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vendredi 15 février 2013

Dieu dans notre quotidien


JESUS MONTA DANS LA BARQUE DE SIMON
( Luc 5, 1-11)

Lorsqu’autour des années 85 Luc écrivait son évangile, les communautés chrétiennes étaient déjà bien établies dans les principales villes du bassin de la Méditerranée. Luc  écrivait son évangile pour assurer la formation et l’instruction de ces jeunes communautés et pour les introduire plus en profondeur dans la compréhension de la personne et de l’œuvre de Jésus de Nazareth. Tout ce qu’il raconte doit donc être lu et interprété en gardant à l’esprit cette perspective et revu avec des lunettes plus tardives. Les scènes que Luc décrit, les faits qu’il raconte, ne sont donc pas des chroniques d’actualité journalistique rédigées pour satisfaire la curiosité des lecteurs, mais des enseignements sous forme de contes, de paraboles, d’images et de symboles dans lesquels il insère un sens que le lecteur doit savoir découvrir afin de s’approprier de la richesse du mystère de Dieu et de la bonne nouvelle du Maitre de Nazareth.

Essayons donc de voir quel est le message que Luc veut nous transmettre dans le texte que nous venons de lire. Même si tout le récit semble construit autour de la personne de Simon, Luc n’a certainement pas l’intention de faire ici l’apologie du futur pape, comme cherchent à nous le faire croire la majorité des commentaires  traditionnels. Simon est certes ici le protagoniste principal, mais il est surtout une figure type (le prototype) qui, d’après l’évangéliste,  nous représente tous. Jésus prêche à la foule, mais Simon n’est pas de ceux qui écoutent. De toute évidence, il a d’autres choses plus importantes à faire: il a une famille, il a son travail, il a une entreprise de pêche à rentabiliser, avec toutes les contraintes que cela implique. Simon est donc ici l’homme pragmatique, réaliste, que nous sommes tous. Il est l’homme qui a l’habitude de se confronter aux difficultés et aux problèmes de la vie. Il sait par expérience que la vie est dure et parfois même cruelle et qu’elle ne fait de cadeaux à personne et que l’on n'a rien sans efforts, sans peine, sans sacrifices et que le peu de bien-être, d’aisance et de confort que l’on réussit à se procurer, on a dû le gagner à la sueur de son front, car rien ne nous arrive déjà tout cuit et par miracle du ciel. On a beau avoir des élans mystiques; on a beau désirer partir en retraite dans un lieu calme et solitaire pour écouter les belles paroles de Jésus; on a beau vouloir penser au salut de son âme, mais lorsqu’on a une grosse famille sur les épaules et que l’on vit uniquement du maigre profit de la pêche, tout ce qui compte vraiment c’est le travail; les élans religieux apparaissent bien secondaires, car on sait que si on ne s’éreinte pas à la besogne, ce ne sera ni Dieu ni la prière qui vont remplir de poisson les cales de notre bateau.

Simon donc ne semble pas ici un homme particulièrement religieux. Il a une famille à nourrir, des enfants à élever et a éduquer, un travail exigeant, une maison à payer… vraiment, il n’a pas de temps à consacrer à Dieu et à la religion. Certes, la religion c’est bien, mais elle ne fait pas vivre sa famille! Parfois il lui arrive de penser que la religion est un loisir pour des gens riches. Bien sûr, il croit en Dieu, il cherche  à le garder de son coté, mais il ne réussit pas à le faire passer avant sa famille et son travail  Bien sûr, les prêtres lui disent que Dieu est plus important que tout et qu’on doit l’aimer par-dessus tout, mais personne ne lui fera croire que Dieu est plus important que sa famille et qu’il doit l’aimer plus que sa femme et ses enfants.

Ainsi dans l’évangile, Jésus a beau prêcher aux foules la Parole de Dieu, Simon n’a pas le temps de l’écouter et il reste sur le bord  du lac à laver ses filets pour la corvée de la nuit. Simon avait la sensation que le fait d’être pris dans les engrenages de la vie concrète et de baigner dans les contraintes d’une activité professionnelle absorbante, lui enlevait à jamais la possibilité de se sentir satisfait et en paix  avec lui-même et avec Dieu. Simon, à cause de ce travail qui le prenait et l’absorbait du matin au soir et encore pendant la nuit, sans lui laisser le temps de faire autre chose, était arrivé à la conclusion de vivre loin de Dieu et que donc Dieu lui en voulait, que Dieu n’était pas satisfait de lui. Il avait l’impression d’être une mauvaise personne, un croyant  minable et un  misérable pécheur. Il dira en effet  à Jésus: « Éloigne-toi de moi, car je suis un  pauvre pécheur! » 

