Épiphanie, Mt.2, 1-12
Avant de
commencer à réfléchir sur le contenu de cet évangile, il faut que tout le monde
sache que Matthieu, en écrivant ce récit de l’étoile et des Rois Mages, n’a pas
eu l’intention de nous transmettre un fait réel et historique. Il veut raconter
aux chrétiens un conte, une histoire qu’il a inventée pour communiquer une attitude
intérieure qui nous concerne tous et pour nous aider à orienter correctement notre
existence. Nous devons donc interpréter, décrypter les images et les symboles dont
ce récit est composé pour qu’il nous révèle toute la profondeur et la beauté de
son contenu.
La parole
«mage» signifie chercheur. Les mages sont donc ici des gens qui cherchent à savoir,
qui sont dans l’incertitude, le doute, le noir, l’insatisfaction des
connaissances qu’ils possèdent ; ils cherchent autre chose de plus complet, de
plus satisfaisant. C’est pour cela qu'ils sont en route, en voyage. On ne peut
rien trouver de vraiment nouveau, si on reste figé sur place, si on n’explore
pas d’autres territoires et si on ne parcourt pas d’autres chemins. Ces chercheurs
viennent de l’Orient, car c’est à l’Orient que naît le soleil; c’est de l’Orient
que surgit la lumière qui chaque jour chasse la nuit. Les chercheurs de lumière
ne peuvent venir que de l’Orient. C’est l’Orient leur patrie. Ces mages représentent
donc tout ceux et celles qui cherchent la lumière (de la vérité, de la justice,
du bonheur et du salut). Ils ne peuvent être conduits que par une étoile. En
effet, dans toutes les cultures anciennes, l’étoile est l’image symbolique de
la lumière qui éclaire le chemin, qui empêche la chute et qui sauve la vie.
Dans l’esprit
chrétien, tout chercheur de lumière ne réussit sa quête que s’il réussit à
trouver l’«enfant». Et cela non seulement parce que l’enfant est par définition
l’être qui n’est là que parce qu’il est
venu à la lumière, mais aussi parce, dans la littérature chrétienne, il est
le signe le plus accompli de la présence du salut de Dieu sur terre. La question
des mages à Hérode: «Où pouvons-nous trouver l’enfant qui vient de naître», c'est-à-dire
qui est venu à la lumière, est véritablement la question que se pose tout
chercheur de Dieu. L’évangéliste Matthieu sait très bien que Dieu s’est
manifesté à travers l’homme de Nazareth et que Dieu est présent en lui, dans
chaque être humain ainsi que dans les profondeurs de la réalité. Mais comment le
trouver? Comment s’en approprier? Ce Dieu qui doit désormais animer la vie de
chaque personne et dominer dans la vie de chaque personne est ici présenté à
notre foi sous la figure de l’enfant-roi.
Chercher Dieu équivaut dans la Bible à chercher où se trouve l’enfant, car
cette vie de Dieu en nous est pour chacun une source de fraîcheur, de jeunesse,
de beauté, de vie nouvelle.
À travers la
symbolique des mages-chercheurs, l’évangile de ce jour veut alors nous poser la
question: qu’est-ce que tu cherches principalement dans ta vie? Es-tu un
chercheur de Dieu, de nouveauté, de vie nouvelle ? Comment ce Dieu, présent
dans ta vie, peut-il être rencontré? Qu’est-ce que tu fais pour le trouver? Comment
es-tu capable de reconnaître sa lumière parmi les innombrables lumières qui ont
la prétention d’Éclairer et d'orienter ton existence ? Où iras-tu pour le
trouver?
L’évangéliste
nous dit qu’il existe deux mondes où tu peux chercher l’enfant qui est roi. Il
y a le monde de l’extériorité et le monde de l’intériorité. Le monde de
l’extériorité c’est le monde d’Hérode. C’est le monde que nous tous
connaissons. C’est le monde qui est décrit dans les journaux; que nous voyons à
la télévision. C’est le monde dans lequel nous plongeons chaque jour et dans
lequel se déroule notre existence quotidienne. C’est le monde de la lutte pour
le pouvoir; le monde de la confrontation, de la peur; un monde où chacun
cherche à posséder quelqu’un ou quelque chose. C’est le monde de l’intrigue, du
mensonge, de l’avidité, du pouvoir, de la violence, de la jalousie représenté
par la figure d’Hérode. C’est aussi le monde qui n’aime pas les changements,
les transformations, les révolutions. Dans ce monde, les gouvernants sont
attachés au statu quo et à l’immobilité qui assurent la stabilité et la
permanence de leur pouvoir. C’est un monde où aucune lumière nouvelle n’est la
bienvenue. C’est un monde qui est en guerre contre toute lumière qui vienne
d’ailleurs. Ce monde est caractérisé par la nuit. C’est un monde d’adultes
sombres. C’est un vieux monde. Dans ce monde le seul roi est Hérode. Dans ce
monde, il n’existe pas d’enfant-roi. Dans ce monde d’Hérode l‘enfant est au
contraire systématiquement éliminé. C’est un monde qui ne manifeste aucun signe
d’une présence divine; c’est un monde dans lequel Dieu n’es jamais venu et dans
lequel il ne pourra jamais s’incarner.
