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samedi 2 août 2014

LE BON GRAIN ET L'IVRAIE OU L’ÉLOGE DE L’IMPERFECTION


La parabole de bon grain et de l’ivraie
(Mt.13,24-30)


Dans l’évangile de Matthieu la parabole de l’ivraie suit immédiatement la parabole du semeur. Le récit précédent insistait sur la qualité du terrain, plus ou moins favorable à une bonne récolte; la présente parabole fait intervenir un ennemi qui sème la nuit au milieu du blé une mauvaise herbe qui risque de l’étouffer. Alors qu’il était bien difficile de changer la nature du terrain, ici on pense qu’il est possible d'intervenir sur le champ pour extirper la mauvaise herbe. Cependant, l’histoire nous dit que le propriétaire du champ s’y oppose: en arrachant l’ivraie on risque d’arracher le bon grain: c’est à la moisson que le tri va être fait. Traduisez: c’est à Dieu et à personne d’autre qu’il revient de traîter avec le mal. En attendant le bien et le mal doivent rester ensemble. C’est comme cela que les choses se passent dans l’univers, dans la nature et dans la vie de l’homme. Dans notre monde, il n’y a jamais de créature en tout parfaite. Tout est un mélange de chaos et d’harmonie, d’ordre et de désordre, d‘obscurité et de lumière, de qualité et de défauts, de réussites et d’échecs, de constructions et de destructions, de bien et de mal. C’est ainsi que monde fonctionne; c’est ainsi que l’évolution de l’univers se poursuit. L’obscurité fait ressortir la lumière, le mal est nécessaire pour quel le bien surgisse. Souvent ce qui apparaît comme une déficience ou une carence, est le début d’un changement positif. Un gène défectueux dans la séquence de l’ADN peut être à l’origine d’une mutation importante qui produit un perfectionnement inespéré qui fait accomplir un bond en avant à l’évolution de l’espèce. Il faut accepter les limites, les défectuosités, les imperfections. Il faut accepter que tout ne soit pas toujours parfait et qu’il y ait aussi des bavures, des ratures, des taches, des fautes, du mal, de la souffrance.

Regardez Jésus: c’est avec les faibles, les imparfaits, les délinquants, les mal vus, les marginaux, les mauvaises herbes qu’il se tenait de préférence et qu’il a passé la plus grande partie de sa vie et le meilleur de sont temps. C’est avec ceux et celles qui étaient considérés comme «pécheurs»; qui n’étaient pas des «parfaits» ou des «purs» qui il a eu le plus des satisfactions, de gratifications et de bonheur. L’élitisme n’a jamais fait partie de ses priorités. Jésus a enseigné que Dieu ne fait pas de différence et n’a pas de préférences entre les humains; il sait de quoi nous sommes faits et il nous prend tels que nous sommes. Il fait briller son soleil sur les bons et les méchants; il fait pleuvoir sur les justes et les délinquants. Pour lui nous sommes tous égaux, nous avons tous la même valeur: que nous soyons des enfants exemplaires et obéissants ou que nous soyons des enfants difficiles, espiègles et rebelles.

Jésus nous dit qu’il faut apprendre de Dieu. La tentation est grande de vouloir bâtir une sociétés de purs, de parfaits et de conformes parce que appartenant à une telle race, à une telle religion, à une telle idéologie, à un tel parti politique, à une telle caste et de vouloir éliminer tous les autres. C’est ainsi que sont nés le plus grands crimes et les plus affreux génocides de l’histoire humaine: les croisades, l’inquisition, la chasse aux sorcières, les guerres de religion, les épurations ethniques, la Shoah, les persécutions actuelles envers les chrétiens de la part des intégristes musulmans en Somalie, en Syrie, en Égypte, au Nigéria, etc.

Regardez notre Église catholique: aujourd’hui encore elle ne veut être qu’une communauté de purs, de conformes, un champ sans ivraie. Pendant des siècles elle a pensé et continue de penser que son champ ne contient et ne doit contenir que de la bonne graine; qu'en dehors de ce champs il ne pousse que de l’ivraie; que seulement ses fideles sont les heureux héritiers du salut de Dieu et qu'en dehors d’elle il n’y a que ténèbres, erreur, mal et damnation.

