1 - Un Dieu élaboré par l’homme
Dans les milieux religieux et cléricaux
de l’Occident on entend souvent dire que nous vivons dans un monde qui a chassé
Dieu de l’horizon de l’existence humaine; que la foi en Dieu a disparue ou
qu’elle n’a plus aucune influence sur la vie ordinaire de la majorité des gens.
Dans les milieux cléricaux on a pris l’habitude d’attribuer cette «exécution»
ou cette «mort» de Dieu au fait d’une société moderne devenue laïque,
séculière, hédoniste, matérialiste, relativiste. On accuse la mentalité
scientifique et technique qui n’a plus besoin de recourir à l’hypothèse «Dieu»
pour expliquer les phénomènes physiques du monde naturel. S’il y a une certaine
vérité dans cette description des raisons de la désaffection moderne face à
l’idée traditionnelle de Dieu, en réalité ces raisons semblent avoir été avancées
par les responsables religieux plus pour se donner bonne conscience, que pour se
questionner sur la validité de leurs doctrines. De fait, ce qui semble être
mort, ce n’est pas Dieu, mais l’idée ou l’image de Dieu élaborée et transmise
par la religion et qui s’avère aujourd’hui inacceptable.
Quelle est cette image inacceptable
de Dieu ?
Un Dieu conçu comme un Super-Individu avec qui
on peut entrer en relation personnelle; à qui on peut demander faveurs et
protection; que l’on peut adorer, prier, offenser. Un Dieu anthropomorphique, conçu
à l’image de l’homme, qui peut ressentir bienveillance et amour, mais aussi
avoir des réactions de rancune, de colère, d’agressivité, de vengeance. Un Dieu
que l’on imagine situé «là-haut», dans le «ciel» séparé de la réalité du monde.
Un Être
imaginaire donc, produit de l’ignorance, de la peur et de l’angoisse de l’homme
lorsque ce dernier prend conscience de sa finitude et cherche à justifier son existence
perçue comme éphémère et non-nécessaire. Un Dieu qui sert à combler un besoin
de sécurité lorsque l’individu est confronté à sa fragilité, à sa vulnérabilité
et à l’inévitabilité de sa fin.
Une Superpuissance
qui est le vis-à-vis rassurant de la faiblesse humaine et l’explication des phénomènes
naturels qui autrement resteraient mystérieux et énigmatiques.
Une Entité Surnaturelle
aux pouvoir illimités qui, dûment traîtée, par des rites, des prières et des
sortilèges, est capable de protéger les humains des calamités de l’existence, guider
leur vie et récompenser leur soumission.
Sur ce Dieu,
les humains ont projeté toutes les qualités et les attributs qu’ils auraient voulu
eux-mêmes posséder, mais qui leur font inéluctablement défaut: durabilité, pouvoir,
puissance, bonté, sagesse, bonheur … et cela à un degré infini. Donc, un Dieu infiniment
parfait, face à une humanité extrêmement imparfaite. Une divinité toute-puissante,
conçue à l’image des pouvoirs absolus des grands de ce monde, face à une humanité
faible, fragile, indigente et dépendante. Cette divinité immensément équipée, a
été appelée Dieu, l’Infini, l’Absolu, le Tout-Puissant, l’Éternel, le Transcendent...
Cependant, ce
n’est pas parce que les humains ont pensé Dieu de cette façon, que cette façon de
penser Dieu correspond à quelque chose de vrai dans la réalité. Ce Dieu est et
reste un «produit» et une «projection» de l’imagination humaine. Il n’existe
nulle part. Il est le résultat de l’activité cérébrale d’un mammifère particulièrement
évolué et «immergé» dans la réalité
physique de cet Univers qui est la seule réalité accessible à la connaissance
humaine. En effet, les capacités cognitives qui émergent de la structure neurophysiologique
du cerveau humain sont inexorablement conditionnées par le fonctionnement du
système nerveux qui ne peut être sollicité et activé que par les stimulations qu’il
reçoit du monde extérieur (les cinq sens). Toute connaissance d’une réalité «surnaturelle»
qui existerait en dehors de la «nature» de notre monde est donc une absurdité. Toute
affirmation sur l’existence ou la nature d’une Réalité «transcendante», «autre»
ou d’un «au-delà» de ce monde, est nécessairement une affirmation dénuée de fondements.
2 - Dieu, un produit humain dangereux
Étant une
production de l’homme, ce Dieu est nécessairement un produit imparfait qui, à la
longue, s’avère contradictoire et même dangereux pour la race humaine. Comment
concilier, par exemple, un Dieu tout-puissant et infiniment bon, avec l’état de
fait d’un monde qui baigne dans un océan de mal et de souffrance? La présence
du mal et de la souffrance à une telle échelle contredit et annule l’existence
d’un tel Dieu. Il est en effet évident qu’un tel monde ne peut pas être créé
par un Être qui est en même temps infiniment bon et infiniment puissant.
