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mercredi 6 septembre 2017

A quoi sert gagner le monde entier si on y perd son âme ?


(Mt 16,21-27- 22e dim. Ord. A)

Ce matin nous allons arrêter notre réflexion sur cette phrase de l’évangile: «Si quelqu’un veut venir derrière moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie, la perdra, mais qui perd sa vie à cause de moi la gardera. Quel avantage en effet un homme aurait-il à gagner le monde entier, s’il le paye de sa vie …? ».

           Jésus a-t-il raison de nous parler d’une façon aussi négative ? Renoncer à soi-même, renoncer à sauver sa vie, prendre sa croix…. N’apparaît-il pas ici comme un rabat-joie, comme le fondateur d’une religion et d’une spiritualité du sacrifice et de la souffrance ? L’église n’a-t-elle pas alors raison de faire de la souffrance et de la privation (détachement) le thermomètre de la sainteté?

          Je pense, au contraire, que, si ces paroles de Jésus sont bien comprises, elles peuvent nous révéler le secret d’une véritable réussite de notre existence.

On dirait que pour l’Homme de Nazareth apprendre à renoncer et à se détacher soit la seule façon humaine et la seule possibilité que nous avons d’accomplir pleinement notre existence. Lorsqu’on y regarde de près, on se rend compte, en effet, qu’il y a deux forces ou deux principes qui agissent dans notre vie : le principe du plaisir et le principe de la réalité. Le principe du plaisir tend à satisfaire tous nos besoins, pour avoir tout le plaisir possible. Le principe de la réalité ou du réalisme doit tenir compte du fait que, dans la vie, il n’est pas possible d’avoir tout ce que l’on désire et qu’il y a donc des limites à notre plaisir.

Au stade oral de notre vie (lorsque nous étions bébés) notre vie était dominée par le principe du plaisir : nous pleurions et voilà maman qui venait pour nous donner son beau sein. Nous avions un problème et voilà que maman ou papa accouraient pour le résoudre. Ensuite nous avons grandi et nous avons commencé à comprendre que maman et papa avaient, eux-aussi, des besoins et des exigences et qu’ils ne pouvaient pas toujours être là, à notre disposition.

Avec le temps, nous avons compris que nous n’étions pas le centre du monde, que nous n’étions pas seuls au monde, qu’il y avait d’autres personnes et que nous devions partager le monde avec elles. Cela est très agréable, mais cela nous obligeait aussi à accepter des renoncements, des privations et à admettre des limites. Je dois renoncer à tout converger vers moi, car les autres aussi ont droit à leur part. C’est en acceptant cela que nous avons grandi. Nous avons grandi, parce que nous avons accepté la réalité. Et la réalité nous dit : tu n’es pas tout, tu ne peux pas tout avoir. Tu n’es pas seul au monde, tu es en relation nécessaire avec les autres et tu dépends aussi des autres ; tu dois penser aussi aux autres ; tu dois donc partager ; tu ne peux pas tout avoir, tout rafler ; tu dois donc en laisser aussi pour les autres, te limiter, te priver, renoncer.

        Il y a des gens qui, en ce sens, n’ont jamais grandi et qui sont restés au stade oral de leur enfance. Il y a des gens qui pensent qu’ils peuvent être heureux en consommant le plus possible, en satisfaisant des besoins fictifs et artificiels, en accumulant des jouets et des choses et en possédant des personnes : mon argent, ma maison, mon chalet, mon entreprise, mon auto, mes gadgets… Ma femme, ma blonde: elle est à moi; elle est là pour moi, pour me seconder, pour être à ma disposition, à mon service, pour me donner du plaisir. Mon enfant: je le couve, je le gâte, je le suffoque avec mon affection et mes attentions; je transfères sur lui tous mes désirs, mes rêves inaccomplis; je veux qu’il soit ce que je n’ai pas pu être; je lui dicte la route à suivre; je le rends dépendant de moi, je ne veux pas qu’il vive sa vie à sa façon, mais à la mienne; je ne veux pas qu’il se réalise selon ses goûts, mais selon les miens, je ne veux pas renoncer à lui, admettre qu’il soit différent… Je veux l’infantiliser le plus longtemps possible…

Mais vivre réellement en humain c’est grandir, mûrir, c’est accepter la réalité et donc apprendre à vivre avec les autres, à respecter les besoins, à laisser de la place pour les autres, à partager avec les autres. C’est donc apprendre à contrôler et à délimiter nos besoins, pour que les autres puissent aussi satisfaire les leurs. C’est pour cela que grandir est pénible, difficile, douloureux, souffrant. Pour vivre ta vie dans la réalité, tu dois renoncer à la vivre seulement en fonction de toi ; seulement à cette condition tu réussiras à bâtir une vie non pas à l’enseigne d’un égoïsme mesquin, avilissant et, finalement, appauvrissant, mais à bâtir une vie enrichie d’une qualité d’ouverture, de don de toi et de soins pour les autres, qui ne pourra que te faire grandir en humanité et accomplir magnifiquement ton existence. Ou comme disait Jésus, qui perd, gagne.

 La réalité nous apprend notre finitude, nos limites ; elle nous apprend la distance, la séparation, le renoncement ; elle nous apprend la souffrance ; elle nous apprend l’humilité de n’être qu’une pièce dans la grande mosaïque de la création ; qu’une note dans la grande symphonie du cosmos. La réalité nous apprend notre fragilité ; elle nous confronte avec le caractère éphémère et non nécessaire de notre existence, elle nous apprend que c’est de la folie et de la pure stupidité de notre part que de nous croire en droit d’avoir plus que les autres, de consommer plus que les autres et d’être plus rassasiés et plus heureux que les autres. La réalité nous apprend l’obligation de la limite, de la mesure et de la sobriété ; la nécessité du souci, du soin, du respect, du partage avec le monde qui nous entoure si nous voulons vivre une vie qui soit à l’enseigne d’une véritable humanité.

Nous devons être nous-mêmes et renoncer à être autre chose: voilà ce que Jésus cherche à nous dire. En effet, si nous sommes nous-mêmes, nous serons tels que Dieu nous a créés, tels que Dieu veut que nous soyons ; nous serons en conformité avec sa volonté. En effet, nous avertit Jésus, à quoi sert à l’homme vouloir être tout, tout avoir et tout expérimenter, ne renoncer à rien, s’il ne réussit pas à vivre la destinée qui lui est propre, c’est-à-dire le rôle qui correspond à la vérité de son être ? S’il ne réussit pas à apprivoiser ses failles et ses limites et à porter paisiblement la croix de sa finitude et de sa vulnérabilité ? S’il vit en contradiction avec la réalité de sa condition humaine ? Si tout le tracas avec lequel il cherche à gagner le monde n’est que l’expression ou la réaction de son angoisse qui refuse de s’accepter comme la créature fragile et transitoire qu’il est et qui tient sa valeur et son salut uniquement de sa capacité à s’abandonner dans la confiance entre les mains de Dieu?

          Pour dire cela avec le mot de Jésus: « À a quoi sert à l’homme gagner le monde entier, s‘il y perd son âme? ». Cet évangile nous dit finalement : «Ta croix, c’est l’acceptation de ton existence que dans ta foi tu reçois des mains de Dieu. Vis-la en plénitude, dans la reconnaissance et la joie. Elle se chargera de te conduire sur les chemins du renoncement, du dépouillement et du sacrifice qui seront à la mesure du don de toi et de l’amour avec lesquels tu chercheras à la vivre à l’ombre de ta foi en Dieu».  



BM

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