradigme du pouvoir divin que se sont construits et justifiés tous les pouvoirs absolus du passé et du présent, autant religieux que profanes. Dans le christianisme (surtout dans sa version catholique), les hautes autorités religieuses ne continuent-elles pas à se croire gratifiées de la part de Dieu d’un pouvoir absolu sur les âmes et les consciences des fidèles? Dans le monde de la finance, du sport, du spectacle, de la mode, les individus qui ont réussi à acquérir succès, célébrité, prestige, beauté et richesse, ne sont-ils pas adulés, admirés, vénérés comme s’ils étaient des dieux? Et, en même temps, ne sont-ils pas considérés comme des enviables modèles d’une existence «divinement» réussie ?


3 - Jésus, manifestation d’un «autre» Dieu


Si les hommes ont identifié Dieu avec la toute-puissance et le pouvoir absolu et si les individus détenteurs de ce pouvoir ont souvent été considérés comme des divinités dignes de la même adoration et de la même gloire, que penser de Jésus de Nazareth qui a disqualifié de façon totale toute forme et toute manifestation de domination et de pouvoir (Mt.20, 25-28; Mc.10, 42-45)? N’est-il pas le premier homme de l’histoire qui, en s’érigeant contre le pouvoir, s’est aussi dressé, par le fait même, contre une fausse et funeste image de Dieu et contre un néfaste et déplorable modèle d’humanité? Tout l’enseignement de Jésus peut être réduit à ces affirmations fondamentales:
-Le pouvoir, la puissance, le prestige, la supériorité, la grandeur, la richesse, la suffisance, l’arrogance, ne peuvent jamais être associés à Dieu et ne sont jamais le signe et la manifestation ni de sa nature ni de sa présence.
-Dieu est immanent à notre monde et il est particulièrement présent dans l’humain qui est faible et démuni, mais qui sait aimer.
-Là où il y a amour désintéressé, là il y a non seulement présence du «divin», mais aussi présence authentique de l’«humain».

Dans la suite de cet article je vais essayer d’élaborer et d’élucider ces intuitions de base du Maître de Nazareth.

J’ai déjà dit plus haut que la nature de Dieu est inaccessible à la connaissance humaine et que toute description ou définition de Dieu est fausse et insensée. De Dieu nous ne pouvons connaître que les manifestations visibles (les signes) de son existence. Si nous ne pouvons rien dire ni rien connaître de ce qu’est Dieu en lui même (essence ou nature de Dieu), nous sommes cependant capables de saisir la réalité de ce monde et d’émettre l’hypothèse que, puisqu’il y quelque chose plutôt que rien, Dieu est peut-être le nom commun par lequel, depuis toujours, on cherche à exprimer la Réalité Ultime, le Mystère Originel, la Source et la Profondeur de l’être, l’Énergie de Fond qui lance et garde les êtres dans l’existence. Cette Énergie serait à l’origine du mouvement évolutif propre à notre Univers, où tout est en mouvement vers des formes toujours plus accomplies et supérieures d’être. Cette Énergie Fondamentale apparaît comme une Source «matricielle» et donc comme une Réalité «amoureuse» et «bénévole». Dans le monde, tel que nous le connaissons, Dieu semble être donc particulièrement présent et agissant là où il y a ébauche et germination d’être; là où il y a incomplétude, insuffisance, impuissance, faiblesse. C’est lorsqu’il y a manque, pauvreté, petitesse, imperfection, fracture, que semblent s’activer les Énergies qui conduisent les êtres de ce monde vers un meilleur achèvement et une plus grande complexité, en créant relations, connexions, dépendances et communion. C‘est d’un vide total et d’un presque rien initial qu’a jailli l’immensité, la diversité et la beauté époustouflante de l’Univers.