Cette Divinité
est aussi un produit extrêmement dangereux. Car un Dieu conçu comme transcendant,
tout autre, séparé, saint, différent, supérieur, dominant, exigeant ...
introduit dans la pensée humaine les concepts de séparation, de sacré et de
profane, de pur et d’impur, de bien et de mal, de soumission et d’insoumission,
de conformité et de non-conformité, de permis et de défendu, de coupable et
d’innocent, de juste et de pécheur, de fidèle et d’infidèle. En conséquence, il
introduit dans l’esprit de l’homme et dans l’organisation de sa vie et de la
société dans laquelle il vit, des comportements et des attitudes
discriminatoires qui génèrent préjudices, inégalités, oppositions, hostilités,
fanatisme, violences, persécutions …sans parler de l’ambivalence des comportements
qualifiées de bons et de mauvais, selon qu’ils correspondent ou pas à la
volonté ou aux caprices de la divinité.
Plaire à la
divinité qui a le pouvoir de récompenser et de punir, de faire vivre et de
faire mourir, de sauver et de perdre, devient alors le souci primordial de la
personne «religieuse» et une source continuelle d’angoisse et de culpabilité.
Cela explique la «violence» que l’on retrouve dans l’expérience religieuse en général
et dans l’expérience religieuse chrétienne en particulier. Les croyants sont
continuellement «violentés» par les démons de la tentation, de la faute, du
péché, de la transgression; par la hantise de la conformité; le souci du détachement
et du sacrifice; par la peur du jugement divin, de la punition éternelle. Ils
sont tourmentés par le sentiment de leur incapacité à satisfaire les volontés
d’une divinité envahissante, tatillonne, sévère et difficile. Alors ils se
culpabilisent; ils perdent la conscience de leur valeur et de leur grandeur. Ils
soupçonnent leur corps d’être un mauvais compagnon pour leur âme; ils dénigrent
leur humanité, car ils pensent qu’elle s’oppose aux attentes de la divinité. Leur
existence subit ainsi une continuelle agression qui les fatigue, les humilie,
les avilie, les rabaisse, qui détruit leur confiance, qui les empêche de croire
en eux-mêmes, d’être heureux, d’avoir du plaisir, de jouir de la vie, d’assumer
une attitude positive et souriante devant la beauté de la création et les valeurs
matérielles-temporelles de l’existence. La croyance en ce Dieu inventé par les
hommes, empoisonne littéralement la vie des humains.
Aujourd’hui la
contagion planétaire des mouvements religieux extrémistes et fondamentalistes,
nous place dans une position privilégiée pour constater la vérité des propos
exposés plus haut. Mais il y a plus grave: ces mouvements extrémistes nous
montrent que Dieu est dangereux même lorsqu’on s’en sert pour fonder sur lui l’égale
dignité des humains. Dans ces mouvements extrémistes, les «fidèles» trouvent en
Dieu le garant de leur égalité et de leur dignité. Toutefois, cette même
dignité et cette égalité, réclamées pour leurs adeptes, sont refusées aux autres,
aux «infidèles», c’est-à-dire à ceux qui ne partagent pas leur idée de Dieu ou
leur modèle d’humanité. Dans ces mouvements extrémistes, les «fideles»
s’identifient à leur Dieu et les «infidèles», considérés des individus «sans Dieu»,
sont maudits, anathématisés et violemment rejetés.
Cette attitude
de violence générée par des formes aberrantes de croyances religieuses, n’est pas
une exclusivité des courants extrémistes modernes. Depuis toujours elle a
accompagné l’histoire religieuse autant de l’Orient que de l’Occident. L’histoire
du christianisme ne fait pas exception. Depuis le Concile de Nicée (313), décrété
par l’empereur Constantin, jusqu’au XVI siècle, le christianisme a été une
religion basée non pas sur la foi en Dieu « Père plein de tendresse et d’amour »
dont nous parlent les évangiles, mais sur la peur de Dieu, Être Transcendant,
lointain et tout-puissant (le Dieu «Pantokrator» défini au concile de Nicée),
calqué sur le moule des pouvoirs totalitaire et absolus des potentats de ce
monde qu’il sert à justifier. Ce n’est pas la place ici de faire l’histoire des
dérives de ce pouvoir (et de la violence qu’il a générée) dans la religion chrétienne
de Occident. Qu’il suffise de nommer brièvement quelques exemples d’horreurs perpétrées
par la violence et la haine rendues possibles par cette conception de Dieu: les
croisades, l’inquisition, les guerres de religions, la traque des dissidents et
des hérétiques, la chasse aux sorcières, la conquête espagnole (et catholique) des
Amériques avec le massacre des indiens, le racisme, les mouvements
missionnaires …
Depuis la nuit
des temps l’imaginaire humain a identifié la divinité et le divin à ce qui est
élevé, grand, puissant; à ce qui exige adoration, respect, obéissance; à ce qui
a le droit et l’autorité de s’imposer, de commander, de punir et de
récompenser. Ce type de divinité semble être devenue le modèle du comportement
humain réussi. De sorte que, non seulement les humains en général aspirent à posséder
la grandeur et les pouvoirs des dieux; mais ils réussissent aussi à s’en
attribuer les hommages. Ainsi en fut-il, par exemple, des pharaons d’Égypte,
des rois assyro-babyloniens, des empereurs romains, des rois de France et des
représentants des grandes dynasties précolombiennes en Amérique latine. C’est
généralement sur le paradigme du pouvoir divin que se sont construits et
justifiés tous les pouvoirs absolus du passé et du présent, autant religieux
que profanes. Dans le christianisme (surtout dans sa version catholique), les
hautes autorités religieuses ne continuent-elles pas à se croire gratifiées de
la part de Dieu d’un pouvoir absolu sur les âmes et les consciences des
fidèles? Dans le monde de la finance, du sport, du spectacle, de la mode, les
individus qui ont réussi à acquérir succès, célébrité, prestige, beauté et richesse,
ne sont-ils pas adulés, admirés, vénérés comme s’ils étaient des dieux? Et, en
même temps, ne sont-ils pas considérés comme des enviables modèles d’une
existence «divinement» réussie ?