Il y a ensuite
le monde de l’intériorité qui abrite la présence de l’enfant-roi, symbole de la
présence de Dieu dans nos vies. L’évangile nous dit que nous le trouverons
seulement si au cours du chemin de la recherche de Dieu et de la vérité sur
nous-mêmes, nous sommes capables d’apercevoir et de suivre son étoile.
Une étoile c’est n’est pas seulement un point de lumière dans la nuit; une
présence de feu et de chaleur dans la froideur terrifiante de notre univers. C’est
aussi le creuset où tous les éléments de notre monde viennent à l’existence;
c’est la source de toute possibilité de vie. Entrevoir une étoile dans notre
vie peut donc signifier voir la source, le centre, le noyau d’où surgit la
véritable vie en nous et donc aussi notre salut. Les mages chercheurs n’ont pas
aperçu l’étoile lorsqu’ils étaient dans leur pays d’Orient, mais lorsqu’ils se
trouvaient dans le pays d’Hérode. Cela signifie que l’étoile qui indique où se
trouve la présence de Dieu dans notre vie se manifeste à nous surtout et
principalement quand nous sommes en contact avec Hérode ; c’est à dire lorsque nous
vivons les moments les plus durs, les plus pénibles, les plus éprouvants, les
plus difficiles, les plus douloureux de notre existence; lorsque nous sommes
confrontes à la méchanceté du monde; lorsque nous réalisons l’absurdité et
souvent aussi la stupidité de nos besoins matériels, de nos appétits et de nos
folles attentes; lorsque nous faisons l’expérience de notre fragilité, de la maladie,
de la souffrance du deuil et de la mort … c’est à ces moments, si nous sommes
attentifs, qu’une lumière s’allume en nous et que l’étoile apparaît … C’est une
petit lumière qui tout à coup brille dans notre nuit : un souvenir, un goût
d’enfance; l’envie d’être meilleurs, de vivre différemment, de changer de vie;
d’un lieux sécuritaire, d’une présence aimante et rassurante. C’est l’envie de
céder les armes; d’arrêter de nous battre et de nous en faire; c’est le désir de
pouvoir faire confiance comme des enfants; de laisser tomber nos antagonismes,
de chasser loin de nous tous ces mauvais esprits qui nous torturent et qui nous
empêchent de goûter avec confiance et simplicité au bonheur de vivre en enfants
de Dieu; c’est la nostalgie du temps ou d’un paradis originel où nous étions
portés, protégés, aimés, où nous ne manquions de rien et nous étions heureux.
C’est l’attrait de Dieu en nous. C’est une parole divine qui se fait entendre
dans les profondeurs de notre cœur. C’est l’intuition ou, mieux, la sensation
de quelque chose de mystérieusement divin qui est en nous; qui a toujours été
là, mais que nous n’avons jamais été assez attentifs pour nous en rendre
compte, pour le ressentir, mais qui nous pousse vers la lumière d’une nouvelle
naissance, d’un nouveau commencement, d’une nouvelle vie. C’est Dieu en nous
qui veut nous conduire à rencontrer l’enfant que nous sommes dans les
profondeurs les plus intactes de notre personne.
Si nous
suivons la lumière de cette étoile qui a subitement surgi dans le ciel de notre
existence, nous nous trouverons, nous aussi, comme les mages, agenouillés devant
l’enfant que nous sommes et dans lequel nous reconnaissons les signes de la
présence de Dieu dans notre vie. Serons-nous capables de suivre l’étoile qui
cherche à nous conduire là ou Dieu pourra nous transformer en ses enfants?
Serons-nous capables de mettre toute notre vie entre ses mains, en lui offrant
l’or de nos succès et de nos bonheurs, l’encens de notre adoration et de notre
amour, et la myrrhe de nos épreuves et de nos souffrances?
BM
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