Ces dynamiques qui semblent être propres à la Réalité Ultime, nous les retrouvons, exactement identiques, dans la perception que Jésus a et qu’il nous transmet de Dieu. Jésus fait l’expérience de Dieu comme d’une Réalité Spirituelle qui se donne et qui, en se donnant, crée, transforme, renouvelle, guérit, complète, perfectionne, accomplit. Cette expérience de Dieu soutient toute son action et détermine l’orientation et la qualité de sa vie. Son existence, calquée sur celle de Dieu, le transformera en «l’homme pour les autres», qui se donne sans calculer à tous ceux et celles qui vivent des formes et des situations de manque et de débilité. Jésus ne se reconnaît lui-même en tant que personne que dans la profondeur de cette relation amoureuse qu’il a établi avec la Réalité Ultime qui, pour lui, a acquis toutes les caractéristiques d’un être personnel.

Et puisque cette qualité de relation avec Dieu est ce qui a fait de Jésus l’«homme» qu’il a été, il faut en conclure que toute personne qui configure son existence selon les orientations, les attitudes et les valeurs propres à la vie de Jésus, non seulement se réalise en humanité, mais devient, comme Jésus, signe et manifestation de la présence du «Nouveau», de l’«Inouï» et de l’«Incomparable» dans notre monde. En d’autres mots, le «phénomène Jésus» nous indique dans quelle direction chercher pour trouver le lieu de la présence de Dieu dans notre Univers, ainsi que la formule d’une authentique humanisation de l’individu.

De sorte que chaque personne qui réalise son humanité d’après ce modèle, devient, pour ainsi dire, autant une icône qu’une preuve particulièrement convaincante de l’existence et de l’action du Dieu-Énergie-d’Amour dans notre monde. On peut comparer une telle personne à la fleur du jardin dont la vie n’est possible que dans le rayonnement du soleil et grâce à la pluie qui tombe du ciel. Chaque fleur est une preuve de l’existence du soleil et de l'eau.

Jésus de Nazareth a été pour ses disciples l’homme qui a su donner corps, consistance, visibilité à cette forme proprement originelle et «divine» d’Amour qui depuis toujours fait bondir les êtres vers un «plus-être» et qui maintenant, à ce stade évolutif de l’histoire de l’Univers, se verse, tout aussi gratuitement et largement, dans le manque radical de la misère humaine pour l’enrichir et la restaurer. Et puisque une telle qualité d’amour est apparue à ses disciples, d’une côté, comme totalement inédite et, de l’autre, comme absolument extraordinaire, ils en ont déduit qu’il était impossible que l’homme de Nazareth ait pu trouver la capacité d’un tel amour dans les «réserves» ou le potentiel de sa nature humaine. Ils en ont alors conclu que cette capacité et cette qualité d’amour lui venait d’Ailleurs; que Dieu était en cet homme; que Dieu agissait par lui; que l’Énergie amoureuse de la Réalité Ultime avait trouvé en cet homme une résonance particulièrement éclatante et que, par son intermédiaire, elle était en train de guérir l’imperfection et le mal du monde. Ses disciples ont eu l’impression qu’en l’Homme de Nazareth l’Amour Originel s’était humanisé et que désormais cet individu serait resté pour les humains non seulement le séjour privilégié de la présence divine, mais aussi le prototype et le paradigme d’une humanité accomplie selon le projet et les attentes de Dieu. La personne de Jésus leur est apparue comme le lieu d’une manifestation et d’une concentration uniques des forces de l’Amour dans notre monde.