3 - Jésus, manifestation d’un «autre»
Dieu
Si les hommes
ont identifié Dieu avec la toute-puissance et le pouvoir absolu et si les
individus détenteurs de ce pouvoir ont souvent été considérés comme des
divinités dignes de la même adoration et de la même gloire, que penser de Jésus
de Nazareth qui a disqualifié de façon totale toute forme et toute
manifestation de domination et de pouvoir (Mt.20, 25-28; Mc.10, 42-45)?
N’est-il pas le premier homme de l’histoire qui, en s’érigeant contre le
pouvoir, s’est aussi dressé, par le fait même, contre une fausse et funeste
image de Dieu et contre un néfaste et déplorable modèle d’humanité? Tout
l’enseignement de Jésus peut être réduit à ces affirmations fondamentales:
-Le pouvoir, la puissance, le
prestige, la supériorité, la grandeur, la richesse, la suffisance, l’arrogance,
ne peuvent jamais être associés à Dieu et ne sont jamais le signe et la
manifestation ni de sa nature ni de sa présence.
-Dieu est immanent à notre monde
et il est particulièrement présent dans l’humain qui est faible et démuni, mais
qui sait aimer.
-Là où il y a amour désintéressé,
là il y a non seulement présence du «divin», mais aussi présence authentique de
l’«humain».
Dans la suite de cet article je
vais essayer d’élaborer et d’élucider ces intuitions de base du Maître de
Nazareth.
J’ai déjà dit
plus haut que la nature de Dieu est inaccessible à la connaissance humaine et
que toute description ou définition de Dieu est fausse et insensée. De Dieu
nous ne pouvons connaître que les manifestations visibles (les signes) de son
existence. Si nous ne pouvons rien dire ni rien connaître de ce qu’est Dieu en
lui même (essence ou nature de Dieu), nous sommes cependant capables de saisir la
réalité de ce monde et d’émettre l’hypothèse que, puisqu’il y quelque chose
plutôt que rien, Dieu est peut-être le nom commun par lequel, depuis toujours,
on cherche à exprimer la
Réalité Ultime , le Mystère Originel, la Source et la Profondeur de l’être,
l’Énergie de Fond qui lance et garde les êtres dans l’existence. Cette Énergie serait
à l’origine du mouvement évolutif propre à notre Univers, où tout est en
mouvement vers des formes toujours plus accomplies et supérieures d’être. Cette
Énergie Fondamentale apparaît comme une Source «matricielle» et donc comme une
Réalité «amoureuse» et «bénévole». Dans le monde, tel que nous le connaissons,
Dieu semble être donc particulièrement présent et agissant là où il y a ébauche
et germination d’être; là où il y a incomplétude, insuffisance, impuissance,
faiblesse. C’est lorsqu’il y a manque, pauvreté, petitesse, imperfection, fracture,
que semblent s’activer les Énergies qui conduisent les êtres de ce monde vers
un meilleur achèvement et une plus grande complexité, en créant relations,
connexions, dépendances et communion. C‘est d’un vide total et d’un presque rien
initial qu’a jailli l’immensité, la diversité et la beauté époustouflante de
l’Univers.
Ces dynamiques
qui semblent être propres à la Réalité Ultime , nous les retrouvons, exactement identiques,
dans la perception que Jésus a et qu’il nous transmet de Dieu. Jésus fait
l’expérience de Dieu comme d’une Réalité Spirituelle qui se donne et qui, en se
donnant, crée, transforme, renouvelle, guérit, complète, perfectionne,
accomplit. Cette expérience de Dieu soutient toute son action et détermine l’orientation
et la qualité de sa vie. Son existence, calquée sur celle de Dieu, le
transformera en «l’homme pour les autres», qui se donne sans calculer à tous
ceux et celles qui vivent des formes et des situations de manque et de débilité.
Jésus ne se reconnaît lui-même en tant que personne que dans la profondeur de
cette relation amoureuse qu’il a établi avec la Réalité Ultime qui, pour lui, a acquis toutes les
caractéristiques d’un être personnel.
Et puisque cette
qualité de relation avec Dieu est ce qui a fait de Jésus l’«homme» qu’il a été,
il faut en conclure que toute personne qui configure son existence selon les orientations,
les attitudes et les valeurs propres à la vie de Jésus, non seulement se
réalise en humanité, mais devient, comme Jésus, signe et manifestation de la
présence du «Nouveau», de l’«Inouï» et de l’«Incomparable» dans notre monde. En
d’autres mots, le «phénomène Jésus» nous indique dans quelle direction chercher
pour trouver le lieu de la présence de Dieu dans notre Univers, ainsi que la
formule d’une authentique humanisation de l’individu.