Aujourd’hui encore notre Église continue à mettre à l’écart les prêtres mariés; réduit au silence et bannit les théologiens dissidents et contestataires; excommunie les femmes qui se font avorter; exclut des sacrements et de la communion les couples chrétiens divorcés et remariés (considérés comme des pécheurs publiques vivants dans le concubinat et l’obstination du péché); diabolise, dénigre et écarte les homosexuels considérés comme des débauchés et des pervers… Avec son attitude l‘Église ne veut-elle pas, à l’encontre de ce texte évangélique, extirper tout de suite l’ivraie pour ne cultiver qu’un champ où il n’y a que des graines pures et non contaminées ?

Nous devons accepter ce mélange de bien et de mal dans les personnes qui nous entourent. Les parents, par exemple, ne doivent pas exaspérer et écœurer leurs enfants avec des exigences excessives de performance et de perfectionnement. Ils risquent d’en faire soit des perfectionnistes malheureux et frustrés, car dans la vie ils ne pourront pas exceller en tout; soit des ambitieux tyranniques et antipathiques qui voudront à tout prix être supérieurs et dominer les autres, quitte à les exploiter, les piétiner et les mépriser. C’est la sagesse et le bon sens qui devraient nous enseigner que le bien et le mal ne se divisent jamais au couteau, de sorte que le premier est d’un côté et le deuxième de l’autre. Le bon et le mauvais, le pur et l’impur, l’excellence et la médiocrité, les défauts et les qualités, l’échec et la réussite… constituent un mélange essentiel et inextricable qui fait partie de la nature profonde des êtres. Comprendre cela, c’est accomplir un pas de géant vers l’accueil des différences et la considération des «pécheurs» qui doivent être acceptés non seulement malgré, mais à cause de leurs «péchés». Car, souvent, c’est justement leurs faiblesses, leurs erreurs et leurs fautes qui les rendent humainement intéressants, plus proches de nous et donc plus facile à aimer. Pour moi, qui suis un humain, je trouve qu’il m’est beaucoup plus facile de me sentir proche de celui qui se trompe, qui tombe et qui casse, que de celui qui ne fait jamais de gaffes, qui vit une vie exemplaire et sans jamais rien casser. Je trouve qu’il m’est beaucoup plus facile d’aimer un petit qu’un grand; un faible qu’un puissant; je me sens plus porté à me pencher sur celui qui traîne par terre que sur l’athlète toujours bien campé sur ses jambes et qui cherche à m’éblouir avec l’éclat des ses exploits et de ses médailles.

Je me sens plus attiré par le vice que par la vertu; par le pécheur que par le saint; par l’homme que par l’ange; plus par Sharon Stone que par sœur Faustine Kowalska. J’aime celui qui est humble, simple, «défectueux,», plus que celui qui se gonfle dans ses diplômes, ses compétences, sa sainteté et ses révélations. J’aime plus Jésus-homme, que Jésus-Dieu. Jésus homme est humain, faible, vulnérable. Il est du côté de ceux et celles qui font le «mal». Il est de ma race. Il m’est proche. Il m’appartient. Je peux le suivre. Il m’est compatible. Je peux décharger en moi le contenu de son esprit. Je peux l’assimiler dans ma vie. Je peux calquer ma vie sur la sienne. Il est humain comme moi, je peux donc l’aimer. Jésus-Dieu, par contre, vient d’un autre monde. Il est un «alien». Je n’ai rien en commun avec lui. Il n’est pas de ma race. C’est un imposteur qui fait semblant d’être un homme. Il triche. Il m’est incompatible. Il est inatteignable. Il ne m’affecte pas. Il me propose des choses impossibles. Il ne m’intéresse pas. Je ne peux pas l’aimer. Je ne peux pas le suivre. Il ne sera jamais mon «sauveur».

Cet évangile veut alors susciter en nous les chrétiens, l’attitude de la tolérance, du respect des diversités, de la compassion, de la bienveillance, de l’acceptation du mal, non pas pour l’approuver ou le justifier, mais pour le comprendre, le relativiser et le dédramatiser. Ce texte vise surtout à nous faire comprendre la nécessite d’être la bonne semence, le bon grain qui doit compenser et balancer la présence du l’ivraie dans le champ du monde, afin que celui-ci puisse quand même progresser, poussé par les forces majoritaires de la lumière, de la bonté et de l’amour.



BM 2014

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