4 - Le Dieu de Jésus une Énergie «faible», car elle se manifeste dans la faiblesse et l’indigence des êtres


Les écrits chrétiens des origines nous ont laissés une documentation saisissante concernant le sentiment éprouvé par les premiers disciples d’une présence singulière de Dieu dans la vie de leur Maître. Ces documents présentent Jésus comme Parole de Dieu, comme quelqu’un qui est né de Dieu, sorti de Dieu, venu de Dieu, modelé et structuré par l‘action de Dieu. Dans les évangiles, Jésus affirme connaître les intentions et la volonté de Dieu. Il dit posséder l’esprit de Dieu, la parole de Dieu et il déclarera même être une seule chose avec ce Dieu qui l’habite et qu’il appelle tendrement «Père». Voici quelques affirmations que ces auteurs ont mis sur les lèvres de Jésus: «:Celui qui m’a vu a vu le Père. Je suis dans le Père et le Père est en moi. Celui qui m’aime est aimé de mon Père. Celui qui me hait, hait aussi mon Père. Les paroles que vous entendez, elles ne sont pas de moi, mais du Père qui m’a envoyé. Tout ce qui est à mon Père, est à moi. Je ne suis pas seul, le Père est avec moi. Moi et le Père nous sommes un.»
Dans la première lettre de Jean on trouve ces déclarations surprenantes: «L’amour vient de Dieu et quiconque aime est né de Dieu. Voici ce qu’est l’amour: ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, c’est lui qui nous a aimé et qui a envoyé son Fils. Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous et son amour en nous est accompli. Dieu est amour et celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu et Dieu demeure en lui. Nous nous aimons parce que Dieu, le premier, nous a aimés...».

Si dans la vie et le comportement de Jésus les Énergies divines de l’Amour qui créent et recréent les êtres, ont pu se manifester et s’expliquer d’une façon aussi remarquable, ce n’est pas étonnant que ce soient surtout les petits, les simples, les humbles, les démunis, les faibles, les malades, les ratés qui, les premiers, par une sorte  d’affinité avec la «nature» de Dieu, ont senti que cet homme dégageait le parfum de Dieu et que Dieu leur faisait signe à travers lui. Ils eurent l’impression que Jésus était comme une fenêtre ouverte qui laissait entrevoir quelque chose du paysage de Dieu; qu’il ouvrait l’accès à un nouveau monde; à une nouvelle façon de penser, d’aimer et de vivre; qu’il était porteur d’un message différent, d’un esprit libérateur qui semblait lui venir d’Ailleurs. Cela explique l‘engouement des foules à son égard, la fascination qu’il exerçait, l’émerveillement qu’il suscitait, les questions qu’il soulevait: «Qu’est-ce que c’est que ça? Que se passe-t-il avec cet homme? D’où vient-il? Qui est-il? Que penser de lui? ». Il serait faux de croire que les gens voyaient Jésus comme un Dieu, mais il est hors de doute qu’ils expérimentaient en lui la présence d’un Dieu nouveau qui les perturbait et les déstabilisait, mais qui, en même temps, les séduisait. Jésus leur réverbérait l’image d’un Dieu «humain» qui se penche sur le manque pour le combler; qui prend soin de la pauvreté, de la faiblesse, de la détresse, de l’imperfection, de la misère et de la souffrance des humains. Un Dieu donc qui s’humanise en aimant et qui rend plus humains ceux qui aiment.

Jésus se considère lui-même comme un pauvre qui a tout reçu de Dieu; il enseigne que nous sommes tous des mendiants et que nous n’existons et que nous ne valons que par la largesse de sa générosité, la richesse de ses dons et la gratuité de son amour. Rien n'appartient à personne et personne n'est «quelqu'un»; personne n’est supérieur, meilleur, plus important et plus puissant que les autres, car nous sommes tous nuls et nécessiteux. «Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement». Puisque tout ce que nous sommes et tout ce que nous avons est don gratuit, il n'existe qu'un seul «devoir» vis-à-vis des autres: donner, partager, aider, servir, aimer. « Donnez à qui vous demande» (Mt 5, 42), en voyant Dieu en chaque nécessiteux. (Drewermann).