De sorte que
chaque personne qui réalise son humanité d’après ce modèle, devient, pour ainsi
dire, autant une icône qu’une preuve particulièrement convaincante de
l’existence et de l’action du Dieu-Énergie-d’Amour dans notre monde. On peut comparer
une telle personne à la fleur du jardin dont la vie n’est possible que dans le
rayonnement du soleil et grâce à la pluie qui tombe du ciel. Chaque fleur est
une preuve de l’existence du soleil et de l'eau.
Jésus de Nazareth
a été pour ses disciples l’homme qui a su donner corps, consistance, visibilité
à cette forme proprement originelle et «divine» d’Amour qui depuis toujours
fait bondir les êtres vers un «plus-être» et qui maintenant, à ce stade
évolutif de l’histoire de l’Univers, se verse, tout aussi gratuitement et largement,
dans le manque radical de la misère humaine pour l’enrichir et la restaurer. Et
puisque une telle qualité d’amour est apparue à ses disciples, d’une côté,
comme totalement inédite et, de l’autre, comme absolument extraordinaire, ils
en ont déduit qu’il était impossible que l’homme de Nazareth ait pu trouver la
capacité d’un tel amour dans les «réserves» ou le potentiel de sa nature
humaine. Ils en ont alors conclu que cette capacité et cette qualité d’amour
lui venait d’Ailleurs; que Dieu était en cet homme; que Dieu agissait par lui;
que l’Énergie amoureuse de la Réalité Ultime
avait trouvé en cet homme une résonance particulièrement éclatante et que, par son
intermédiaire, elle était en train de guérir l’imperfection et le mal du monde.
Ses disciples ont eu l’impression qu’en l’Homme de Nazareth l’Amour Originel s’était
humanisé et que désormais cet individu serait resté pour les humains non
seulement le séjour privilégié de la présence divine, mais aussi le prototype
et le paradigme d’une humanité accomplie selon le projet et les attentes de
Dieu. La personne de Jésus leur est apparue comme le lieu d’une manifestation
et d’une concentration uniques des forces de l’Amour dans notre monde.
4 - Le Dieu de Jésus une Énergie «faible», car elle se manifeste dans la
faiblesse et l’indigence des êtres
Les écrits
chrétiens des origines nous ont laissés une documentation saisissante concernant
le sentiment éprouvé par les premiers disciples d’une présence singulière de
Dieu dans la vie de leur Maître. Ces documents présentent Jésus comme Parole de
Dieu, comme quelqu’un qui est né de Dieu, sorti de Dieu, venu de Dieu, modelé
et structuré par l‘action de Dieu. Dans les évangiles, Jésus affirme connaître
les intentions et la volonté de Dieu. Il dit posséder l’esprit de Dieu, la
parole de Dieu et il déclarera même être une seule chose avec ce Dieu qui
l’habite et qu’il appelle tendrement «Père». Voici quelques affirmations que
ces auteurs ont mis sur les lèvres de Jésus: «:Celui qui m’a vu a vu le Père. Je
suis dans le Père et le Père est en moi. Celui qui m’aime est aimé de mon Père.
Celui qui me hait, hait aussi mon Père. Les paroles que vous entendez, elles ne
sont pas de moi, mais du Père qui m’a envoyé. Tout ce qui est à mon Père, est à
moi. Je ne suis pas seul, le Père est avec moi. Moi et le Père nous sommes un.»
Dans la
première lettre de Jean on trouve ces déclarations surprenantes: «L’amour vient
de Dieu et quiconque aime est né de Dieu. Voici ce qu’est l’amour: ce n’est pas
nous qui avons aimé Dieu, c’est lui qui nous a aimé et qui a envoyé son Fils.
Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous et son amour en
nous est accompli. Dieu est amour et celui qui demeure dans l’amour demeure en
Dieu et Dieu demeure en lui. Nous nous aimons parce que Dieu, le premier, nous
a aimés...».
Si dans la vie
et le comportement de Jésus les Énergies divines de l’Amour qui créent et recréent
les êtres, ont pu se manifester et s’expliquer d’une façon aussi remarquable,
ce n’est pas étonnant que ce soient surtout les petits, les simples, les
humbles, les démunis, les faibles, les malades, les ratés qui, les premiers,
par une sorte d’affinité avec la
«nature» de Dieu, ont senti que cet homme dégageait le parfum de Dieu et que
Dieu leur faisait signe à travers lui. Ils eurent l’impression que Jésus était comme
une fenêtre ouverte qui laissait entrevoir quelque chose du paysage de Dieu;
qu’il ouvrait l’accès à un nouveau monde; à une nouvelle façon de penser,
d’aimer et de vivre; qu’il était porteur d’un message différent, d’un esprit libérateur
qui semblait lui venir d’Ailleurs. Cela explique l‘engouement des foules à son
égard, la fascination qu’il exerçait, l’émerveillement qu’il suscitait, les
questions qu’il soulevait: «Qu’est-ce que c’est que ça? Que se passe-t-il avec
cet homme? D’où vient-il? Qui est-il? Que penser de lui? ». Il serait faux de croire
que les gens voyaient Jésus comme un Dieu, mais il est hors de doute qu’ils expérimentaient
en lui la présence d’un Dieu nouveau qui les perturbait et les déstabilisait,
mais qui, en même temps, les séduisait. Jésus
leur réverbérait l’image d’un Dieu «humain» qui se penche sur le manque pour le
combler; qui prend soin de la pauvreté, de la faiblesse, de la détresse, de
l’imperfection, de la misère et de la souffrance des humains. Un Dieu donc qui
s’humanise en aimant et qui rend plus humains ceux qui aiment.