Simon avait ainsi développé la conviction que la religion et lui ça n’aurait jamais pu faire bon ménage; que c’étaient comme deux choses incompatibles et que tant qu’il aurait continué à faire cette vie, jamais Dieu aurait pu rentrer, pour ainsi dire, dans sa barque.  Et c’est à ce moment  précis de la réflexion de Simon que le texte évangélique laisse apparaître toute la magnifique et surprenante nouveauté de son message. Quoique Simon puisse penser et contre  toutes ses attentes, c’est pourtant dans sa barque que le Seigneur entre. Et  c‘est cela qui, selon Luc, constitue l’incroyable nouveauté du message chrétien et qui place le christianisme aux antipodes de toutes les autres croyances et de toutes les autres  religions.

En faisant rentrer le Seigneur dans la barque de Simon, Luc veut nous faire comprendre que le lieu de la présence de Dieu n’est pas le ciel, mais la vie concrète de l’homme; que Dieu est là où aucune religion ni aucun clerc de l’Église ne penserait le chercher. Ici Luc, interprétant l’esprit de Jésus, proclame que Dieu n’est pas dans les temples, les églises, les sanctuaires, les églises, le culte, les rites, les prières, les pratiques des religions, mais dans la barque de Simon. La barque est ici le symbole du travail de Simon, de sa labeur, de sa fatigue, de sa vie dure, de ses soucis, des ses problèmes, de ses déceptions, mais aussi de ses intérêts, de ses projets, de ses rêves, de son courage, de son dévouement, de ses attachements,  de ses amours. Si toute sa vie est dans cette barque et si c’est dans cette barque que le Seigneur a choisi de rentrer, cela signifie que toute la vie de Simon est habitée par la présence de Dieu.

 Luc veut nous dire qu’il n’y a pas une réalité qui est religieuse et une réalité qui est profane, mais que toute la réalité est tissée dans la trame de la présence de Dieu. Dieu est vie et il est présent là où la vie explose, se manifeste, se développe; là où il y lutte pour la vie. Il est donc mêlé à tous nos combats, il rehausse de sa présence tout les aspects de notre routine quotidienne: quand nous cuisinons, quand nous mangeons, quand nous travaillons, quand nous nous occupons de nos enfants, quand nous fêtons, quand nous dansons, quand nous aimons, quand nous tombons, quand nous souffrons, quand nous mourrons….Dieu est là. Dieu aime nos combats, nos efforts, nos engagements, tout ce que nous faisons pour vivre, pour réussir, pour être heureux, pour bâtir notre famille, notre maison, notre situation humaine, un monde meilleur autour de nous. Dieu aime cela plus que nos attitudes pieuses, nos dévotions et nos prières. La présence de Dieu en ce monde éclate plus dans le sourire spontané; dans un geste d’amour gratuit, dans les traits délicats d’un visage d’enfant, dans la mélodie d’un chant d’oiseau, dans la beauté d’un cerisier en fleur…que dans l’ostentation pompeuse d’une messe pontificale. Simon n’a donc pas à s’inquiéter de la qualité de sa religiosité. Dans sa  dure besogne quotidienne, il est plus proche du  Seigneur que tous prêtres qui offrent à Dieu des sacrifices sur l’autel!

Une fois que nous avons été amenés à saisir cela, si nous ouvrons notre cœur et nous assumons l’attitude de l’émerveillement, de l’accueil et de la confiance, alors disparaitra aussi la banalité de notre quotidien. Notre quotidien se transfigurera en signe de cette divine présence: tout sera beau, précieux, plein de sens; tout deviendra signe et expression d’un Amour qui nous suit, qui nous porte, qui nous berce et qui, pourtant, nous dépasse, mais qui donne à notre existence une fécondité et une richesse incroyables. Dans cette confiance et dans cet abandon au mystère de cette divine Présence, nous devenons capables de remplir notre barque de «poissons», alors même que la pêche paraissait humainement impossible.

            Si je suis convaincu que Dieu est dans ma barque, je n’ai pas peur de la diriger vers le large et de défier les tempêtes et les dangers de la haute mer. Je suis même prêt à oser l’impossible. Si Dieu est avec moi, si j’agis sous son regard, je sais que tout ce que je fais ne sera pas inutile et que cela servira peut-être à faire de moi un «pêcheur d’homme», c'est-à-dire quelqu’un capable de sauver les autres, en les aidant à «sortir vivants» des eaux dangereuses de la détresse, de la peur et du mal. Je deviendrai à mon tour un «sauveur»  à l’image de mon Maitre.


MB

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