Au centre de la vie et du message de Jésus il y a donc l’annonce que Dieu se révèle dans la misère humaine. Là où il y a détresse, là il y a besoin d’amour; et là où il y a besoin d’amour, là Dieu est présent. Pour Jésus c’est l’autre, spécialement s’il est pauvre (ce mot doit être pris dans son sens plus ample de manque, privation de tout ce qui peut donner valeur et dignité à une existence humaine), le lieu privilégié de la présence et de la manifestation de Dieu en ce monde. Dans la parabole du jugement dernier (Mt 25), Jésus affirme en toutes lettres que ce qui est fait à l’autre dans le besoin est fait à Dieu. Jésus nous raconte que c‘est Lazare, pauvre et meurtri, quêtant à la porte du riche égoïste les miettes qui tombent de sa table, celui qui, à la fin de sa vie, se découvre vivant en Dieu. Restent donc disqualifiées toutes formes et expressions de pouvoir, de supériorité, de prééminence, de cupidité qui visent à exploiter, à opprimer, à soumettre, à rabaisser, à avilir les autres. Seule restent qualifiée les attitudes de la bonté, de la disponibilité, de l’accueil, du dévouement, du service amoureux, désintéressé et fraternel que Jésus englobe sous l’appellatif de «foi».

Pour Jésus être capables d’adopter comme option fondamentale de vie cette attitude d’amabilité et de service envers les autres, c’est avoir la foi. Jésus exhorte souvent ceux et celles qui l’entourent à «avoir la foi». Cependant pour lui avoir la foi ce n’est jamais «croire» en des vérités ou en des affirmations dogmatiques Pour Jésus «croire» ce n’est même pas croire en Dieu. La personne de foi est celle qui a le cœur tendre et rempli de compassion pour son prochain. L’homme de foi est celui qui est capable de sortir de lui-même, de se décentrer pour se centrer sur les autres, aller vers les autres, se donner aux autres, surtout lorsque ceux-ci sont faibles et démunis. Dans les évangiles, la foi que Jésus encourage et admire est souvent celle qu’il trouve en des personnes qui ne sont ni spécialement croyantes, ni particulièrement religieuses (le centurion romain, la cananéenne, le samaritain), mais qui manifestent de l’intérêt, de l’empathie et de la bonté envers leur prochain. Pour Jésus la foi n’est donc pas la disposition intérieure qui sert à mettre la personne en relation avec le monde de Dieu, mais l’attitude intérieure qui pousse la personne à se mettre en relation avec le monde des hommes. Elle indique le sentiment de confiance en une Bonté qui se manifeste et se déploie concrètement et pratiquement en faveur de tous ceux et celles qui sont en manque d’amour, de considération et de bonheur, afin qu’ils puissent retrouver la pleine mesure de leur dignité et de leur humanité. C’est pour cela que la foi selon Jésus est fondamentalement une foi qui sauve.


5 - Le christianisme est un humanisme en action


Dans les évangiles la foi apparaît donc essentiellement comme pratique, action et œuvre d’amour, engagement, style de vie qui s’explicite, s’actualise au ras du sol, dans le concret des circonstances de temps et de lieu où chacun tisse le quotidien de sa vie. C’est une foi qui se préoccupe de l’homme dans sa situation concrète. C’est une foi concernée par les problèmes humains, la question sociale. Nous dirions aujourd’hui que c’est une foi qui s’intéresse à la nourriture, au vêtement, au logement, au loyer; qui se préoccupe de l’emploi, des fins de mois, de la garderie, de l’école, de l’instruction, de la santé, de la solitude, de la sécurité. Elle cherche à produire de l’accueil, de la compassion, du respect, du partage, de l’égalité, de la communion, de la fraternité…

La foi et la confiance que l’Amour qui devient «grâce» est la seule force capable d’humaniser l’homme, le chrétien les ont donc puisées dans la fréquentation et la méditation de la personne et de l’ouvre de Maître de Nazareth. En réfléchissant sur le mystère de sa vie, les chrétiens sont arrivés à la conclusion que la vraie nature de Dieu n’est pas faite de superpuissance, de suprématie, de pouvoir, de domination, de grandeur qui emprisonnent la personne dans son ego, paralysent et oppriment, mais d’amour qui intervient pour guérir, faire avancer, faire grandir ce qui est faible, petit, pauvre, imparfait et donc, finalement, pour «servir» au perfectionnement et à la réussite évolutive de ce monde.