Jésus se
considère lui-même comme un pauvre qui a tout reçu de Dieu; il enseigne que
nous sommes tous des mendiants et que nous n’existons et que nous ne valons que
par la largesse de sa générosité, la richesse de ses dons et la gratuité de son
amour. Rien n'appartient à personne et personne n'est «quelqu'un»; personne
n’est supérieur, meilleur, plus important et plus puissant que les autres, car
nous sommes tous nuls et nécessiteux. «Vous avez reçu gratuitement, donnez
gratuitement». Puisque tout ce que nous sommes et tout ce que nous avons est
don gratuit, il n'existe qu'un seul «devoir» vis-à-vis des autres: donner, partager,
aider, servir, aimer. « Donnez à qui vous demande» (Mt 5, 42), en voyant Dieu
en chaque nécessiteux. (Drewermann).
Au centre de
la vie et du message de Jésus il y a donc l’annonce que Dieu se révèle dans la misère
humaine. Là où il y a détresse, là il y a besoin d’amour; et là où il y a
besoin d’amour, là Dieu est présent. Pour Jésus c’est l’autre, spécialement
s’il est pauvre (ce mot doit être pris dans son sens plus ample de manque, privation de tout ce qui peut donner valeur et dignité à une existence
humaine), le lieu privilégié de la présence et de la manifestation de Dieu en
ce monde. Dans la parabole du jugement dernier (Mt 25), Jésus affirme en toutes
lettres que ce qui est fait à l’autre dans le besoin est fait à Dieu. Jésus nous
raconte que c‘est Lazare, pauvre et meurtri, quêtant à la porte du riche égoïste
les miettes qui tombent de sa table, celui qui, à la fin de sa vie, se découvre
vivant en Dieu. Restent donc disqualifiées toutes formes et expressions de
pouvoir, de supériorité, de prééminence, de cupidité qui visent à exploiter, à
opprimer, à soumettre, à rabaisser, à avilir les autres. Seule restent qualifiée
les attitudes de la bonté, de la disponibilité, de l’accueil, du dévouement, du
service amoureux, désintéressé et fraternel que Jésus englobe sous l’appellatif
de «foi».
Pour Jésus être
capables d’adopter comme option fondamentale de vie cette attitude d’amabilité et
de service envers les autres, c’est avoir
la foi. Jésus exhorte souvent ceux et celles qui l’entourent à «avoir la
foi». Cependant pour lui avoir la foi
ce n’est jamais «croire» en des vérités ou en des affirmations dogmatiques Pour
Jésus «croire» ce n’est même pas croire en Dieu. La personne de foi est celle
qui a le cœur tendre et rempli de compassion pour son prochain. L’homme de foi
est celui qui est capable de sortir de lui-même, de se décentrer pour se centrer
sur les autres, aller vers les autres, se donner aux autres, surtout lorsque
ceux-ci sont faibles et démunis. Dans les évangiles, la foi que Jésus encourage
et admire est souvent celle qu’il trouve en des personnes qui ne sont ni spécialement
croyantes, ni particulièrement religieuses (le centurion romain, la cananéenne,
le samaritain), mais qui manifestent de l’intérêt, de l’empathie et de la bonté
envers leur prochain. Pour Jésus la foi n’est donc pas la disposition
intérieure qui sert à mettre la personne en relation avec le monde de Dieu, mais
l’attitude intérieure qui pousse la personne à se mettre en relation avec le
monde des hommes. Elle indique le sentiment de confiance en une Bonté qui se
manifeste et se déploie concrètement et pratiquement en faveur de tous ceux et
celles qui sont en manque d’amour, de considération et de bonheur, afin qu’ils
puissent retrouver la pleine mesure de leur dignité et de leur humanité. C’est
pour cela que la foi selon Jésus est fondamentalement une foi qui sauve.
5 - Le christianisme est un humanisme en
action
Dans les
évangiles la foi apparaît donc essentiellement comme pratique, action
et œuvre d’amour, engagement, style de vie qui s’explicite, s’actualise
au ras du sol, dans le concret des circonstances de temps et de lieu où chacun tisse
le quotidien de sa vie. C’est une foi qui se préoccupe de l’homme dans sa situation
concrète. C’est une foi concernée par les problèmes humains, la question
sociale. Nous dirions aujourd’hui que c’est une foi qui s’intéresse à la
nourriture, au vêtement, au logement, au loyer; qui se préoccupe de l’emploi,
des fins de mois, de la garderie, de l’école, de l’instruction, de la santé, de
la solitude, de la sécurité. Elle cherche à produire de l’accueil, de la
compassion, du respect, du partage, de l’égalité, de la communion, de la
fraternité…
La foi et la
confiance que l’Amour qui devient «grâce» est la seule force capable d’humaniser
l’homme, le chrétien les ont donc puisées dans la fréquentation et la méditation
de la personne et de l’ouvre de Maître de Nazareth. En réfléchissant sur le
mystère de sa vie, les chrétiens sont arrivés à la conclusion que la vraie
nature de Dieu n’est pas faite de superpuissance, de suprématie, de pouvoir, de
domination, de grandeur qui emprisonnent la personne dans son ego, paralysent
et oppriment, mais d’amour qui intervient pour guérir, faire avancer, faire
grandir ce qui est faible, petit, pauvre, imparfait et donc, finalement, pour
«servir» au perfectionnement et à la réussite évolutive de ce monde.
C’est
cette conviction qui a changé à tout jamais l’existence de ce pharisien fanatique
qui fut saint Paul et qui plus tard deviendra le théoricien du mouvement
chrétien. Lors d’une crise d’épilepsie sur le chemin de Damas, ce persécuteur
de chrétiens eut la révélation subite qu’il était absurde de croire que l’on
pouvait défendre les droits sacrés d’une Divinité puissante ratifiant la violence
d’une persécution, et se plaisant dans les contraintes d’une Loi, dans
l’autorité incontestée et incontestable du Grand Conseil, dans l‘obéissance
servile de ses adorateurs. L’impuissance et la détresse ressentis par Saul lors
de sa crise, le conduisirent à comprendre la stupidité de son arrogance, la
vanité de sa volonté de plaire à Dieu moyennant la haine de ses ennemis et la
fidélité de ses observances. Grace à sa maladie, Saul prit conscience que Dieu
ne pouvait être et ne pouvait se manifester que dans l’imperfection, la
faiblesse et les cris de douleur des créatures; et qu’il s’était vraiment révélé
dans l’indigence et la dégradation totales de l’Homme de Nazareth que les
autorités avaient cloué sur une croix. Dans son hallucination, Saul a entendu Dieu
lui dire: «C'est dans la faiblesse que je montre ma force ». Après sa conversion à la
foi chrétienne, Saul, devenu Paul,
saura désormais que c’est seulement lorsqu’il expérimente la fragilité de son
être qu’il est vraiment fort, car habité par la présence de Dieu (2 Co.12, 9-10). Paul, citant une hymne chrétienne de sont temps, proclamera
qu’en Jésus Dieu s’est «anéanti» et s’est «vidé» de toutes ses prérogatives
divines et qu’il s’est manifestée tel qu’il est en réalité: sous la forme du
serviteur ou de l’esclave (Ph.2,7). Ici encore, pour Paul et pour tout autre chrétien,
Dieu ne doit pas être cherché dans les formes ou les expression du pouvoir, de
la puissance, de la grandeur, de la majesté, mais dans les expressions humaines
de la petitesse, de l’abaissement, de l’insignifiance, de la souffrance, en en
mot, dans la condition de l’«esclave», c’est à dire de ceux et celles qui ne
sont «rien» en ce monde et pour ce monde. C’est dans les petits et les faibles
que Dieu est à l’œuvre, c’est en eux qu’il est et c’est en eux qu’il se
manifeste à notre monde.
Cela signifie
que le projet chrétien se réalise et
se déploie non pas dans le monde du sacré, mais dans le monde du profane. Il ne
concerne pas Dieu, mais l’homme. Il n’a rien à faire avec une religion, une institution
cléricale, une hiérarchie, des dogmes, des rites, des prières, des dévotions, des
observances. Il n’a rien à faire avec la soumission et l’obéissance aux
autorités religieuses. Le projet de chrétien, tel que l’Homme de Nazareth l’a
vécu et transmis, s’active seulement en faveur des humains, pour lesquels, lui
et ses disciples, veulent être les signes de la bonté et la tendresse de Dieu.
Tout cela est évident dans le conte du Jugement Dernier de l’évangile de
Matthieu (ch.25). Dans ce récit le Juge divin ne demande pas comment chacun a
géré ses propres affaires, mais il veut savoir comment chacun a géré les
affaires des autres. Ce texte nous informe que ce qui est vraiment important
pour Dieu ce n'est pas ce que chacun fait pour assurer son propre bien-être et
son propre salut; mais ce que chacun fait pour procurer bien-être et bonheur à
ceux qu’il rencontre sur son chemin. Finalement ce texte nous révèle que nous serons
jugés non pas sur la pratique et l’intensité de notre religiosité, mais sur la
qualité et la profondeur de notre humanité.
L’originalité
du mouvement chrétien consiste alors dans le fait d’avoir saisi et proclamé, à
la suite de Jésus, que l’Amour est le vrai nom de Dieu et que cet amour est la source
d’une authentique humanité. Le véritable christianisme annonce que ce mammifère
intelligent, une des cinq espèces existantes d'hominidés, du genre homo, auquel on a donné le nom d’«homo sapiens», réussira à parfaire sa
nature et à évoluer vers des formes plus épurées d’humanisation dans la mesure
où il sera capable d’intégrer dans son existence et dans ses relations l’Énergie
(divine) de l’Amour à l’œuvre dans le Cosmos, afin d’en devenir un relais
particulièrement efficace dans les écosystèmes qu’il habite, comme cela s’est
accompli d’une manière exemplaire en Jésus. Mais il ne s’agit évidemment pas de
n’importe quel amour; mais seulement de cet amour qui porte la marque du divin,
c’est-à-dire un amour désintéressé et gratuit qui se fait don, pardon, service,
sacrifice, souci, bonté, tendresse, disponibilité vis-à-vis des créatures les
plus limités, les plus fragiles et les plus vulnérables, afin de les affermir,
de les guérir, de les accomplir et de les faire évoluer vers la vérité
authentique de leur être. Pour les chrétiens, ce genre d’amour est la forme que
Dieu prend dans la réalité de notre monde. Là où ce type d’amour apparaît et se
concrétise, là apparaissent aussi les signes de la Présence divine. Le
chrétien croit donc que Dieu se manifeste d’une façon privilégiée dans l’amour
qui se fait action pour le salut et le bonheur de l’autre.