            C’est cette conviction qui a changé à tout jamais l’existence de ce pharisien fanatique qui fut saint Paul et qui plus tard deviendra le théoricien du mouvement chrétien. Lors d’une crise d’épilepsie sur le chemin de Damas, ce persécuteur de chrétiens eut la révélation subite qu’il était absurde de croire que l’on pouvait défendre les droits sacrés d’une Divinité puissante ratifiant la violence d’une persécution, et se plaisant dans les contraintes d’une Loi, dans l’autorité incontestée et incontestable du Grand Conseil, dans l‘obéissance servile de ses adorateurs. L’impuissance et la détresse ressentis par Saul lors de sa crise, le conduisirent à comprendre la stupidité de son arrogance, la vanité de sa volonté de plaire à Dieu moyennant la haine de ses ennemis et la fidélité de ses observances. Grace à sa maladie, Saul prit conscience que Dieu ne pouvait être et ne pouvait se manifester que dans l’imperfection, la faiblesse et les cris de douleur des créatures; et qu’il s’était vraiment révélé dans l’indigence et la dégradation totales de l’Homme de Nazareth que les autorités avaient cloué sur une croix. Dans son hallucination, Saul a entendu Dieu lui dire: «C'est dans la faiblesse que je montre ma force ». Après sa conversion à la foi chrétienne, Saul, devenu Paul, saura désormais que c’est seulement lorsqu’il expérimente la fragilité de son être qu’il est vraiment fort, car habité par la présence de Dieu (2 Co.12, 9-10). Paul, citant une hymne chrétienne de sont temps, proclamera qu’en Jésus Dieu s’est «anéanti» et s’est «vidé» de toutes ses prérogatives divines et qu’il s’est manifestée tel qu’il est en réalité: sous la forme du serviteur ou de l’esclave (Ph.2,7). Ici encore, pour Paul et pour tout autre chrétien, Dieu ne doit pas être cherché dans les formes ou les expression du pouvoir, de la puissance, de la grandeur, de la majesté, mais dans les expressions humaines de la petitesse, de l’abaissement, de l’insignifiance, de la souffrance, en en mot, dans la condition de l’«esclave», c’est à dire de ceux et celles qui ne sont «rien» en ce monde et pour ce monde. C’est dans les petits et les faibles que Dieu est à l’œuvre, c’est en eux qu’il est et c’est en eux qu’il se manifeste à notre monde.

Cela signifie que le projet chrétien se réalise et se déploie non pas dans le monde du sacré, mais dans le monde du profane. Il ne concerne pas Dieu, mais l’homme. Il n’a rien à faire avec une religion, une institution cléricale, une hiérarchie, des dogmes, des rites, des prières, des dévotions, des observances. Il n’a rien à faire avec la soumission et l’obéissance aux autorités religieuses. Le projet de chrétien, tel que l’Homme de Nazareth l’a vécu et transmis, s’active seulement en faveur des humains, pour lesquels, lui et ses disciples, veulent être les signes de la bonté et la tendresse de Dieu. Tout cela est évident dans le conte du Jugement Dernier de l’évangile de Matthieu (ch.25). Dans ce récit le Juge divin ne demande pas comment chacun a géré ses propres affaires, mais il veut savoir comment chacun a géré les affaires des autres. Ce texte nous informe que ce qui est vraiment important pour Dieu ce n'est pas ce que chacun fait pour assurer son propre bien-être et son propre salut; mais ce que chacun fait pour procurer bien-être et bonheur à ceux qu’il rencontre sur son chemin. Finalement ce texte nous révèle que nous serons jugés non pas sur la pratique et l’intensité de notre religiosité, mais sur la qualité et la profondeur de notre humanité.