6 - Le christianisme n’est pas un
mouvement religieux, mais un mouvement profane
Jésus se
présente comme le prototype de l’humain envahi par Dieu et de la forme que Dieu
prend lorsque ses virtualités apparaissent et se rendent perceptibles aux
structures intelligentes de cet Univers. La vie de Jésus fournit un indice à
notre connaissance de ce à quoi pourrait ressembler «Dieu» lorsqu’il apparaît
dans notre immanence et de ce à quoi rassemble l’homme lorsqu’il se laisse
envahir par la force de cet amour qui vient de Dieu
Ce qui est
frappant dans la vie du Nazaréen c’est de constater, non seulement sa parfaite
humanité, mais aussi sa parfaite «laïcité». L’homme de Nazareth ne fait pas
partie de la caste des prêtres, des scribes ou des lévites. Comme juif, il
n’est ni particulièrement religieux, ni spécialement pieux et observant. Il
prend facilement ses aises avec la religion et ses distances avec ses
pratiques. Il n’hésite pas à relativiser l’importance du culte et la fonction du
Temple; à transgresser le repos du sabbat et à enfreindre les règles de pureté
rituelle. Il est extrêmement critique et agressif envers la classe religieuse
dirigeante. Dans les évangiles, Jésus n’apparaît jamais comme le fondateur
d’une religion. Il n’a jamais établi ou fixé des espaces ou de temps sacrés. Il
n’a jamais promulgué de rituels pour le culte. Il n’a n jamais ordonné de
prêtres. Il n’a jamais encouragé ses disciples à fréquenter les synagogues, à
réciter des prières, à offrir des sacrifices, à pratiquer le jeûne, à observer
le sabbat ou les autres prescriptions de la tradition rabbinique. Il est
symptomatique de constater que, dans les évangiles, la relation de Jésus avec
Dieu ne s’exprime et ne s’exécute jamais à travers les gestes de la religion,
mais toujours à travers la spontanéité d’un rapport direct, libre et personnel,
en dehors de tout encadrement ou décor sacré, religieux ou liturgique. Le
rapport de Jésus avec Dieu surgit des événements de sa vie quotidienne qui est séculière
et laïque; de la fréquentation des gens simples, ordinaires, des pauvres, des
malades, des «pécheurs», de la rue où il fait ses rencontres; de la table à
laquelle il mange; de la proximité des hommes et des femmes qu’il croise. Cette
relation avec son Dieu-Père surgit autant de la clameur des foules qui
l’entourent, que du silence de la montagne, au sommet de laquelle il se retire
pour mieux prier et mieux se reposer.
Ce qui est
particulier de la spiritualité de Jésus de Nazareth, ce n’est donc pas la foi
religieuse qui s’s’explicite dans les pratiques d’une religion, mais une façon d’agir,
un style de vie déployés au service de la miséricorde et de l’amour du prochain
dans lequel il voyait le visage humain de Dieu. De sorte que l’on peut affirmer
que ce qui est typique de la personnalité de Jésus est son caractère
fondamentalement et remarquablement humain qui cherche à humaniser ceux qui
l’entourent, en les libérant des pulsions et des attitudes déshumanisantes, afin
de rendre possible un monde plus humain.
Les gens qui
ont fréquenté Jésus n’ont jamais vu en lui une incarnation de Dieu, mais ils
ont plutôt expérimenté en lui une humanisation de Dieu. Non plus Dieu présent
dans le sacré, la religion, le sacerdoce, les rites, les sacrements, l’Église,
la hiérarchie; mais Dieu présent dans cet Homme qui vit dans la rue avec les
simples et les petits et qui se donne à tous par amour. Dieu présent où les
gestes de l’amour sont posés et reçus.
Ainsi l’image
de Jésus qui transparaît des récits évangéliques est celle d’un homme qui
n’appartient à aucune religion et qui est au-dessus et au-delà de toute croyance.
Il serait donc ridicule de le considérer «chrétien» ou «catholique». Jésus de
Nazareth n’est la «propriété» de personne, ni du christianisme, ni d’aucune
église. L’Institution ecclésiastique s’est totalement fourvoyée lorsqu’elle a
prétendu s’en emparer, le monopoliser et l’utiliser pour ses ambitions et pour asseoir
ses besoins de prestige et de pouvoir. Jésus fait parti du patrimoine de
l’humanité. Il constitue un trésor universel. Il est un chef-d’œuvre d’humanité
qui appartient à tout le genre humain. La forme d’humanité qu’il a su réaliser
au cours de son existence est et restera pour tous les humains, au-delà des temps,
des lieux, des races, des cultures et des religions, une raison d’orgueil, un
motif d’émerveillement, une source d’inspiration, une lumière sur leur route,
un exemple à suivre, un but à atteindre et une raison de croire et d’espérer
qu’il y a peut-être un futur pour notre planète, puisqu’elle a réussi à
produire un tel miracle d’humanité.