L’originalité du mouvement chrétien consiste alors dans le fait d’avoir saisi et proclamé, à la suite de Jésus, que l’Amour est le vrai nom de Dieu et que cet amour est la source d’une authentique humanité. Le véritable christianisme annonce que ce mammifère intelligent, une des cinq espèces existantes d'hominidés, du genre homo, auquel on a donné le nom d’«homo sapiens», réussira à parfaire sa nature et à évoluer vers des formes plus épurées d’humanisation dans la mesure où il sera capable d’intégrer dans son existence et dans ses relations l’Énergie (divine) de l’Amour à l’œuvre dans le Cosmos, afin d’en devenir un relais particulièrement efficace dans les écosystèmes qu’il habite, comme cela s’est accompli d’une manière exemplaire en Jésus. Mais il ne s’agit évidemment pas de n’importe quel amour; mais seulement de cet amour qui porte la marque du divin, c’est-à-dire un amour désintéressé et gratuit qui se fait don, pardon, service, sacrifice, souci, bonté, tendresse, disponibilité vis-à-vis des créatures les plus limités, les plus fragiles et les plus vulnérables, afin de les affermir, de les guérir, de les accomplir et de les faire évoluer vers la vérité authentique de leur être. Pour les chrétiens, ce genre d’amour est la forme que Dieu prend dans la réalité de notre monde. Là où ce type d’amour apparaît et se concrétise, là apparaissent aussi les signes de la Présence divine. Le chrétien croit donc que Dieu se manifeste d’une façon privilégiée dans l’amour qui se fait action pour le salut et le bonheur de l’autre.


6 - Le christianisme n’est pas un mouvement religieux, mais un mouvement profane


Jésus se présente comme le prototype de l’humain envahi par Dieu et de la forme que Dieu prend lorsque ses virtualités apparaissent et se rendent perceptibles aux structures intelligentes de cet Univers. La vie de Jésus fournit un indice à notre connaissance de ce à quoi pourrait ressembler «Dieu» lorsqu’il apparaît dans notre immanence et de ce à quoi rassemble l’homme lorsqu’il se laisse envahir par la force de cet amour qui vient de Dieu

Ce qui est frappant dans la vie du Nazaréen c’est de constater, non seulement sa parfaite humanité, mais aussi sa parfaite «laïcité». L’homme de Nazareth ne fait pas partie de la caste des prêtres, des scribes ou des lévites. Comme juif, il n’est ni particulièrement religieux, ni spécialement pieux et observant. Il prend facilement ses aises avec la religion et ses distances avec ses pratiques. Il n’hésite pas à relativiser l’importance du culte et la fonction du Temple; à transgresser le repos du sabbat et à enfreindre les règles de pureté rituelle. Il est extrêmement critique et agressif envers la classe religieuse dirigeante. Dans les évangiles, Jésus n’apparaît jamais comme le fondateur d’une religion. Il n’a jamais établi ou fixé des espaces ou de temps sacrés. Il n’a jamais promulgué de rituels pour le culte. Il n’a n jamais ordonné de prêtres. Il n’a jamais encouragé ses disciples à fréquenter les synagogues, à réciter des prières, à offrir des sacrifices, à pratiquer le jeûne, à observer le sabbat ou les autres prescriptions de la tradition rabbinique. Il est symptomatique de constater que, dans les évangiles, la relation de Jésus avec Dieu ne s’exprime et ne s’exécute jamais à travers les gestes de la religion, mais toujours à travers la spontanéité d’un rapport direct, libre et personnel, en dehors de tout encadrement ou décor sacré, religieux ou liturgique. Le rapport de Jésus avec Dieu surgit des événements de sa vie quotidienne qui est séculière et laïque; de la fréquentation des gens simples, ordinaires, des pauvres, des malades, des «pécheurs», de la rue où il fait ses rencontres; de la table à laquelle il mange; de la proximité des hommes et des femmes qu’il croise. Cette relation avec son Dieu-Père surgit autant de la clameur des foules qui l’entourent, que du silence de la montagne, au sommet de laquelle il se retire pour mieux prier et mieux se reposer.