On peut
résumer tout cela, en disant que, finalement, au contact de Jésus, nous avons
appris que notre relation avec le divin n’est possible que dans l’humain. Que ce
qui caractérise le christianisme ce n’est pas sa foi en la divinité de l’homme
(de Nazareth), mais sa foi en l’humanisation de Dieu. Dans le christianisme
notre relation avec Dieu n’est pas une relation «religieuse» avec l‘Être le
plus grand, le plus haut, le plus fort, le plus puissant, mais une relation «séculière»
avec la réalité matérielle qui nous entoure et qui se manifeste comme une façon «amoureuse» d’être pour les
autres. Et les efforts des personnes supposément «religieuses» ne sont pas
des efforts pour atteindre une divinité inaccessible, mais pour atteindre des
humains qui sont proches de nous et qui ont besoin de notre amour.
Être chrétien
alors ne signifie pas être particulièrement religieux, mais être
particulièrement humain. Dans cette vision des choses la vie humaine apparaît
alors comme une vie divine où le «sacré» ne fait qu’une seule chose avec le
«profane».Si cela est vrai, il est facile de comprendre que le christianisme
n’est pas un projet de divinisation, mais essentiellement un projet
d’humanisation.
7 - Conclusion
Jésus apparaît
finalement comme l’homme qui a nié tout ce que les autres avaient affirmé de
Dieu; qui a démoli tout ce que les autres avaient bâti sur l’idée qu’ils
s’étaient faite de la divinité. Jésus n’a jamais accepté la nature du «theos» proclamé
par les religions et, dans ce sens, il n’est pas faux d’affirmer qu’il a été un
«a-theos», (un a-thée) et que le mouvement issu de lui n’est pas une religion. Au
cœur du christianisme il n’y a donc pas Dieu, mais l’Homme de Nazareth, à travers
lequel les croyants pensent entrevoir quelques reflets de la véritable nature
de Dieu. S’il est vrai qu’il existe une Réalité divine qui cherche à nous faire
signe, nous ne pouvons pas nous soustraire à la sensation que c’est en cet Homme
qu’elle a réussi à trouver sa meilleure expression. Cela signifie alors la fin de
la religion comme institution de médiation nécessaire à la relation et à la rencontre
avec le divin.
L’existence du
phénomène-Jésus est la preuve tangible
que le divin est présent, vit et se manifeste d’une façon privilégiée et
unique, dans l’humain. Jésus nous prouve que c’est dans la vie de tous les jours
de ces humains qui mangent, qui dorment, qui travaillent, qui se divertissent,
qui voyagent, qui dansent, qui aiment, qui s’égarent, qui souffrent …que doivent
être semées les graines de l’amour qui germeront et s’épanouiront en divine
présence. Dieu est dans la pâte humaine; dans l’épaisseur souvent lourde,
sombre et encombrante de la réalité concrète de la vie quotidienne. Dieu est dans
le profane, dans le séculier, dans le social, dans le politique, parce c’est là
qui que vivent les hommes et parce que c’est dans les profondeurs de leur être,
souvent à peine ébauché, qu’est continuellement à l’œuvre la présence créatrice
et restauratrice de l’Énergie Primordiale d’Amour qui fait évoluer le monde
vers de meilleurs accomplissements.
Le
christianisme est donc fondamentalement une forme ou, mieux, un art de vivre, une
praxis, une éthique, une pratique,
orientés à actualiser et à insérer dans le milieu concret de la vie humaine les
valeurs vécues par ce modèle d’humanité que fut Jésus de Nazareth. La foi chrétienne,
comme nous l’avons mentionné plus haut, est davantage une disposition du cœur,
qu’une activité intellectuelle de l’esprit; elle est plus de l’ordre de la
sensibilité, que de l’ordre de l’intelligence; elle est plus dans l’amour que dans
la connaissance. C’est pour cela qu’elle ne peut que se manifester et se
matérialiser dans le «faire» qui devient «faire du bien aux autres». Sortir les
hommes de la mesquinerie de leurs repliements et de leurs égoïsmes personnels, pour
les encourager à faire les œuvres d’un
amour altruiste et désintéressé, a été le souci permanent du Maître de
Nazareth. Ainsi est louable non pas celui qui dit « Seigneur, Seigneur», mais
celui qui fait la volonté amoureuse de Dieu. Le disciple doit être une personne
de compassion et faire ce qu’a fait
le bon samaritain. À la dernière cène, Jésus lave les pieds de ses disciples et
il leur dit que désormais ils devront suivre son exemple et faire ce qu’il a fait. Une foi qui ne se
fait pas action concrète en faveurs des démunis est une foi morte (Jacques, 2,17).
Nous pouvons résumer
le contenu de cette réflexion, en disant que le christianisme est fondamentalement
une «voie» de perfectionnement humain, un mouvement spirituel qui cherche non
pas à rendre les individus plus religieux, mais à les rendre plus humains; qui
cherche non pas à proposer de la sainteté, mais de la bonté; non pas des rêves,
mais de l’action. En définitive, le projet de Jésus que le christianisme veut continuer,
consiste à faire découvrir aux hommes la Source Originelle
de l’Amour qui depuis toujours les habite, afin qu’ils deviennent le lieu de la
bonté, du don de soi, de la miséricorde et, enfin, d’une véritable «humanisation»
capable de transformer l’aspect de ce monde.
MB
(Réflexion inspirée d’une étude de J.M. Castillo : La
humanidad de Dios, en
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