Ce qui est particulier de la spiritualité de Jésus de Nazareth, ce n’est donc pas la foi religieuse qui s’s’explicite dans les pratiques d’une religion, mais une façon d’agir, un style de vie déployés au service de la miséricorde et de l’amour du prochain dans lequel il voyait le visage humain de Dieu. De sorte que l’on peut affirmer que ce qui est typique de la personnalité de Jésus est son caractère fondamentalement et remarquablement humain qui cherche à humaniser ceux qui l’entourent, en les libérant des pulsions et des attitudes déshumanisantes, afin de rendre possible un monde plus humain.

Les gens qui ont fréquenté Jésus n’ont jamais vu en lui une incarnation de Dieu, mais ils ont plutôt expérimenté en lui une humanisation de Dieu. Non plus Dieu présent dans le sacré, la religion, le sacerdoce, les rites, les sacrements, l’Église, la hiérarchie; mais Dieu présent dans cet Homme qui vit dans la rue avec les simples et les petits et qui se donne à tous par amour. Dieu présent où les gestes de l’amour sont posés et reçus.

Ainsi l’image de Jésus qui transparaît des récits évangéliques est celle d’un homme qui n’appartient à aucune religion et qui est au-dessus et au-delà de toute croyance. Il serait donc ridicule de le considérer «chrétien» ou «catholique». Jésus de Nazareth n’est la «propriété» de personne, ni du christianisme, ni d’aucune église. L’Institution ecclésiastique s’est totalement fourvoyée lorsqu’elle a prétendu s’en emparer, le monopoliser et l’utiliser pour ses ambitions et pour asseoir ses besoins de prestige et de pouvoir. Jésus fait parti du patrimoine de l’humanité. Il constitue un trésor universel. Il est un chef-d’œuvre d’humanité qui appartient à tout le genre humain. La forme d’humanité qu’il a su réaliser au cours de son existence est et restera pour tous les humains, au-delà des temps, des lieux, des races, des cultures et des religions, une raison d’orgueil, un motif d’émerveillement, une source d’inspiration, une lumière sur leur route, un exemple à suivre, un but à atteindre et une raison de croire et d’espérer qu’il y a peut-être un futur pour notre planète, puisqu’elle a réussi à produire un tel miracle d’humanité.

On peut résumer tout cela, en disant que, finalement, au contact de Jésus, nous avons appris que notre relation avec le divin n’est possible que dans l’humain. Que ce qui caractérise le christianisme ce n’est pas sa foi en la divinité de l’homme (de Nazareth), mais sa foi en l’humanisation de Dieu. Dans le christianisme notre relation avec Dieu n’est pas une relation «religieuse» avec l‘Être le plus grand, le plus haut, le plus fort, le plus puissant, mais une relation «séculière» avec la réalité matérielle qui nous entoure et qui se manifeste comme une façon «amoureuse» d’être pour les autres. Et les efforts des personnes supposément «religieuses» ne sont pas des efforts pour atteindre une divinité inaccessible, mais pour atteindre des humains qui sont proches de nous et qui ont besoin de notre amour.

Être chrétien alors ne signifie pas être particulièrement religieux, mais être particulièrement humain. Dans cette vision des choses la vie humaine apparaît alors comme une vie divine où le «sacré» ne fait qu’une seule chose avec le «profane».Si cela est vrai, il est facile de comprendre que le christianisme n’est pas un projet de divinisation, mais essentiellement un projet d’humanisation.


7 - Conclusion


Jésus apparaît finalement comme l’homme qui a nié tout ce que les autres avaient affirmé de Dieu; qui a démoli tout ce que les autres avaient bâti sur l’idée qu’ils s’étaient faite de la divinité. Jésus n’a jamais accepté la nature du «theos» proclamé par les religions et, dans ce sens, il n’est pas faux d’affirmer qu’il a été un «a-theos», (un a-thée) et que le mouvement issu de lui n’est pas une religion. Au cœur du christianisme il n’y a donc pas Dieu, mais l’Homme de Nazareth, à travers lequel les croyants pensent entrevoir quelques reflets de la véritable nature de Dieu. S’il est vrai qu’il existe une Réalité divine qui cherche à nous faire signe, nous ne pouvons pas nous soustraire à la sensation que c’est en cet Homme qu’elle a réussi à trouver sa meilleure expression. Cela signifie alors la fin de la religion comme institution de médiation nécessaire à la relation et à la rencontre avec le divin.

L’existence du phénomène-Jésus est la preuve tangible que le divin est présent, vit et se manifeste d’une façon privilégiée et unique, dans l’humain. Jésus nous prouve que c’est dans la vie de tous les jours de ces humains qui mangent, qui dorment, qui travaillent, qui se divertissent, qui voyagent, qui dansent, qui aiment, qui s’égarent, qui souffrent …que doivent être semées les graines de l’amour qui germeront et s’épanouiront en divine présence. Dieu est dans la pâte humaine; dans l’épaisseur souvent lourde, sombre et encombrante de la réalité concrète de la vie quotidienne. Dieu est dans le profane, dans le séculier, dans le social, dans le politique, parce c’est là qui que vivent les hommes et parce que c’est dans les profondeurs de leur être, souvent à peine ébauché, qu’est continuellement à l’œuvre la présence créatrice et restauratrice de l’Énergie Primordiale d’Amour qui fait évoluer le monde vers de meilleurs accomplissements.

Le christianisme est donc fondamentalement une forme ou, mieux, un art de vivre, une praxis, une éthique, une pratique, orientés à actualiser et à insérer dans le milieu concret de la vie humaine les valeurs vécues par ce modèle d’humanité que fut Jésus de Nazareth. La foi chrétienne, comme nous l’avons mentionné plus haut, est davantage une disposition du cœur, qu’une activité intellectuelle de l’esprit; elle est plus de l’ordre de la sensibilité, que de l’ordre de l’intelligence; elle est plus dans l’amour que dans la connaissance. C’est pour cela qu’elle ne peut que se manifester et se matérialiser dans le «faire» qui devient «faire du bien aux autres». Sortir les hommes de la mesquinerie de leurs repliements et de leurs égoïsmes personnels, pour les encourager à faire les œuvres d’un amour altruiste et désintéressé, a été le souci permanent du Maître de Nazareth. Ainsi est louable non pas celui qui dit « Seigneur, Seigneur», mais celui qui fait la volonté amoureuse de Dieu. Le disciple doit être une personne de compassion et faire ce qu’a fait le bon samaritain. À la dernière cène, Jésus lave les pieds de ses disciples et il leur dit que désormais ils devront suivre son exemple et faire ce qu’il a fait. Une foi qui ne se fait pas action concrète en faveurs des démunis est une foi morte (Jacques, 2,17).

Nous pouvons résumer le contenu de cette réflexion, en disant que le christianisme est fondamentalement une «voie» de perfectionnement humain, un mouvement spirituel qui cherche non pas à rendre les individus plus religieux, mais à les rendre plus humains; qui cherche non pas à proposer de la sainteté, mais de la bonté; non pas des rêves, mais de l’action. En définitive, le projet de Jésus que le christianisme veut continuer, consiste à faire découvrir aux hommes la Source Originelle de l’Amour qui depuis toujours les habite, afin qu’ils deviennent le lieu de la bonté, du don de soi, de la miséricorde et, enfin, d’une véritable «humanisation» capable de transformer l’aspect de ce monde. 

MB


(Réflexion  inspirée d’une étude de J.M. Castillo : La humanidad de Dios,   en 


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